Je dois le reconnaître, « Vermis », quatrième et avant-dernier album des diables Néo-Zélandais ULCERATE m’avait laissé sur ma faim. Ses ambiances opaques, impénétrables ainsi que ses envolées rythmiques compactes, noirâtres et gluantes comme une tonne de goudron déversée dans les esgourdes avaient eu raison de mon acharnement. Une dizaine d’écoutes attentives et attentionnées, parfois pénibles, n’y avaient rien fait, j’étais resté à la porte des enfers. Pourtant le précédent méfait du trio, « The Destroyers Of All », m’avait complètement retourné avec son approche épique et majestueuse, à proprement parler incantatoire d’un death metal technique certes brutal mais toujours maîtrisé. Une vision unique du style et partagée avec de rares autres contemporains, GORGUTS, PORTAL ou MITOCHONDRION en tête de liste, qui redéfinissait la donne et proposait une alternative bienvenue entre boucheries gore, foires aux breakdowns et autres grinding bourrinages. Mais voilà, ce « Vermis » m’avait laissé un goût amer en bouche et j’étais plutôt curieux/inquiet de voir s’il allait persister dans cette sombre voie, quitte à laisser sur la touche une nouvelle fois ceux et celles qui l’avaient porté aux nues sur ses précédents méfaits.
La réponse est un "non", franc et massif. « Shrines Of Paralysis » est monstrueux. Proprement monstrueux du haut de ses presque cinquante-huit minutes dont aucune seconde ne se révèle usurpée. Oui, plus d’une dizaine d’écoutes attentives et attentionnées aboutissent à un constat simple : ULCERATE est aujourd’hui au firmament de son art. Tout y est embelli : ambiances doomesques pesantes et cathartiques, plans atmosphériques envoûtants, mélodies discrètes mais meurtrières (la deuxième partie de "Yield To Naught" en est la plus fidèle incarnation) et des parties de batterie tout simplement hallucinantes. Ou hallucinées, c’est selon. Aucun doute là-dessus, Jamie Saint-Merat est l’un des meilleurs batteurs en exercice aujourd’hui : la créativité de son jeu, la finesse de son toucher, la puissance irrésistible qui se dégage de chacune de ses frappes, méthodiques, en font un véritable monstre rythmique qui sublime la copie rendue ici. Et que dire de cette production qui tutoie la perfection, d’une subtile intensité elle aussi façonnée par les mimines expertes de Jamie, ici responsable en chef de l’enregistrement, du mix et du mastering de la bête.
Mais ce ne serait lui rendre justice que d’occulter le travail de titan réalisé par Michael Hoggard sur ses parties de guitares. Mélodiques, comme évoqué plus haut, elles prennent ici un malin plaisir à happer l’auditeur à grand coups de dissonances et de breaks irrésistibles. Quant à Paul Kelland, dont la basse renforce chaque coup de boutoir des collègues sans coup férir, ses growls sont une nouvelle fois au rendez-vous en matière de sauvagerie et de hargne. Pour sûr, ULCERATE ne triche pas. De chaque note, de chaque cri, de chaque frappe émerge une authenticité à fleur de peau. La technicité propre à sa musique n’est ici utilisée que pour mieux servir sa cause, ce fil rouge aux allures de dédale dans lesquels on tire un plaisir indicible à se perdre, tout comme cette atmosphère d’une noirceur presque palpable qui prend des allures mystiques et infinies, notamment sur l’impressionnant final "End Of Hope". La fin, oui, l’espoir, mais quel espoir ?
Les trois Néo-Zélandais, je le disais en introduction, sont ici au sommet de leur art. Les huit morceaux présentés sur « Shrines Of Paralysis » (dont le glaçant interlude "Bow To Spite") évoquent un groupe à la maturité indéniable et à l’envergure internationale. N’reste plus qu’à attendre, tapi dans l’ombre et l’angoisse, le prochain GORGUTS avant de proclamer qui coiffera pour de bon la couronne.
Le roi est mort, vive le roi !