12 avril 2016, 11:20

BLACKRAIN

"Released"

Album : Released

Pour être quelque peu attentif à ce qu’il se passe ici et là dans la scène glam-metal et sleaze, en allant dénicher des trucs directement à la source sur le Strip d’Hollywood, à Stockholm ou ailleurs, peu de groupes ont aussi bien résonné à nos oreilles que sur ce nouvel album de BLACKRAIN.

Déjà sensible à leur musique en les ayant découverts avec leur excellent deuxième album « License To Thrill » en 2008, on avait alors tout fait pour les faire apparaître au menu de la triple compilation « Be Naughty Be Hair Metal » en 2010, tant leur tube « True Girls Are 16 » semblait à merveille prolonger l’héritage des RATT, DOKKEN, SKID ROW ou POISON qui coloraient bien gaiement chaque CD de ce beau projet lui aussi made in France. D’autant que le morceau en a bluffé plus d’un, les victimes de divers blind-tests ayant peiné à trouver de quel groupe mythique de Los Angeles pouvait bien provenir cette chanson si fun et débridée, complètement dans l’esprit de la grande fête de 1987.     
Par la suite, l’album « Lethal Dose Of… » avait déçu, et honnêtement, « It Begins » nous avait paru bien trop propre et lisse : on ne retrouvait pas ce grain de folie et l’authenticité hautement électrique de leurs débuts, au profit d’une certaine sophistication qui desservait le propos et l’identité.

Vite hissé comme phénomène de foire forcément éphémère en participant à une émission discutable, BLACKRAIN s’est mis en danger : si j’ai pu applaudir l’audace et l’aplomb à monter devant des gueux en prime time (il en fallait dans le spandex pour affronter tant de préjugés et d’ignorance), autant étais-je sceptique quant aux retombées à long terme d’un tel événement dans leur carrière. Si BLACKRAIN aligne un certain nombre de concerts, notamment en première partie de quelques géants du hard-rock, il me semblait que plus de boulot sur les routes, à écumer de long en large tous les bouges, bars, clubs, festivals de France, de Navarre et d’Europe ou du Strip même paraissait nécessaire et plus que recommandé pour durcir le cuir de ces jeune gens sympathiques. Les choix n’ont pas été les mêmes que bon nombre de galériens de l’asphalte - qu’importe, heureuses connexions obligent, le groupe a pu enregistrer son précédent album auprès de la légende Jack Douglas, un immense producteur ayant entre autres défini le son AEROSMITH des années 70.

Après un hiatus douloureux et des problèmes internes à gérer, BLACKRAIN a néanmoins fini par retourner en studio sous la supervision du même homme : symbole de libération totale, tant sur sa pochette qu’avec son titre (« Released » !!!) et dans le son résolument festif et libéré. Aujourd’hui en 2016, Jack Douglas a fait des merveilles avec un groupe complètement épanoui et maître de sa destinée : sur le brulot "Back In Town", l’euphorie est palpable, autant que cette rage de vaincre, le mors aux dents - une forme d’ode à la libération, un retour sain à la créativité débridée. On sait Swan, le chanteur-guitariste et visionnaire du groupe un féru de W.A.S.P. : c’est précisément ce groupe qui vient immédiatement en tête à l’entame de cet album, Swan possédant dans sa voix les mêmes vibrations que Blackie Lawless, sa vigueur ainsi que l’aspect épique sur son refrain grandiloquent. La sensation est même renforcée sur le suivant "Mind Control", tant au niveau de la guitare rythmique en ouverture (un clin d’oeil à « 95 N.A.S.T.Y. » ?), qu’à ces inflexions dans la voix ; en tout cas, le résultat est brillant, le refrain étant ici renforcé par des choeurs féminins dynamiques et chaleureux.

Ailleurs, BLACKRAIN fait preuve de plus de diversité que jamais, ne déclinant aucune trouvaille pertinente, rayonnant dans son spectre d’influences tout en conservant une unité et une homogénéité dans l’esprit du disque. Certains morceaux peuvent s’avérer ainsi plus complexes que d’autres, tel ce "Killing Me" théâtral qui n’hésite pas à brasser speed-metal et gros son chromé avec incursions electro ultra modernes, voire dubstep . On n'en est qu’au quatrième morceau, mais déjà « Released » est impressionnant de maturité : "Run Tiger Run", quel refrain ! Toujours ces choeurs maîtrisés, des arrangements précieux et une fougue haletante, le groupe étant serré et plus fiable que jamais.
On retrouvera ailleurs du glam metal plus traditionnel façon RATT ou SLAUGHTER avec "Puppet On A String", léger mais qui aurait lui aussi eu sa place sur n’importe quel classique des années 89-91. BLACKRAIN aussi maître de son art que STEEL PANTHER ? Ils ont pour eux l’attitude mais surtout la science du refrain qui tue et une connaissance parfaite de ce superbe patrimoine des années 80, sans l’ombre d’un doute tant le mimétisme (sans plagiat aucun) est ici saisissant. 
Comme ivre d’expérimentations, BLACKRAIN est aussi à l’aise dans le registre plombé et heavy-metal (l’halluciné "Eat You Alive" et ses ambiances circus complètement folles et effrénées) que dans des orientations plus FM : "Words Ain’t Enough", la ballade mid-tempo "Home" (électro-acoustique plus typée BRITNY FOX ou BON JOVI) ou encore "Fade To Black", au piano mais qui évolue à une allure épique et prenante, orchestrée avec ces touches de clavier, ces choeurs encore une fois très présents et ces fulgurances de guitares. 
Aucun morceau faible, (si ce n’est cette ritournelle de choeurs, gimmick obsédant inhérent à chacun de leurs disques et qui revient une nouvelle fois nous irriter - heureusement en bonus caché sur un titre private-joke), et pas même cette reprise osée du classique des YARDBIRDS, "For Your Love", assez méconnaissable derrière des arrangements aventureux adaptés à leur univers - pas évident de s’accaparer un tel monument du rock des années 60 !
Et en parlant d’années 60, "Electric Blue" s’apparente à un hymne de l’époque : Jack Douglas se serait-il pris pour Phil Spector ? Une autre idée du mur du son en reprenant les clichés des chansons pour girls-bands façonnées par le gourou mégalo, genre SHANGRI-LAS ou RONETTES, à l’âge d’or d’une pop sucrée si méthodiquement composée dans des laboratoires tels que le Brill Building. Ici encore, choeurs enlevés, et guitare lead festive reprenant un thème qui semble si universel et familier à nos oreilles. Jack Douglas, encore, qui s’autorise là aussi un monologue macabre sur l’intro de "Rock My Funeral", nouveau tube complètement déjanté et alternative de premier choix pour égayer sa journée - une rythmique toujours aussi dynamique, des vocaux hystériques, un refrain à reprendre à pleins poumons et l’esprit de 1985 étalé en Technicolor. 
Enfin, de façon toute aussi cinématographique et néanmoins aussi logiquement ambitieuse, "One Last Prayer" vient clore cet album éblouissant comme une comédie musicale, plus typée britannique cette fois, une sorte d’au-revoir repris à l’unisson par tout un casting enjoué, avec une fin qui n’a rien de "français" (!!!) mais qui trahit cette libération, à la fois personnelle, professionnelle, et culturelle qu’éprouve le groupe à un moment charnière de sa carrière.

On n'aurait pas parié grand chose sur un groupe de glam provincial français, il y a quelques années encore. « Released » est un immense doigt d’honneur à cent millions de dollars, un plaisir construit et assemblé par un groupe de potes uni et qui ont bossé comme des titans pour faire, oui, ce qu’on n'aurait vraiment jamais imaginé : un vrai chef-d’oeuvre.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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