30 octobre 2017, 22:18

Martin Eric Ain (CELTIC FROST)

• Thomas Gabriel Fischer rend hommage à son ami dans une longue lettre


« Parce que c’était lui, parce que c’était moi. » Le 21 octobre dernier, Martin Eric Ain (à droite sur la photo), qui fut bassiste de HELLHAMMER et de CELTIC FROST, était foudroyé par une crise cardiaque. Thomas Gabriel Fischer (à gauche sur la photo), alias Tom G. Warrior, qui fut chanteur et guitariste des deux formations mythiques, lui a rendu un long et vibrant hommage que nous vous livrons.
 

« Ces dernières années, j’ai dû rédiger un nombre troublant de notices nécrologiques, pour des personnes très proches ou pour d'autres qui avaient une importance bien distincte dans ma vie. Mais celle-ci est, de loin, la plus difficile que j’aie eu à écrire.

Parce que Martin Eric Ain était quelqu’un d’absolument unique.

Martin faisait partie de moi et moi de lui. Nos vies étaient entremêlées dans une symbiose qui, parfois, ressemblait à un mariage, bien que notre relation ait été complexe et qu’elle ait été fréquemment troublée par des désaccords. Nous avons tous deux eu un impact évident sur la voie que nous avons chacun suivie, et nous devons tous deux à l’autre d’avoir pu échapper aux entraves de l’environnement qui a défini notre adolescence.

J’ai fait la connaissance de Martin à l’époque où HELLHAMMER a enregistré la démo « Triumph Of Death », quand Steve Warrior et moi passions nos samedis soirs dans les “soirées Heavy Metal” qui étaient à la mode à l’époque. Un de ces événements s’appelait Quo Vadis et avait lieu dans le village de Wallisellen, en Suisse, où vivait Martin.

Je l’ai interviewé pour mon second livre, en septembre 2007, et il a dit : « La première fois que j’ai vu Tom et Steve Warrior, ils faisaient partie d’un groupe de quatre ou cinq fans de metal et ils headbangaient à l’unisson tandis que les gens autour d’eux, qui n’étaient pas fans de cette musique, les regardaient fixement. Quand ils se déplaçaient, c’était comme un mur de cuir mouvant et tout le monde s’écartait. Il émanait d’eux de la puissance et de la violence et j’ai été extrêmement impressionné.

Ces mecs nous intimidaient. Ils portaient des lunettes de soleil et leurs vestes étaient couvertes de logos et de patchs de groupes obscurs dont nous n’avions jamais entendu parler. Ils portaient des bottes, des vestes en cuir, des cartouchières, de grands bracelets à clous et même des guêtres cloutées. Ils avaient tous les cheveux longs et trois ou quatre ans de plus que nous. On était époustouflé. C’est comme si des membres de MOTÖRHEAD ou de JUDAS PRIEST s'étaient tenus devant nous. Ils semblaient sortis d’une pochette d’album.

Tout à coup, il y a eu un groupe radical dans notre vie de tous les jours. Mes parents avaient peur que Tom nous entraîne dans la violence, les drogues et d’autres activités illégales. Ils n’ont jamais compris la véritable menace qui émanait de lui. Comme tant de gens, ils ne comprenaient pas la puissance de cette musique. Pour eux, le metal n’était qu’une phase ridicule, rien de plus que du bruit. Ils pensaient que jamais personne ne prendrait ça au sérieux. Ils sont complètement passés à côté du fait que cette musique a entraîné en moi une radicalisation et le désir de définir ma vie avec cette musique. »

Martin et moi sommes rapidement devenus des amis proches. Nous avons passé un nombre incalculable de nuits à découvrir la musique ensemble, à discuter de livres, d’histoire, de religion, d’occultisme et d’art. Suite à quoi l’un de nous devait rentrer chez lui dans son village à vélo ou à pied en traversant de sombres forêts. L’intelligence, l’horizon et la vision de Martin étaient vraiment remarquables. Je suppose que ce n’était qu’une question de temps avant que nous commencions à composer de la musique ensemble mais au départ, Martin manquait de confiance en lui et hésitait. Il a alors adopté le nom de guerre de “Mart Jeckyl” et il est devenu manager de HELLHAMMER, non sans nous donner de nombreux détails sur la façon dont nous pouvions améliorer notre concept, notre image et nos textes. A l’époque, il n’avait que 16 ans !

Quand HELLHAMMER a sorti la démo finale qui nous a permis de décrocher notre premier contrat, Martin avait coécrit certains de nos lyrics et faisait quelques chœurs. Et puis il est finalement devenu notre bassiste pour de bon. Il y a eu une accélération dans le développement du groupe et seulement cinq mois plus tard, nous avons éprouvé le besoin d’élargir radicalement l’étendue de notre alliance en repartant de zéro avec un nouveau projet. C’est ainsi qu’est né CELTIC FROST dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1984.

Martin était l’une des très rares personnes prêtes à s’embarquer dans ce voyage avec moi, sans le moindre compromis, contrairement à de nombreux autres qui se contentaient de paroles vides avant de se rétracter. Martin, qui était complètement autodidacte, est devenu un superbe bassiste d’une grande originalité avec une facilité assez inouïe pour apprendre très rapidement des morceaux. Et même si, au départ, il ne composait que très peu de musique, ses nombreuses autres contributions étaient tout aussi importantes. Le caractère unique de CELTIC FROST dépendait fortement de notre collaboration créative, comme je le prouverais bêtement et par inadvertance quelques années plus tard. Au cours des 34 années où nous nous sommes connus, nous avons expérimenté et survécu ensemble à peu près à toutes les situations possibles et imaginables, la moindre n’étant pas la destruction – à deux reprises ! – de CELTIC FROST.

Mon partenariat avec Martin Eric Ain a joué un rôle majeur en me permettant de concrétiser mon rêve d’adolescent de devenir musicien. Pourtant, il est plus difficile de déterminer la motivation personnelle plus profonde qui a poussé Martin à poursuivre cette quête. Je pense que c’était plus en rébellion envers l’environnement dans lequel il a grandi et qu’une fois qu’il l’a réalisé, la musique n’a plus eu la même importance pour lui. Il est ensuite devenu un entrepreneur très intuitif et florissant et s’est lancé dans des entreprises à l’opposé même des valeurs qu’il avait défendues avec tant de ferveur dans sa jeunesse.

Il s’est passé la même chose après que CELTIC FROST se soit reformé en 2001, ait enregistré le triomphal « Monotheist » et soit parti en tournée mondiale. Alors qu’au départ, Martin avait convenu avec moi que ce serait une réunion à long terme, il me confia vers la fin du tour qu’il considérait que nous avions suffisamment fait nos preuves et qu’il ne voyait pas la nécessité d’enregistrer un nouvel album, du moins pas dans un avenir proche. De plus, il était fatigué de tourner et de maintenir un groupe dans un paysage musical qui avait beaucoup changé et préférait visiblement la vie relativement confortable et lucrative qu’il menait à Zurich en tant que gérant de clubs et de bars. Son attention était déjà ailleurs et j’ai alors compris que pour lui, une fois encore, la réunion avait servi un objectif différent.

Martin avait une personnalité complexe, empreinte de contradictions et de complaisance (et je suis certain qu’il disait la même chose de moi). Il m’accusait souvent de démesure (et il n’avait sans doute pas tort) et pourtant, à des niveaux différents, il était lui-même à la poursuite de la démesure. Bien sûr, il en était conscient et un jour, il a même qualifié de « pathologique » son âpreté au gain. Sa volubilité masquait ses incertitudes et son malaise à trop révéler ses émotions. C’était le meilleur et le plus généreux des amis dont on pouvait rêver, comme ceux qui ont eu la chance de le côtoyer de près le confirmeront. Et pourtant, dans une interview publiée en Suisse en janvier 2010, il a déclaré : « Je n’aime pas les gens trop narcissiques qui finissent par blesser les autres, bien que je me sache moi-même coupable d‘une telle attitude. »

Il choisissait souvent la voie de la moindre résistance ou s’abstenait de prendre parti au lieu d’agir sans hésiter pour apaiser les conflits de plus en plus nombreux qui agitaient le groupe. Il a assisté à la longue et douloureuse autodestruction de CELTIC FROST avant de me dire, un mois après mon départ du groupe, que s’il s’était exprimé, tout aurait été sauvé. Mais à ce moment-là, Martin en avait tellement assez de ce groupe dysfonctionnel et, j’en suis convaincu, il était secrètement soulagé que je sois parti, ce qui lui a évité d’avoir à le faire lui-même. Mais j’ai souvent eu le sentiment qu’à partir de ce moment-là, une partie de lui a éprouvé un sentiment de culpabilité tenace.

Perdre un être cher n’est pas nouveau pour moi et la mort n’est pas un concept abstrait ou qui m’intimide. Mais le fait qu’un ami d’une telle importance ait été arraché à la vie est particulièrement douloureux. Je suis heureux d’avoir été l’instigateur de la réunion de CELTIC FROST en 2001 et d’avoir pu ainsi côtoyer le musicien et le compositeur étonnamment doué qu’était devenu Martin. Au-delà du travail intense que cela a demandé, partir une dernière fois en tournée mondiale avec lui était un privilège. En fait, chaque minute passée en sa compagnie était un privilège, et cela tient compte de notre dernière rencontre quand nous avons pris un café ensemble, peu de temps avant sa mort.

La disparition de Martin m’affecte profondément. Le monde ne sera plus jamais le même maintenant qu’il n’est plus là. Sa mort signifie la fin d’une ère, pour notre musique et à un niveau profondément personnel. Moi qui étais l’aîné, j’avais toujours pensé inconsciemment qu’il me survivrait et qu’il deviendrait le gardien de l’héritage que nous avions créé ensemble. Le choc causé par sa mort prématurée, la douleur et la solitude sont insupportables et impossibles à surmonter.

Martin, tu vas profondément me manquer jusqu’au jour où, moi aussi, je partirai. »

Blogger : Laurence Faure
Au sujet de l'auteur
Laurence Faure
Le hard rock, Laurence est tombée dedans il y a déjà pas mal d'années. Mais partant du principe que «Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux» et qu'elle écoute toujours la musique sur 11, elle pense être la preuve vivante que le metal à haute dose est une véritable fontaine de jouvence. Ou alors elle est sourde, mais laissez-la rêver… Après avoir “religieusement” lu la presse française de la grande époque, Laurence rejoint Hard Rock Magazine en tant que journaliste et secrétaire de rédaction, avant d'en devenir brièvement rédac' chef. Débarquée et résolue à changer de milieu, LF œuvre désormais dans la presse spécialisée (sports mécaniques), mais comme il n'y a vraiment que le metal qui fait battre son petit cœur, quand HARD FORCE lui a proposé de rejoindre le team fin 2013, elle est arrivée “fast as a shark”.
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