Que dire sur « Brave » qui n'ait déjà été dit ? Pierre angulaire du rock progressif et coup de maître absolu pour MARILLION après un très décevant « Holidays In Eden » (1991), ce disque continue de marquer les esprits 24 ans après sa sortie.
Les raisons de ce succès artistique et commercial sont multiples. Bien sûr, l'aspect éminemment élaboré de l'album, l'étourdissante créativité dégagée par ses morceaux aussi sombres que subtils, sont l'essence même de ce plébiscite. Mais ignorer le contexte trouble de l'élaboration de « Brave » équivaudrait à balayer d'un revers de main les raisons qui avait poussé le groupe à accoucher dans la douleur de « Clutching At Straws », 7 ans auparavant. L'oeuvre la plus noire jamais composée par MARILLION... jusqu'à un certain « Brave ». Ce n'est pas un hasard. Et même si l'issue fut différente (« Clutching At Straws » décrivait les aventures d'un personnage tourmenté, Torch, dont on devinait aisément qu'il s'agissait de l'alter ego d'un Fish alors sur le départ), à l'instar de nombre de classiques, « Brave » est le fruit de doutes, et comme corollaire à ces doutes, le symbole d'une renaissance, la lumière au bout du tunnel. Un petit flashback s'impose...
À l'heure d'enregistrer leur nouvel album sur studio mobile au Château de Marouatte à Grand-Brassac (oui, oui, en France !) en novembre 1992, les cinq d'Aylesbury sont dans l'impasse. Après un « Seasons End » (1989) qui les avait vus négocier parfaitement le difficile virage du remplacement de leur emblématique chanteur (musicalement, l'album n'avait guère bousculé les habitudes de la fanbase de MARILLION), les musiciens s'étaient fourvoyés dans une démarche artistique quelque peu discutable pour un groupe de rock progressif : séduire le marché américain. Si cela avait pu sourire à YES ou GENESIS, on ne peut pas dire que ce fut le cas pour MARILLION, et si aujourd'hui on peut déceler dans « Holidays In Eden » les prémices du rock épuré qui sera joué par le groupe à partir de « This Strange Engine » (1997), à l'époque les fans n'y virent qu'une collection de pop songs émollientes à peine dignes de SIMPLE MINDS... et le petit nouveau, Steve Hogarth, d'être tenu pour seul responsable ! Nous savons désormais qu'en dépit d'un passé ne plaidant guère en sa faveur (THE EUROPEANS, HOW WE LIVE), celui que l'on surnomme "H" n'était pour rien dans ce changement de cap, EMI ayant pressé ses poulains de sortir un disque "radio-friendly"...
1992 voit donc un MARILLION au pied du mur. Le groupe se doit d'effacer le cuisant échec de « Holidays In Eden » et retrouver sa verve créatrice d'antan. Autant dire qu'une pression énorme est mise sur les épaules de musiciens en porte-à-faux avec leur maison de disques. Le tableau n'est pourtant pas si noir puisque les deux Steve (Rothery et Hogarth), Pete Trewavas, Mark Kelly et Ian Mosley, sans doute conscients des difficultés à venir (les pontes d'EMI ne seront patients que pour très peu de temps encore), vont avoir une idée lumineuse : créer leur propre studio d'enregistrement. Ce projet, qui se concrétisera quelques mois plus tard sous le nom de Racket 1, sera la première étape d'une émancipation révolutionnaire. Mais ceci est une autre histoire... Pour l'heure, les membres de MARILLION composent dans un château du XVème siècle que l'on dit hanté ! Il est vrai que le propriétaire des lieux, Miles Copeland III (le frère de Stewart), l'a décoré de nombreuses statues gothiques et autres colifichets chargés d'histoire mais pour le moins lugubres qui n'aident en rien à égayer l'ambiance ! Relation de cause à effet ? Toujours est-il qu'Hogarth a décidé d'écrire sur un sujet qui n'invite guère à la gaudriole : le mal-être adolescent.
À ce stade, l'ébauche de « Brave » commence à peine, mais trois chansons sont peu ou prou achevées : “Runaway”, en fait un texte signé du parolier John Helmer, embauché 3 ans auparavant sur les conseils avisés d'EMI., soucieuse de pallier l'absence de Fish (pas évident de remplacer un tel poète !), “Living With The Big Lie”, qui traite d'une personne incapable de s'habituer au mensonge, et une première version de “The Great Escape” qui se muera par la suite en “The Hollow Man”. C'est alors qu'H fait le lien entre les deux premières chansons, articulées autour de ce que les anglophones appellent "teenage angst", et un fait divers s'étant déroulé en 1988 à Bristol : une jeune fille avait été retrouvée errant sur le pont de Severn. Dans un état d'extrême confusion, elle était incapable de communiquer, ce qui avait amené la police à diffuser un message à la radio (plus précisément sur la station GWR) afin de récolter un maximum d'informations sur la jeune personne. Que lui était-il arrivé ? Quelle suite d'événements douloureux avait pu la mettre en tel état de choc ? La trame narrative du concept album qu'allait devenir « Brave » était trouvée ! Désormais, l'histoire et l'Histoire (avec un grand "H", cela coule de source !) était en marche...
À suivre...
Part 2 : Chronique d'un Classique Annoncé
Part 3 : Une Luxueuse Renaissance
« Brave » Deluxe Edition - Disponible le 9 mars 2018