16 novembre 2015, 12:49

Hommage, Vécu, Pensées

J’avais fait un choix, délibéré, assumé. Un peu coupable et honteux au fond de moi, brisant mon indéfectible fidélité : alors que je n’avais quasiment jamais manqué un seul concert des EAGLES OF DEATH METAL à Paris depuis dix ans, et après maintes hésitations, je choisissais ce mois-ci de ne pas retourner les voir. Et pour être complètement honnête, je n’avais pas été complètement convaincu par leur dernier album, tel que je m’en exprimais dans une autre publication, quelque peu amer de devoir afficher et écrire noir sur blanc une certaine déception. De plus, je les avais revus par deux fois en juin dernier…


Zénith de juin 2006 en première partie des STROKES, invités par Jesse Hughes ; Bataclan en janvier 2007 ; Nouveau Casino en janvier 2009 ; Bataclan en mars 2009 ; Rock en Seine en août 2009 ; Trianon en juin 2015 et le lendemain même pour l’enregistrement de l’Album de la Semaine à St-Denis… Toutes ces expériences incroyables d’un groupe tellement fougueux, sexy, généreux et endiablé m’avaient toutes laissé mille souvenirs indélébiles, ajoutés aux nombreuses interviews réalisées en compagnie de Jesse, et dernièrement avec Josh Homme en special guest – un rêve ! Je suis en effet un fan du groupe depuis le premier album publié en 2004, dont nous allons tous désormais reprendre la devise, tel un étendard : « Peace Love Death Metal ». Et même si loin des standards du stoner et du desert-rock pour lesquels je me passionne tant, les EAGLES représentaient l’un de mes groupes de chevet définitif.

Mais ce vendredi 13, date si universellement symbolique, je n’étais pas devant la scène à mon poste. Devant une autre opportunité de concert, je brisais les habitudes et m’envolais pour Münich en Allemagne, assister à l’un des tous derniers shows de la tournée MÖTLEY CRÜE/Alice Cooper.

Arrivé dans l’immense Zénith de la banlieue nord de la ville, après un trajet en RER local, je me sentais étrangement bien seul : la salle est moche, immense, tout en longueur, une sorte de Halle de la Villette post-industrielle sans âme dans laquelle viennent se masser 6 000 fans allemands inconnus et anonymes. Je regarde autour de moi : même si l’excitation d’aller régulièrement voir de nouveaux concerts dans des lieux plus “exotiques” qu’à Paris est habituellement grande, on se sent toujours un peu con, seul et l’esprit moins à la fête. Où sont mes copains, où sont tous les collègues, où sont tous les confrères et toutes les têtes connues que l’on fréquente des dizaines de fois chaque année dans la chaleur, la proximité et les habitudes cocoonnées de nos salles parisiennes préférées ?

A 20 h, Alice Cooper monte sur scène pour un show condensé d’une heure : évidemment, dès qu’il entame son set, je suis transporté et ailleurs, revivant pour la 10e, la 15e fois – je ne sais plus – la magie du show d’une de mes plus grandes idoles.

21h30, c’est au tour de MÖTLEY CRÜE de prendre possession du Zénith : si leur scénographie est ici dépourvue du roller-coaster de Tommy Lee, le spectacle est hallucinant. En plus des hits qui défilent pendant 1h30, le show extrêmement visuel nous en met plein la vue et se hisse à la hauteur des concerts de KISS et de RAMMSTEIN en termes de lights et de pyrotechnie. Je suis dans les premiers rangs, à cinq mètres de Nikki Sixx, et j’ai 10 ans – tout au plus 14. Encore une fois, je suis aussi seul ce soir qu’à l’époque, en 1989, où je les découvrais avec « Dr. Feelgood » dans ma solitude adolescente, mais le plaisir ressenti atteint tout au long un paroxysme absolu – cela faisait même longtemps que je n’avais pas éprouvé une telle bouffée de nostalgie, d’euphorie totale et innocente, lors d’un concert des dieux de ma jeunesse.

22h52 : mon portable vibre dans ma poche. SMS de Philippe, un ami. Il est inquiet. Il me demande si je vais bien. 22h54 : Nathalie, une copine, m’envoie un message similaire. MÖTLEY CRÜE est à ce moment-là revenu sur scène pour son habituel rappel, “Home Sweet Home”. Dans la foulée, appel : ma femme est catastrophée, elle m’explique depuis la maison ce qu’il se passe à Paris. Puis une avalanche de textos et d’appels m’assaillent. Je rentre dare-dare à l’hôtel, allume les chaînes d’informations et constate l’horreur. Je suis glacé d’effroi. Le plaisir innocent de la soirée est immédiatement remplacé par la consternation. L’hébétude, la rage, la haine, la colère, la tristesse et un immense sentiment de vide me happent et me font basculer dans une dimension que je n’avais jamais connue jusqu’alors. Je passe une nuit entière sans sommeil, les yeux absorbés par TV5, mon téléphone portable entre les mains, à appeler mes amis ou à leur envoyer des messages. Textos, Messenger, Facebook, Twitter fonctionnent non-stop jusqu’au petit matin où je dois repartir prendre mon avion pour Paris à la première heure.

Outre les reconstitutions de scénarios et mille témoignages passant en boucle à la télévision, mon imagination fait le reste et je vois la panique du Bataclan, salle que l’on connaît si bien. Alors que pendant une heure trente je me prenais en pleine gueule les déflagrations assourdissantes des bombes et feux d’artifice exagérément déployés sur scène par MÖTLEY, d’autres explosions, réelles, retentissaient au même moment à mille kilomètres de là, chez moi, chez nous, au beau milieu de cet autre concert de rock – où vous étiez…

Je pense si fort, si putain de FORT à tous ceux qui y étaient, et encore plus aux copains, collègues qui s’y trouvaient… Pour beaucoup d’entre vous je suis vite “rassuré” par des relais d’informations via nos réseaux sur FB : vous vous en êtes sortis à temps ; certains, putain de merde, sont blessés. Et d’autres… les nouvelles tardent. Le réseau panique de l’absence de nouvelles. Nous sommes tous fébriles, actualisant les pages Facebook chaque minute, guettant le moindre SMS, obsédés par la nouvelle information qui tombe. Chaque vibration, chaque sonnerie, chaque nouvelle page qui s’affiche est à la fois une lueur d’espoir et une crainte imminente.



Guillaume B. Decherf. Cela faisait plus de 24 heures que je m’accrochais à toutes les situations possibles et énumérations de scénarios expliquant l’absence de nouvelles rassurantes. Guillaume, tu es tombé parce que tu étais là-bas, parmi ces centaines d’autres amoureux de musique, visages familiers ou inconnus néanmoins tous unis par de nombreux liens et philosophies de vie similaires. Guillaume, je te connaissais depuis des années et j’admirais ton travail : comme tant d’autres journalistes de la presse française, je me nourrissais de tes écrits et du plaisir de te côtoyer à chaque nouveau concert ou à chaque nouvel événement promo ou autre, où nous pouvions prendre plaisir à échanger. J’aime à penser qu’il y avait ce sincère respect mutuel entre nous, bardé d’humour puisque tu étais quelqu’un de si simple, de si gentil, de si spirituel et de si passionné. Comme pour beaucoup d’entre vous, collègues, confrères, j’étais admiratif de Guillaume pour avoir conservé cette âme d’enfant, fraîche et presque candide et qui, après tant d’années d’expérience dans le milieu, pouvait encore afficher une telle vitalité, un tel enthousiasme et un tel amour pour notre musique, évidemment communicatifs et contagieux.

Thomas Ayad, tu travaillais pour Mercury, label d’Universal, et je te croisais si souvent lors de manifestations ou journées promo de groupes que tu représentais… Tu étais un garçon si adorable, d’humeur égale, enthousiaste et investi dans ton travail, généreux et si aidant… Je me rappelle entre autres que grâce à toi et Léa, tu nous avais permis à ma fille et moi de nous glisser dans les coulisses de Bercy pour le dernier concert de BLACK SABBATH, où Ozzy était venu embrasser ma fille ! Et la dernière fois, c’était justement pendant la promo des EAGLES OF DEATH METAL aux Studios de la Plaine St-Denis : j’avais à nouveau emmené ma fille de 10 ans pour l’enregistrement de l’émission et tu avais pris soin d’elle pendant que je menais mon entretien avec Jesse et Josh… Elle garde un si bon souvenir de toi et est elle-même très triste…

Vous allez me manquer les mecs…

Et je pense évidemment du plus profond de mon cœur à toutes les victimes de toutes les saloperies de cette nuit du vendredi 13 novembre 2015, tout particulièrement à Anne Michel, El Tio Carlito, Françoise, mes copains, copines et connaissances qu’il va falloir accompagner de tout notre amour et de toutes nos forces, pour lutter contre des journées qui vont s’avérer très difficiles sur un plan psychologique et émotionnel, et savoir les accueillir au plus vite et au mieux dès qu’elles se sentiront prêtes à nous rejoindre aux prochains concerts. Car il y en aura, rapidement : on va reprendre nos habitudes, fiers, forts, et grands. Strong & tall.

LOVE

PEACE

DEATH METAL


Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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