20 août 2017, 22:12

ALICE COOPER

• Interview

Lorsqu'on affiche plus de 50 ans de carrière et 27 albums studio au compteur, que l'on a vu la terre entière et côtoyé ce qu'il s'est fait de plus gros, de plus célèbre et de plus prestigieux dans la plupart des domaines artistiques et du show-business, a-t-on quoi que ce soit à prouver et de neuf à dire ?
Ou tout simplement a-t-on envie d'aligner des journées de promotion-marathon comme ce fut le cas à Paris et dans d'autres villes en juillet dernier ? 
Oui, parce qu'on s'appelle Alice Cooper et que l'on n'est pas normal.
Pardon... que l'on est "paranormal".


Tout d'abord, nos félicitations pour ce nouvel album, "Paranormal", qui va assurément plaire à tous les fans d'Alice Cooper. 
Alice Cooper
: Je fais aujourd'hui des disques destinés aux fans. Nous ne sommes plus comme dans les années 70, lorsque on essayait de capter un nouveau public ; c’est génial si des gamins l'apprécient, mais désormais, j'oriente mes disques vers ceux qui nous soutiennent depuis quarante ans. Ils ne veulent pas se contenter que de vieilles chansons, ils en réclament aussi de nouvelles. Voilà pourquoi je fais toujours des disques aujourd’hui.

Est-il exact de penser que ton aventure avec THE HOLLYWOOD VAMPIRES t'a inspiré à explorer de nouveau le bon vieux classic rock, comme on le ressent à l'écoute de titres comme "Dead Flies", "Fallen in Love" et "Rats" ?
Alice Cooper
: Tu sais, je ne peux pas vraiment m’éloigner du classic rock et des années 70, tout simplement parce que cela fonctionne toujours. Il s’agit d’une configuration en musique dans laquelle nous sommes tous ancrés - les BEATLES, les ROLLING STONES, les YARDBIRDS - et après tu embrayes dans ta propre direction. Quasiment tous les bons groupes de hard rock remontent directement à Chuck Berry, car il s’agit de la base de ce rythme 4/4 - et par la suite tu trouves ton chemin pour en faire du Alice Cooper, et pareil pour GUNS N’ ROSES et AEROSMITH. Tout dépend de comment tu le joues et de la manière dont ta personnalité ressort. Pour Alice Cooper… Quelqu’un a dit un jour : "parler de musique c’est comme vouloir danser sur de l’architecture" : c’est pratiquement impossible ! Tu dois l’écouter, et ensuite, tu aimes ou tu n’aimes pas ! Mais c’est du hard rock basique, et il s’agit de la seule musique qui a traversé ces cinquante années sans jamais perdre de son mordant. Le grunge, le punk, le hip-hop, le disco, ont tous eu leurs moments, mais le hard rock a toujours préservé une constance. LED ZEPPELIN sera toujours LED ZEPPELIN, et même pour un gamin de seize ans. Et il y a quelque chose dans cette musique qui ne mourra jamais.

Du fait que tu sortes un album qui s'adresse aux vrais fans d'Alice Cooper, comprends-tu que certains s'attendaient presque à ce que "Paranormal" soit à 100% écrit et interprété par l'ancien ALICE COOPER BAND ?
Alice Cooper
: Personne ne pourrait dire que cela n’arrivera jamais : ce n’est simplement pas l'instant. Là, c’est juste que l’on s’est retrouvés tous ensemble : on a fait trois chansons ici, sur l’album d’avant c’était deux ou trois aussi. Et je ne sais même pas s’ils aimeraient tant que ça faire un nouvel album complet. Parce que lorsque tu as finalisé un album, il faut aller le promouvoir, il faut aller le jouer sur scène ; ce que l’on a fait cette fois. Chacun en a eu assez pour lui : que le groupe joue ensemble sur scène pour cinq chansons a été un vrai cadeau pour les fans. Je ne suis pas certain que l’on pourrait refaire une tournée du type "Billion Dollar Babies" aujourd’hui, parce que nous avions vingt-quatre ans à l’époque. Moi, je suis habitué à ça. Le show que je joue aujourd’hui est bien plus fatiguant que celui que nous jouions pour "Billion Dollar Babies" lorsque nous étions plus jeunes. Ces gars n’ont pas pratiqué depuis très longtemps, et je ne sais pas s’ils aimeraient tant que ça le faire. Mais je n’ai aucun problème à enregistrer avec eux et à faire quelques trucs sur scène ; chacun doit suivre son petit bonhomme de chemin : si ça doit arriver, ça arrivera, sinon…. Tu sais, le public a tout de même un joli petit aperçu de tout ça sur ce disque.

Ca ne te manque pas ce groupe, à l'époque où les choses étaient plus spontanées, où tu ne passais que 15 jours en studio pour enregistrer un disque ? 
Alice Cooper
: Tu sais, le groupe qui m'accompagne aujourd’hui est le plus fort et le plus précis que je n’ai jamais eu. Ces musiciens sont vraiment forts. Ils ne commettent aucune erreur sur scène ; chaque soir, je monte sur scène et je sais parfaitement que le groupe sera complètement à fond. C’est génial pour moi. Lorsque je tourne avec eux, ils sont ma famille. Tu n’entends que des rires en backstage. Non seulement sont-ils forts mais ce sont aussi les meilleurs amis qui soient, et on n’entend personne se crier dessus. Les conflits ne me manquent absolument pas. Dans le groupe originel ? Il y avait des tensions et des frustrations. Si tu réunis cinq frères tous ensemble, c’est ce que tu vas avoir. Et ça ne me manque pas. J’apprécie particulièrement que chacun soit professionnel : chaque soir, ils déchirent. Neil, Dennis, Mike et moi avons toutefois passé l’éponge sur tout ça ; on est juste heureux de pouvoir rejouer ensemble à nouveau, et c’est fun. Mais je ne sais pas s’il y aura une grande tournée à l’avenir. Ce qui est sûr, c’est qu’ils vont venir jouer sur nos shows en Angleterre, et c’est formidable. Et qui sait ce qui pourrait arriver à partir de là.

"Paranoiac Personality" fait penser à des sonorités anciennes de PINK FLOYD qui lui-même avait emprunté aux premiers Alice Cooper. La boucle est bouclée, en somme !  Cela veut-il dire que le rock 'n' roll ne se réinvente pas aujourd'hui et que nous sommes dans un cycle permanent d'inspirations puisées à ses pairs ?
Alice Cooper
: Oh oui ! Tout le monde doit quelque chose à quelqu’un d’autre. A moins qu’il s’agisse d’un pillage bien spécifique, là c’est différent. Mais lorsque nous avions composé "No More Mr. Nice Guy", on écoutait énormément les WHO - et en particulier le morceau "Substitute". Et quand on écrivait cette chanson-là, on a pu y retrouver énormément d’éléments de "Substitute". Et même Roger Daltrey, sur un album tribute à Alice Cooper, a repris "No More Mr. Nice Guy" ! "Je me sens tellement à l’aise à chanter cette chanson" : ben oui, c’est "Substitute" ! Mais ça nous faisait rire. On savait qu’on empruntait. Les BEATLES ont piqué chez Chuck Berry, les BEACH BOYS ont piqué chez Chuck Berry ; les BEATLES et les BEACH BOYS se sont mutuellement piqué des plans. Nous-même avons emprunté aux WHO et aux YARDBIRDS, PINK FLOYD nous ont piqué les choeurs des gamins de "School’s Out" pour "The Wall". Et à mes yeux, c’est un compliment si on veut nous emprunter quelque chose dont nous sommes à l'origine. D’évidence, lorsqu’on tire notre chapeau à quelqu’un, comme sur "Elected" - c’est un hommage à Pete Townsend ! C’est du pur Pete Townsend ! Alors, on lui rend hommage. Et c'est comme ça qu'il le perçoit. Quant aux BEATLES, ils ont pu se retrouver partout, parce que les BEATLES ont influencé tout le monde.

Alice Cooper et le producteur Bob Ezrin ont pratiquement créé réciproquement la carrière de l'autre au début des années 70...
Alice Cooper
: C'est rigoureusement vrai...

Comment définis-tu vos relations professionnelles aujourd'hui, compte tenu de vos egos et de vos expériences mutuelles ? 
Alice Cooper
: Bob Ezrin a été notre George Martin. Ce que George Martin a fait pour les BEATLES, Bob Ezrin l’a fait pour nous. Et il a grandi comme nous à inventer Alice. Nous avons créé Alice tous ensemble, sur la même route. On a appris des trucs sur Alice, et lorsque je jouais Alice sur scène, Bob pouvait revenir me voir, avoir une idée et me dire :
-"Oh, tu sais, ce truc que tu as fait sur scène hier soir, on devrait faire une chanson autour de ça". Les deux seules personnes qui connaissent mieux que quiconque le personnage d’Alice Cooper sont Bob Ezrin et moi. Lorsque j’écris une chanson, je ne l’écris pas pour moi, on l’écrit pour Alice. Je peux écrire des paroles, et Bob les regarde :
- "D’accord, mais attends une minute : Alice ne dirait jamais une chose pareille. Toi oui, mais pas Alice".
- "OK, tu as raison" - et donc on le réécrit de la manière dont Alice le dirait. On écrit pour le personnage, pas pour moi. C’est plutôt amusant, en fait. Je peux me distancier de la façon dont je vois les choses, et me mettre du point de vue d’Alice. Et lorsque je joue Alice, toutes les choses qu’il chante sont des choses qu’il dirait. Donc les deux seules personnes qui connaissent Alice sont Bob Ezrin et moi-même. Les gens peuvent nous amener une chanson en disant : "voilà, ça c’est typiquement du Alice !" - mais non, Alice ne parlerait jamais de cette manière !

Avoir des invités sur un album d'Alice Cooper, c'est devenu une tradition depuis l'album "Muscle of Love" en 1973 quand tu accueillais alors Liza Minnelli ou encore THE POINTER SISTERS et Ronnie Spector. Ce fut même un argument presque commercial mis en avant sur "Trash" ou "Hey Stoopid". Que doit-on voir derrière ces participations ? De l'expérimentation ? Un petit plaisir inavoué à inviter des amis pour jammer ou simplement du bonus ?
Alice Cooper
: Parfois, c’est juste la chanson qui appelle ça. Lorsqu’on a écrit "Fallen In Love - And Can’t Get Up", il suffisait de l’écouter pour se regarder et se dire : Billy Gibbons. Il n’y aurait jamais eu d’autre meilleur guitariste qui aurait convenu à ce morceau que Billy Gibbons. Et lorsqu’on l’a appelé pour lui demander de l’enregistrer, il nous a répondu d’office : "yeah, je suis partant !". Parce que c’est complètement son style. Et lorsque tu choisis un batteur, tout spécialement quelqu’un qui ne joue jamais ailleurs sur les albums des autres, et bien tu dois choisir le bon ! Les BEATLES n’auraient jamais été les BEATLES avec Keith Moon ! Ils devaient avoir Ringo Starr pour être les BEATLES ! Les WHO n’auraient jamais été ce qu’ils sont avec Ringo Starr : ils devaient avoir Keith Moon ! Le parfait batteur pour ce groupe. Donc pour cet album, on s’est posé, et on a fait le point sur les batteurs, et Bob a dit :
- "Partons dans une toute autre direction. Prenons Larry Mullen de U2. Je le connais. Il ne joue jamais de musique avec d’autres artistes, et je suis sûr qu’il va générer une toute nouvelle assise pour cet album".
- "Mmmh, excellente idée, essayons !"
Larry était partant, il a de suite voulu voir les paroles, interpréter les paroles, et tout le son de l’album s’est vu changer. Ça n’aurait pas été comme ça (…), mais tout autrement. Le mec est un batteur incroyable - mais il ne joue pas comme tout le monde. Et c’est exactement ce que l’on voulait : un mec qui ne joue pas comme tout le monde. Et ça a donc été vraiment fun de jouer avec Larry Mullen. Après, je ne sais pas s’il l’aurait fait sur l’album de quelqu’un d’autre, mais il l’a fait pour celui-ci. Là c’est sur bande, et c’est là : c’est un morceau d’art ! Je suis vraiment heureux qu’il ait joué avec nous.
 


 

"Tout le monde voulait être autour de nous, parce que nous étions dangereux. Très dangereux. Et donc, les Salvador Dali, tous ces gens, et même les politiciens voulaient être vus avec Alice Cooper.".


BONUS INTERVIEW VIDEO

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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