Et de quinze. Après les excellents « Absolute Dissent » et « MMXII », albums homogènes, riches, oppressants et denses, nous étions impatients de retrouver Jaz Coleman et le line-up d’origine réuni pour le meilleur, malgré les circonstances (le décès du bassiste Paul Raven). Troisième opus d’une trilogie basée sur les chères thématiques apocalyptiques fort à propos de KILLING JOKE, « Pylon » s’affiche tout aussi anxiogène que les précédents : outre cette musique inimitable, signature si riche et originale du combo depuis 35 ans, les textes nous immergent du côte obscur de leurs croyances, théories du complot, machinations, aliénations et sentiments de bascule immédiate dans la fin de notre monde – ou tout du moins de l’ère dans laquelle nous vivons : notre civilisation vit ses dernières heures, son effondrement est imminent et les dix titres de « Pylon » transpirent l’urgence et la suffocation de ces sentiments.
“Autonomous Zone”, certes martelant et rugueux, n’ouvre « Pylon » que dans des terrains déjà balisés : toutefois la production surpuissante de Tom Dalgety (responsable de l’album acclamé des très hype ROYAL BLOOD) rappelle d’évidence l’album éponyme « Killing Joke » de 2003 (à savoir que le tout premier album des Anglais en 1980 était lui aussi intitulé « Killing Joke » – de quoi brouiller les pistes !). Il y a douze ans, ce disque marquait le grand retour du groupe dans une forme éblouissante soulignée par une rare brutalité rythmique (Dave Grohl était alors à la batterie…). Le son de 2015 lui fait donc écho, enrobé de ces arrangements technoïdes et indus habituels. Forcément tribal, aliénant et suffocant, le heavy rock post-punk teinté de metal et d’expérimentations electro reste fascinant et digne du passé (“Dawn Of The Hive” cogne très dur), notamment sur ses réminiscences cold wave eighties : évidentes sur “New Cold War”, “Euphoria” (ces nappes de synthétiseurs symptomatiques !) et sur “Big Buzz” que l’on aurait très bien pu situer sur l’album « Night Time » il y a trente ans.
Mais c’est surtout sur ses morceaux épiques que KILLING JOKE reste le plus impressionnant et le plus intense. “New Jerusalem”, entre un “Kashmir” sourd et cauchemardesque et une véritable tempête électrique, s’impose sans conteste dans la deuxième partie du disque, rappelant que l’inquiétant Jaz Coleman est aussi chef d’orchestre, expert dans l’art de faire progresser une structure alambiquée, intense, sombre et épique, comme il avait si brillamment su le faire tout au long de “Invocation” en 2006 sur « Hosannas From The Basement Of Hell »
A la croisée des identités marquées de 1985 et 2003 tout en clôturant (?) l’ère « Absolute Dissent » et « MMXII », « Pylon » est un nouveau disque immense du groupe qui n’a de toute façon jamais déçu, ni en studio ni en live. Les météores incandescents se succèdent sans temps mort (“Delete”, “Into The Unknown”) et terrassent définitivement l’auditeur, qu’il soit averti ou non : avec le terrifiant “I Am The Virus”, KILLING JOKE irradie et contamine ses fidèles en propageant l’ultime parole qui nous fait définitivement croire que notre prochain pas est bien dans l’abîme…