6 juin 2015, 14:20

AC/DC devant l'église...

Nous sommes en 1978... et c'est saignant.

Fontainebleau, la ville de toute mon adolescence. 
Pas vraiment un haut-lieu de la métallurgie et bien peu de chances qu'un BLACK SABBATH français ait pu y voir le jour...
Plutôt la bonne grosse ville bourgeoise, à une centaine de kilomètres de Paris.
Pas la banlieue éloignée, pas exactement la province, un entre-deux, avec un joli héritage de l'histoire, Henri IV, François 1er, Napoléon bien sûr, le château, la forêt... le standing, quoi ! 

Le sens de la tradition, ses grandes artères commerçantes, ses maisons cossues, son église...
... et en face de l'église, en cette fin des années 70 : un disquaire. 

Les Ondes Sonores.



A Fontainebleau, mais je sais que c'était le cas dans une multitude de communes françaises dans les seventies, un magasin de musique vendait : cette foutue flute à bec du collège, des partitions, des méthodes de piano ou d'accordéon, des violons, des métronomes, des guitares classiques, dans le meilleur des cas une ou deux électriques (si le vendeur n'avait pas plus de 30 ans), de la hi-fi bien sûr et parfois... des disques. 
Aux Ondes Sonores, justement, il y avait du disque, du 33 tours.
Par sa position stratégique, une des rues les plus empruntées du quartier pour gagner le centre ville, juste à côté de la place du marché, il n'était pas possible de louper sa vitrine. Non... vraiment pas possible. Encore moins pour les paroissiens fort nombreux qui se rendaient à l'église dont l'entrée était située précisément sur le trottoir, en face.



Bon, d'accord, la photo est plus ancienne, mais c'est tout ce que j'ai trouvé... je suis né au siècle dernier, mais pas au début du siècle dernier non plus.

 

Je ne sais plus si c'était fin 1978 ou début 1979, mais ce dont je me rappelle bien, c'est qu'au beau milieu de la vitrine, visible et en évidence, trônait la pochette vinyle d'un groupe dont on entendait parler depuis un an ou deux : AC/DC.
Une photo, un peu floue, mais sans équivoque, d'un musicien, la guitare plantée dans l'abdomen.
 


Hyper-réaliste, choquante et hypnotique, au point d'en oublier le chanteur présent aussi sur la photo. Je me souviens être resté le nez collé à la vitre pendant de longues minutes à me demander, du haut de mes 13 ans si c'était... pour de vrai ? Ziiiiiiipppp, j'ai glissé ! Oups, ma Gibson... Accident de scène, mais le bon réflexe : clic-clac Kodak ! 
Des décennies de surenchère visuelle dans les médias, au cinéma, ont fini depuis par nous anesthésier et banaliser la violence, mais je peux vous dire que cette photo, dans le contexte de l'époque, était ultra-provocante. A tel point qu'autour de moi, les passants ne cachaient pas leur indignation... et ça me plaisait, et ça me faisait jubiler intérieurement. 
Une indignation qui remontera sans doute jusqu'aux oreilles des gérants du magasin puisque la pochette disparaîtra assez vite de son présentoir.

Je crois m'être dit à cet instant que je n'oserai pas demander ce disque pour mon anniversaire...

On n'a pas idée combien les images de l'enfance peuvent marquer durablement : le libraire voisin me verra chaque semaine écumer autant le rayon cinéma (les "Ecran Fantastique", puis "Mad Movies" pour leurs dossiers effets spéciaux, hémoglobine et films gore) que musique (frustré de n'avoir aucun magazine spécialisé hard rock, que quelques petits papiers dans "Best" noyés entre new wave, punk et reggae, et irrité à chaque fois que "Rock & Folk", revue de référence, n'en parle que pour dénigrer).

C'est drôle comment les souvenirs remontent à la surface. Au Stade de France, ce 26 mai dernier, je regardais cette population complètement hétéroclite venue applaudir AC/DC et me demandais combien nous étions, hommes ou femmes, à avoir vécu les mêmes choses, les mêmes attentes musicales, les mêmes expériences, que ce soit cette année 1978, ou plus tôt, ou plus tard... J'étais tellement persuadé à l'époque que nous n'étions qu'une poignée.
Car il faudra attendre "Wango Tango" à la radio et plusieurs longues années après ce disque pour voir naître en France un semblant de mouvement fédérateur et de reconnaissance médiatique...

Aujourd'hui, les Ondes Sonores a disparu, remplacée par une boutique de prêt-à-porter.
L'autre disquaire de Fontainebleau, Rigodon, celui qui avait en démonstration les tout premiers compact-discs au début des années 80, a fermé boutique au profit d'un restaurant italien... 

Le monde bouge. 
Et pas tant que ça, finalement... car dans cette histoire, à force d'être ce qu'il est sans jamais ne rien changer, AC/DC remplit encore et toujours le Stade de France.

Blogger : Christian Lamet
Au sujet de l'auteur
Christian Lamet
Christian Lamet est réalisateur, journaliste et producteur pour la télévision et le multimédia...entre autre. Fondateur en 1985 du magazine HARD FORCE, il en a été le rédacteur en chef durant ses quinze années de parution en kiosques. Depuis, l'aventure HARD FORCE a repris en 2008 sur le web, devenant ainsi le plus ancien média metal en France toujours en activité encore mené par son fondateur. Christian est également producteur et réalisateur de l'émission METALXS et créateur du media digital HEAVY1 en partenariat avec LIVE NATION FRANCE.
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6 commentaires

User
priestjanko
le 06 juin 2015 à 17:00
je faisais partie de la poignée......
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Stephane Marty
le 07 juin 2015 à 10:14
s'il ne devait rester qu'une seule pochette, c'est celle ci...
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fandepuis78
le 07 juin 2015 à 15:56
Cette excellente chronique fait partie de l'Histoire du metal bellifontain (!) tant le ressenti est similaire. A cette époque, dans cette petite ville bourgeoise historique et de plus, en face de l'église, il fallait le faire ! Ce vinyle, je l'ai vu dans cette vitrine, isolé au beau milieu d'instruments de musique, appareils photos, rasoirs électriques, grille-pains et autres fers à repasser et cocottes-minute... peut-être même un dimanche en sortant de la messe car le rideau de fer n'était pas plein mais ajouré ! Je note au passage la "divine" provocation de la patronne des lieux secondé par son technicien chevelu au demeurant très discret voire très mystérieux (la "gargouille" du magasin ?), souvent affalé sur son comptoir au fond du magasin et bidouillant je ne sais quel appareil. Ce bonhomme m'a toujours interloqué : ses conseils étaient souvent évasifs, pas plus de 3-4 mots pour faire une phrase, aucun sourire, aucune volonté quelconque de refourguer la camelote du magasin. En revanche, "sa maîtresse" des lieux ne se privait pas d'avertissements : "tu écoutes, tu achètes" !!! Voilà pourquoi j'ai toujours préféré LE vrai disquaire de Fbleau, "Rigodon", pas plus sympathique devant un jeune morveux de 10 ans (ni personne d'autre d'ailleurs), mais qui laissait écouter au casque les rares classiques de la "petite musique de bruit" sans (trop) ronchonner ! Il devint plus clément par la suite, se laissant plus facilement apprivoiser au fur et à mesure des commandes que je lui passais... Pour revenir à cette pochette saisisan(g)te, je m'interrogeais innocemment sur son authenticité tellement la photo paraissait crédible. Plus tard, je me souviens avoir retourné la pochette pour voir si la caisse de la guitare était ressortie de l'autre côté du corps ! Mystère, interrogation, angoisse... Etait-ce bien raisonnable d'avoir laisser traîner mes oreilles sur ce groupe de sauvages que j'avais connu quelques mois plus tôt avec "Powerage" dans des circonstances similaires (cadre religieux strict). Rigodon en possédait un exemplaire que j'achetai bien plus tard. Pourtant, en cette année 1978, AC/DC faisait déjà scandale avec cette pochette dans la rue de la Paroisse, même si les cornes n'avaient pas encore poussé à Angus, nous étions déjà des larves de petits diablotins qui prêchaient sur les sentiers avant d'emprunter un an plus tard "L'autoroute de l'enfer"... <br />
Il serait judicieux (mais seulement pour les quelques cas litigieux en présence !) de recenser les petits hardos bellifontains de nos âges qui sont restés scotchés devant cette vitrine en 1978, voire même ceux qui faisaient déjà tourner leurs rares et chers (!) LP de hard-rock ? Sans rechercher à tout prix l'exception, on devait pas être beaucoup !<br />
<br />
Dans mon commentaire, j'ai omis d'avouer qu'au travers de ce choc émotionnel, de ce blasphème "aux portes de l'église", je partageais cette même jubilation intérieure. Réveille-toi peuple de Bleau !!! C'est drôle, en numérisant quelques pépites métal récemment, je suis retombé sur quelques-unes de tes chroniques HF soigneusement découpées et glissées dans la fente de quelques pochettes, in-tac-tes ! Du coup, je ressors avec un malin plaisir et une douce nostalgie quelques exemplaires d'époque, certains en lambeaux (mais que j'ai racheté par la suite) : Best, Enfer Magazine, Metal Attack, Hard Force... tout à fait d'accord sur ton analyse de la presse musicale d'alors et ton sentiment de croire qu'on ne devait pas être beaucoup, en tout cas à Fbleau. Que d'expériences et d'aventures autour de cette musique longtemps dénigrée plus que toute autre. En 78, "Chorus" arrivait, mais trop "petit rock" à mon goût, puis "Studio 3" en 1980 que j'attendais impatiemment le mercredi avec ce "bon vieux" François Diwo au look BCBG mais qui mettait bien un pied dedans quand même (le générique, c'est Van Halen III !) et enfin l'Emission-phare, la messe radiophonique du vendredi soir avec "Wango-Tango"... <br />
Le Hard-Rock - qui ne tombait pas du ciel dans le paysage radio-catho-dique français - est une vraie musique de partage entre aficionados, même si c'était à chaque fois la quête d'une nouvelle carte aux trésors prodigué au hasard par l'article de presse ou la chronique d'Hervé Picart, avec à la clé, une galette, un passage radio ou TV... quelle récompense ! A l'heure où toute recherche se fait d'un simple clic et donne immédiatement accès à une multitude d'infos, d'images, de videos, de forums spécialisés... et même si l'instantané comble rapidement nos avidités maladives, j'avoue nostalgiquement et paradoxalement être en manque (!) de cette quête sur la chose rare, cachée quelque part, des efforts et du temps pour la trouver, de cette leçon de vie qui a sans doute permis de se forger humainement, quelque soit le graal convoité.<br />
Merci pour ce partage, cher Christian et merci aux satanées "Ondes Sonores" !
User
fandepuis78
le 07 juin 2015 à 16:05
PS : j'ai essayé de cliquer dans ton post sur la carte de visite des "Ondes Sonores" mais rien...
User
Christian Lamet
le 07 juin 2015 à 19:40
Ha ha, superbe évocation complémentaire, mon cher fandepuis78. Malheureusement, les Ondes Sonores n'ont pas su saisir le virage de l'ère numérique. La carte pointe sur le néant.
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Fabrice Delthel
le 08 juin 2015 à 19:16
Je pense que nous sommes quelques milliers à avoir vécu la même dans nos provinces respectives, à quelques années près. Personnellement, même si j'ai connu ACDC en 1980avec Back in Black à 14 ans, quelques semaines plus tard, cette pochette d'If You Want Blood m'avait totalement subjugué. Hypnotique est bien le mot. D'ailleurs, c'est le deuxième album que je me suis payé avec les 100 francs de la grand-mère pour le Noel de 1980. Dans mon bled du bocage normand (7000 habitants), on avait aussi notre disquaire et les pochettes d'albums me fascinait. J'avais l'impression qu'elles voulaient me parler, me raconter un autre monde. Je me souviens de celle d'Extraterrestrial Live du BOC, un peu plus tard. J'en avais envie. Je me demandais vraiment quel genre de musique pouvait sortir de ce truc même si Best m'en donnait une vague idée. Mais bon, comme c'était pas Noel tous les mois, j'ai dû attendre un paquet d'années.
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