9 août 2015, 16:49

TEENAGE TIME KILLERS : "Greatest Hits Vol.1"

Album : Greatest Hits, Vol. 1

Sans m'être véritablement préoccupé en amont d'une hypothétique date de sortie française, d'un quelconque label ou distributeur et de par quel biais je pourrais par conséquent récupérer le son de cette sortie qui, paradoxalement, alimentait chez moi pas mal de fantasmes, c'est sur une traditionnelle "tête de gondole" chez Amoeba, à Los Angeles, que je tombai nez à nez avec le skeud. Douze dollars. OK, panier, et donc quelques dizaines de grammes de plastique supplémentaires qui vont définitivement avoir raison de mon épaule, quasiment à quelques secondes de se désolidariser de ma clavicule - il n'est dès lors question que de quelques mètres, entre ladite tête de gondole, et la caisse, pour me soulager. Puis ce sera la descente, maladroite, encombrée, infernale, vers le parking, jusqu'à la voiture de location, où je me délesterai enfin de mon panier absolument non-virtuel dans le coffre d'une pauvre Nissan couinant déjà sur ses suspensions arrières.
Mais à lui tout seul, ce premier album de TEENAGE TIME KILLERS promet aussi toutes les nuisibles intentions de ruiner le reste de votre ossature, à commencer par les vertèbres cervicales : trop de headbanging intempestif, voire incontrôlé, vous le savez, peut nuire à votre petite nuque fragile tapissée de duvet. Mais outre votre cou brisé à jamais, ce sont vos méninges qui risquent de subir le plus de dommages, après que vos tympans, perforés, aient ouvert leurs vannes au Mal entrant : comme grillée sous l'effet d'un vieux four micro-ondes première génération et hors-normes européennes, votre petite cervelle a perdu toute sa flotte, son sang et sa substance, réduite à un chamallow tout dur et tout noir, comme oublié entre les braises.

Voilà, quand on rentre de vacances et qu'on souffre du blues post-California, on peut aussi s'enfiler « Greatest Hits Vol 1 » et donc s'octroyer, que dis-je, s'infliger une séance d'auto-destruction programmée, en vingt paliers pour les plus coriaces. Vingt, vraiment ? Moi j'ai failli déclarer forfait à l'étape n°10, soit euh, « Time To Die ».
Blagounettes, superlatifs et menues exagérations à part, l'achat irréfléchi et spontané de cette TUERIE chez mon dealer de disques favori était finalement parfaitement cohérent : quoi de mieux que de se retrouver au beau milieu de West Hollywood, coeur de la scène du punk hardcore du début des années 80, pour en célébrer aujourd'hui, 35 ans après, le meilleur hommage possible ? Oui, Los Angeles n'a pas été que le poumon gonflé au silicone du hair-metal, boursouflure risible coincée dans son spandex léopard rose pour les uns. Los Angeles a en effet abrité la réponse West Coast au punk hardcore de Washington D.C. (BAD BRAINS, MINOR THREAT, THE FAITH, S.O.A, SCREAM, etc...), avec une myriade de groupes ultra underground à l'époque, mais majeurs dans le développement du punk, du post-punk, puis du thrash et du hardcore metal. Allons, BLACK FLAG, THE GERMS, FEAR, CIRCLE JERKS, D.I’s, T.S.O.L, D.R.I., SUICIDAL TENDENCIES, quelqu'un ?
Avant d'incarner un des sérieux et fort prometteurs challengers de la scène metal du milieu des années 90 avec une approche affiliée au stoner, CORROSION OF CONFORMITY est né dans le tumulte de la scène hardcore, East Coast. Groupe alors de deuxième zone, certes, mais ayant évolué et tutoyé tous les représentants majeurs d'un courant imperméable et incorruptible. Après avoir radicalement changé de style au profit de ce heavy-rock enfumé avec l'arrivée du charismatique Pepper Keenan au chant pendant toutes ses années fastes, CORROSION OF CONFORMITY a malgré lui quelque peu disparu de la circulation, la faute à des engagements interminables pour certains. Pour étancher une telle frustration, les musiciens bien patients de C.O.C sont revenus à une formule plus radicale, en se resserrant sous un line-up alternatif le temps que Keenan termine ses contrats indéterminés en tant que guitariste chez DOWN. Ce qui leur a laissé le temps de se replonger dans leurs premières amours, à l'époque de « Eye For An Eye », « Technocracy » ou « Animosity ».
Et c'est Reed Mullin, batteur historique du groupe, qui a eu en tête de se consacrer à ce projet complètement fou : se faire l'immense plaisir de rejouer ce hardcore basique, juvénile, cathartique, bas du front et sans compromis avec tous ses potes, fussent-ils des acteurs de la scène metal, sludge, rock, ou punk - voire comme lui des rednecks originaires de Caroline du Nord (ou pas trop loin, de Virginie). Des vétérans vénérés ou des plus jeunes aussi morveux que les aînés, des super-stars ou des galériens, sans le moindre problème d'égo dans l'équation, tous réunis pour jammer sur des glaviots sonores épais et vifs, propulsés en moyenne autour des deux minutes syndicales pour torcher une bonne chanson keupon. Do It Yourself style, genre.
Tout le monde y a mis du sien, a contribué à l'écriture et à l'enregistrement, qui a cependant eu lieu dans les splendides studios 606 de Dave Grohl, nichés dans la vallée de San Fernando, juste de l'autre côté des collines d'Hollywood. DIY oui, mais avec toutefois le confort d'un des studios les plus en vue de Los Angeles. Pas question que cette réunion d’anciens combattants sonne non plus comme une K7 démo enregistrée dans une sale acoustique ouatée d'amiante au fond d’un squat post-industriel de la banlieue nord de Bucarest. Mais pas de panique non plus, TEENAGE TIME KILLERS ne sonne franchement pas comme un single des FOO FIGHTERS : la production de John Lousteau (euh, ingénieur du son chez 606 !!!), reste vraiment très crue et, forcément, corrosive. Sans parler que quelques pistes ont été enregistrées ci et là à la maison, comme les vocaux de Mike IX Williams, captés dans le repaire du père Phil Anselmo.

Au menu, vingt titres donc, vingt missives old-school, tantôt très punk et abrasives, tantôt plus heavy voire presque metal - en tout cas dans l'esprit thrash originel du genre, ou forcément proches des premiers CORROSION OF CONFORMITY. L'apport de Dave Grohl, outre la lourde logistique des 606, est aussi colossal en terme de song-writing : n’oublions pas que le monsieur est un expert du genre, ayant démarré sa carrière comme très jeune batteur chez ses idoles de SCREAM… Mais là où le bonhomme, si sympathique, est omniprésent, partout, tout le temps, entre jams-sessions, guest live, hôte live, sur les plateaux TV, dans tous les studios possibles et même dans les cliniques suédoises, il se fait très discret et humble vis à vis de la promotion de TEENAGE TIME KILLERS, véritable bébé de Mullin. Grohl s'était déjà fait plaisir avec son projet PROBOT il y a presque dix ans, célébrant son amour pour le true-metal evil et dark des années 80. C'est donc au tour de son pote Reed Mullin de générer toute cette émulsion entre artistes et copains.
La liste des invités est étourdissante, et fait passer le projet United des 25 ans de Roadrunner pour un tremplin de groupes nü-metal amateurs sur une scène annexe d’un festival gratuit à Laval, 53 (oui, le Mayenne Festival). Hum. Rien que chez les chanteurs, on s'étrangle : outre Reed Mullin lui-même qui ouvre le bal des enragés, l'on retrouve pas moins que Neil Fallon (CLUTCH), Randy Blythe (LAMB OF GOD), Jello Biaffra (DEAD KENNEDYS), Matt Skiba (ALKALINE TRIO, BLINK 182), Corey Taylor (SLIPKNOT, STONE SOUR), Pete Stahl (GOATSNAKE, SCREAM, WOOL), Mike IX Williams (EYEHATEGOD), Tommy Victor (PRONG), Tairrie B. Murphy (TURA SATANA, MY RUIN), Lee Ving (FEAR), Phil Rind (SACRED REICH), Tony Foresta (MUNICIPAL WASTE), Clifford Dinsmore (BL'AST), Aaron Beam (RED FANG), Vic Bondi (ARTICLES OF FAITH), mais aussi le revenant Karl Agell (LEADFOOT) qui chantait aussi, et surtout, dans CORROSION OF CONFORMITY sur le mythique et déterminant album « Blind » en 1991, etc...
Outre tous ces terroristes de la corde vocale, Reed Mullin se fait évidemment plaisir en se chargeant de toutes les parties de batterie ; à la basse, c'est Dave Grohl qui s'y colle (!!!), alternativement avec Nick Oliveiri, ainsi qu'une poignée d'autres bassistes, dont le fidèle Mike Dean de C.O.C, Mick Murphy, Pat Hoed, ou encore Pat Smear !  Quant aux guitares, c'est principalement ce Mick Murphy, le mari de Tairrie B. et également guitariste de MY RUIN, qui s'en charge intégralement, régulièrement accompagné par d'autres potes avisés, tels Greg Anderson (GOATSNAKE, SUNN O)))...).

Après, et surtout, musicalement, c'est quoi-t-est-ce ? A votre avis ? Une chose : si votre conception du punk californien se tient à GREEN DAY ou SUM 41, comment dire... vous risquez d'être en grande souffrance. En tout cas bien bien bien davantage que ceux qui auront déjà l'oreille, en charpie certes, mais habituée aux exclamations vociférantes des légendes du genre, BLACK FLAG ou DEAD KENNEDYS en tête. Ces vingt morceaux de premier choix, tous inédits, ont pour dénominateur commun cet amour et ce respect quasi virginal pour le punk hardcore des années 1980-1983 ; et en fonction des protagonistes, des tendances et des influences, certains sonneront franchement plus metal que d’autres. En tout cas, carrément plus S.O.D que HELLOWEEN, hein ! En ce qui me concerne, gros faible pour cet irrésistible « Barrio » qui sonne comme du MISFITS festif avec ce refrain immédiatement assimilé, mais aussi le super heavy « The Dead Hand » asséné comme un grand par Reed Mullin (et featuring Woody Weatherman de C.O.C aussi !), du vrai bon crossover à situer quelque part entre 1985 et 1987 ! On salue forcément l’étrange « Egobomb » de Corey Taylor ou ce très grand « Days Of Degradation » où la patte forcément reconnaissable de Tommy Victor offre une couleur particulièrement savoureuse. Big up aussi au forcément crossover « Ignorant People » avec Tony Foresta, ou ce très heavy et actuel « Your Empty Soul » avec Aaron Beam.

Plus que le projet d’un acteur passionné et nostalgique, TEENAGE TIME KILLERS est un véritable tribute à une scène depuis longtemps disparue mais ayant laissé une trace indélébile chez d’innombrables formations, et dont de nombreux codes se voient aussi hélas affreusement récupérés par les hipsters, notamment autour de la très branchée Melrose Avenue où les t-shirts, flyers et looks du coin sont adoptés par les fashion victims chic et destroy. « Greatest Hits Vol. 1 », plus que cette somme incroyable de collaborations assez bandantes, s’apparente en effet à un invraisemblable et impossible greatest hits de tous ces 45-tours punks d’époque, dont les pochettes black&white photocopiées et collées à la main pullulaient en effet dans le réseau trans-américain de la jeunesse désabusée du premier règne Reagan.

Et en sus, vous trouverez, plus qu’un patch ourlé, un simple rectangle de tissu noir TTK que vous pourrez apposer sur vos fringues trop sages, et vous encanailler en customisant ainsi votre bermuda d’été beige non-élimé.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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