19 novembre 2017, 16:54

AC/DC

• Il y a 25 ans : interview de Malcolm & Angus Young

 

A l'annonce, hier, de la disparition à l'âge de 64 ans de Malcolm Young, co-fondateur et guitariste d'AC/DC jusqu'en 2014, nous aurions pu recueillir des témoignages ou assembler à la va-vite une nécrologie de circonstance en piochant ici et là des bribes biographiques.

Nous préférons, au contraire, pour une ultime fois, parler de Malcolm... en laissant parler Malcolm.
En ce mois de novembre 1992, il y a tout juste 25 ans, HARD FORCE publiait l'interview d'Angus et Malcolm Young pour la sortie de l'album "Live" d'AC/DC.
Les occasions d'avoir la fratrie réunie en entretien n'auront pas été nombreuses durant les trois décennies d'existence de notre média. Ce document en est d'autant plus précieux.
(Christian Lamet)


Rencontre avec Angus et Malcolm Young
par Henry Dumatray


Lorsqu'on regarde la vidéo live qui accompagne votre nouvel album, il est difficile d'imaginer que c'est vraiment vous qui répondez aujourd'hui à cette interview !
Angus Young : Eh bien, nous sommes très différents dans la vie courante de ce que nous sommes sur scène. Devant le public, nous ne sommes plus les mêmes et si tel n'était pas le cas, ce serait très difficile pour tout le monde. Et je pense que personne n'oserait nous fréquenter. Si nous étions sans cesse en plein débauche comme nous le sommes en concert, nous serions probablement internés quelque part dans un hôpital psychiatrique !

Les albums live représentent souvent un tournant dans la carrière des groupes. Qu'en sera-t-il pour vous ?
Angus Young
: Un tournant vers la gauche ou vers la droite ?
Malcolm Young : C'est toujours mieux de sortir un "live" qu'un "Greatest Hits", n'est-ce pas ? Je comprends ce que tu veux dire. C'est vrai que lorsque tu dresses un bilan, tu peux t'apercevoir que la musique a évolué au fil des années, mais je ne pense pas qu'AC/DC soit dans ce cas-là. Depuis "If You Want Blood", nous n'avons fait que poursuivre dans cette même voie. Il n'y a pas eu de changements majeurs, musicalement s'entend. Ce "Live" est comme une borne kilométrique qui pour nous marquerait l'année 1991. Les gens se diront en écoutant "If You Want Blood...", c'est ainsi qu'ils étaient à l'époque ; puis, lorsqu'ils écouteront "Live", c'est ainsi qu'ils étaient en 1991.
 

Nous ne sommes pas vraiment des musiciens,
mais des machines à pondre du rock 'n' roll.​
-
Malcolm Young


AC/DC ne changera donc jamais de musique ?
Malcolm Young
: Nous ne pouvons pas, nous ne sommes pas assez doués pour nous permettre cela (rires) ! Nous ne sommes pas vraiment des musiciens, mais des machines à pondre du rock 'n' roll. Les musiciens sont des gens plus axés sur l'art. Ils peuvent lire la musique sur des partitions et la jouer ensuite avec dextérité... mais là n'est pas notre propos.
Angus Young : Nous jouons du rock 'n' roll libre, qui coule de source. Ce que nous faisons vient du coeur, pas de la technique.
Malcolm Young : Nous sommes avant tout des performers. Notre musique est celle que nous aimons et que nous jouons le mieux. On reste avec ça, pas besoin de faire autre chose.

Durant toutes ces années, vous avez tout de même dû acquérir un certain niveau, même contraints et forcés !
Angus Young : C'est vrai. Nous aimons être bons dans ce que nous faisons, mais nous ne sentons par le besoin ni l'envie de faire autre chose. Essayons de voir quels sont les points communs que nous possédons éventuellement avec les musiciens. Premièrement : nous savons comment faire notre musique, eux aussi. Nous aimons en effet savoir ce que nous exécutons avec notre instrument, mais la comparaison s'arrête là. Dire que nous apprenons à maîtriser notre instrument pour nous exprimer individuellement serait erroné, car c'est quand ses cinq membres sont réunis qu'AC/DC existe, que la musique de ce groupe prend corps. Cela n'a rien d'individuel : je ne pourrais pas me déplacer partout sur scène s'il n'y avait pas derrière moi des gens qui faisaient le reste du boulot. AC/DC n'existerait pas sans eux. C'est donc en additionnant les compétences de chacun de ses membres qu'AC/DC fait son rock 'n' roll. La performance et la puissance proviennent de l'interaction des cinq gars qui forment le groupe.
Malcolm Young : Nous avons aussi une certaine liberté qui vient du fait que nous ne sommes pas enfermés dans un carcan que représenterait une partition. Nous ne sommes pas obligés de faire le même solo chaque soir et d'ailleurs, c'est loin d'être le cas.

S'agit-il là des bases du rock 'n' roll ?
Angus Young : C'est tout à fait juste.
Malcolm Young : Je me souviens de l'époque où personne ne nous connaissait encore, quand nous n'avions que très peu de morceaux à nous. Nous devions jouer quatre longues heures et pour cela, nous faisions durer les compos que nous avions à l'époque pendant une quarantaine de minutes ! Et les gens étaient contents. Nous ne savions pas où nous allions lorsque nous entamions le morceau : l'improvisation était totale et nous étions guidés par je ne sais quoi. Si nous essayons de jouer en nous appliquant d'un point de vue technique, en faisant bien gaffe à nos instruments et aux notes qui s'écoulent de ceux-ci, les gens n'apprécient pas. Mais si nous jouons comme nous le sentons, suivant le feeling du moment, alors les choses se passent à merveille.

Ce n'est pas de la musique qui vient du cerveau, mais du corps tout entier !
Angus Young : Ouais, de la musique qui vient des couilles !



Comment pouvez-vous être à 100% de votre potentiel sur des tournées aussi longues ?
Malcolm Young : Nous ne sommes pas à 100% chaque soir. Tu ne t'en rends pas compte quand tu es dans la salle, mais un soir, Angus peut avoir un moment de flottement, par exemple, mais cela ne se remarque pas, car un groupe, c'est avant tout un ensemble. C'est un peu comme une équipe de football : tous les joueurs ne peuvent pas être au mieux de leur forme à tous les matches, mais le collectif permet de masquer les carences individuelles, et une équipe peut très bien gagner même si un de ses membres n'est pas à fond dans le coup. Si Angus casse une corde, il sort de scène pour changer de guitare, et je suis là avec les autres en essayant de faire quelque chose pour remédier à ce qui est arrivé.
Angus Young : Nous avons également énormément de respect pour les gens qui viennent nous voir. Ils veulent un concert à la hauteur de leurs espérances, et payent leur place un bon prix pour ça, pas pour te voir balancer des trucs du genre : "ce soir, je ne me sens pas très bien, je vais aller me coucher et réveillez-moi quand ce sera terminé !". Je peux te dire que je ne renoncerai jamais à donner le meilleur de moi-même et ce, même si les gens me balançaient des canettes à la figure. J'essayerais de toute façon de leur donner ce que je peux de mieux. Et puis, la raison pour laquelle je me donne à fond à chaque concert est bien simple : je n'y suis pour rien, je ne fais que suivre ma guitare ! (rires) C'est vrai, c'est elle qui m'envoie aux quatre coins de la scène, c'est elle qui me fait gigoter dans tous les sens ! Rien d'autre. Et quand je la trouve trop lourde, je pars en avant !

As-tu un entraînement physique particulier pour tenir tout ce temps ?
Angus Young
: Certainement pas !
Malcolm Young : Comment pourrait-il avoir un quelconque entretien physique lorsqu'il est en tournée ? C'est impossible, il voyage en bus, arrive le jour-même sur les lieux du concert et, crois-moi, quand il descend de scène, il pense à toute autre chose qu'à faire de la gonflette ! Il en serait totalement incapable ! Ce dont il a le plus besoin, c'est de repos en fait. D'ailleurs, il tente de sommeiller un peu entre son arrivée dans la ville et l'heure du concert. S'il a la forme, c'est parce qu'il fait de l'exercice sur scène, tout simplement.
Angus Young : Parfois, trop de repos me déplaît et j'éprouve comme un besoin vital de ressentir ce flux incroyable qui m'arrive en pleine figure chaque fois que je me retrouve devant un public.

Durant toutes ces années, n'avez-vous jamais ressenti l'envie de quitter ce milieu et de ne plus faire de musique ?
Angus Young
: Si, à chaque tournée, nous ressentons cela.
Malcolm Young : Cette dernière tournée s'est merveilleusement déroulée. Nous l'avons achevée par trois concerts en extérieur durant des festivals et nous avions toute la place pour nous exprimer. Nous avons donc fini à fond et très heureux. Mais il faut tout de même songer à prendre le temps de recharger les batteries avant de repartir : c'est indispensable.

Honnêtement, n'avez-vous pas attendu que le public témoigne d'une bonne réaction sur un de vos albums studio (ce qui fut le cas pour "The Razor's Edge") pour sortir cet album "live", attendu depuis fort longtemps déjà ?
Angus Young : Nous avons toujours...
Malcolm Young : Honnêtement, c'est ce que nous avons fait. Et le disque est aussi pour Brian. C'est un membre du groupe et il a eu la lourde tâche de succéder à Bon Scott, personnage qu'il a toujours admiré, même avant de faire partie d'AC/DC. Sur scène, 70% des titres qu'il chante ont été écrits à l'époque de Bon. "Back in Black" et "For Those About To Rock" ont eu du succès, ainsi que "The Razor's Edge".
Angus Young : Il y a ce que nous faisions il y a douze ans, mais aussi ce que nous faisons maintenant. Nous sommes toujours restés loyaux envers Bon et je continue de penser que c'était un mec formidable.
 

S'il est un élément qu'il ne faudrait pas enlever à AC/DC, c'est Angus.
Il est là depuis le début et sans lui, le groupe n'aurait plus de raison d'être.
-
Malcolm Young​



Le public continue d'admirer Bon, mais Brian est désormais plus qu'accepté.
Angus Young
: C'est vrai.
Malcolm Young : Certains se sont dit qu'AC/DC était mort avec Bon, mais il y a beaucoup de nouveaux fans qui se sont intéressés à Bon par l'intermédiaire de Brian, parce que l'époque qu'ils connaissaient était récente, et cela les a incités à se pencher sur le passé du groupe. S'il est un élément qu'il ne faudrait pas enlever à AC/DC, c'est Angus. Il est là depuis le début et sans lui, le groupe n'aurait plus de raison d'être.
Angus Young : Et puis, de toute façon, je ne pourrais pas trouver de job ailleurs ! (rires)

Je crois que bon nombre de groupes t'accueilleraient à bras ouverts !
Angus Young
: AC/DC, c'est ce que je fais de mieux. Et puis, lorsque je vois les autres membres du groupe, je me dis qu'ils sont soudés à moi, comme indissociables. Il est impossible de faire une bonne bataille en envoyant simplement des fantassins en avant. Il faut un bon pilonnage d'artillerie en règle pour garantir le succès. Brian et moi, nous sommes les plus en vue, mais il ne faut pas oublier que derrière, il y a une rythmique qui pilonne l'ennemi et nous soutient constamment. J'ai absolument besoin de me sentir en pleine sécurité pour faire ce que je fais. Brian et moi devons être poussés par cette structure à l'arrière. C'est cela AC/DC. Il nous faut des bases solides pour bâtir nos concerts. Si elles n'existaient pas, je ne serais pas à mon aise et le public s'en apercevrait aussitôt. Il est impossible de duper le public. On pourrait également nous comparer à une équipe de rugby. Il y a ceux qui prennent le ballon : ce sont les avants qui font le travail de sape et les arrières ont le beau jeu pour aller aplatir l'essai.
Malcolm Young : D'ailleurs, le bruit que nous faisons est assez similaire à celui d'une équipe de rugby !

Avez-vous des morceaux favoris dans votre répertoire ?
Angus Young
: Bien sûr. Il y a même des chansons écrites il y a très longtemps que je continue à apprécier de la même façon qu'aujourd'hui. Parfois, je me surprends à en réentendre certains à la radio. Laisse-moi te raconter une petite anecdote... J'étais en train de regarder la télé et il y avait une remise d'awards quelconque. Là, je voyais tous ces gens en costume qui allaient un par un chercher leur récompense. Nous n'avons jamais reçu de prix, sauf peut-être celui de "plus grands fouteurs de bordel de l'année", mais à la fin de cette cérémonie, quel morceau ont-ils passé à ton avis ? "It's a Long Way To The Top (If You Wanna Rock 'n' Roll)" d'AC/DC. Dès que tu entends les premiers accords, tu sais immédiatement que c'est AC/DC. Eh bien, nous sommes toujours comme ça, toujours fidèles à l'esprit de ces anciens morceaux. Et quand nous faisons des concerts, le public veut entendre nos classiques. Il vient pour cela. Si nous ne jouions pas ces titres, ce ne serait pas vraiment un concert d'AC/DC. Nous avons une batterie d'anciens morceaux que nous n'avons pas joué depuis un bon bout de temps et chaque soir nous en prenons certains et les essayons afin de voir quelle réaction ils suscitent. Parfois ils sont adoptés du premier coup par l'assistance, et d'autres demandent quelle reprise nous sommes en train d'exécuter !
Malcolm Young : Quand nous avons joué "Dirty Deeds..." récemment, certains fans assez jeunes ont cru que c'était une reprise de Joan Jett !

C'est un compliment ! A ce propos, quel est le plus beau compliment que vous ayez reçu ?
Angus Young
: Il y a beaucoup de compliments plaisants qui nous sont parvenus. Par exemple, lors de notre dernière tournée, nous sommes allés en Espagne. Cela faisait dix ans que nous n'y étions pas passés et dès que nous nous sommes pointés là-bas, nous avons immédiatement senti que nous étions les bienvenus. C'est un super compliment, sans doute le plus beau. Il y a dix ans, le gouvernement nous avait admonesté de ne pas jouer à cause des problèmes que nos concerts provoquaient, soi-disant. Cela n'avait rien à voir avec nous. En réalité, nous n'étions que des boucs émissaires. Et dix ans plus tard, certaines personnes qui étaient jeunes à l'époque et achetaient nos disques, sont désormais au gouvernement et nous demandent de venir ! C'est également un magnifique compliment.

Peut-on dire qu'AC/DC est un groupe qui appartient véritablement à ses fans ?
Malcolm Young
: Oui, je le crois bien. Il y a le groupe et ses fans. AC/DC n'appartient certainement pas au business, en tout cas. Les gens savent que nous sommes honnêtes vis-à-vis d'eux.
Angus Young : Quand nous faisons un album, le seul témoin que nous avons, c'est la réaction de nos fans à l'égard de celui-ci. Il est possible par divers artifices de vendre un sacré paquet de disques, mais les gens qui viennent te voir en concert témoignent davantage de l'impact que tu as.
Malcolm Young : AC/DC n'a jamais bénéficié d'autre chose que du soutien des magazines de rock. Nos titres n'ont jamais été des singles que l'on passe en radio à longueur de journée, et pourtant nous remplissons les salles.

Si vous appartenez réellement à votre public, vous ne pourrez jamais interrompre votre carrière tant que les gens voudront vous voir sur scène. Ne vous sentez-vous pas un peu "prisonniers" ?
Angus Young
: D'une certaine façon, si, mais ce n'est pas désagréable, loin s'en faut ! Nous sommes de riches prisonniers.
Malcolm Young : C'est vrai que nous sommes riches ! Alors, je veux bien arrêter, mais je ne rendrai jamais mon argent ! (rires collectifs)
 

Il ne faut pas aller contre nature.
Angus est viscéralement un soliste et moi un rythmique.
-
Malcolm Young


Angus, tu es toujours le guitariste soliste et Malcolm, le rythmique. N'avez-vous jamais eu envie d'inverser les rôles, pour le fun ?
Angus Young
: Nous l'avons fait dans un club. Malcolm est aussi un bon guitariste en solo. Cela dit, il a la rythmique dans le sang et il la joue merveilleusement bien. Note bien que si un jour le public se met à scander "Malcolm ! Malcolm !", c'est lui qui fera le soliste ! Vous savez ce qui vous reste à faire.
Malcolm Young : Si nous faisions cela, les gens ne réaliseraient pas vraiment ce qui arrive et je me ferais certainement lyncher ! Non, sérieusement, je crois qu'il ne faut pas aller contre nature. Angus est viscéralement un soliste et moi un rythmique. Voilà tout.


Photos archives presse HARD FORCE D.R. (EastWest/H. Schmid, Atlantic Records)


Blogger : Henry Dumatray
Au sujet de l'auteur
Henry Dumatray
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK