
Putain, 10 ans ! 10 ans que ce disque se faisait attendre ! Autant dire qu'en matière d'Arlésienne, il n'y a guère que GUNS N' ROSES ou TOOL pour concurrencer les maîtres de la Neue Deutsche Härte ! Conséquemment, une œuvre aussi désirée ne pouvait qu'être grandiose ou cruellement décevante, la frustration qu'elle aura engendrée ne pouvant décemment générer de l'indifférence. Jusque-là, nous avions eu droit à deux clips ("Deutschland" et "Radio"), excellents tant par leur contenu que par la musique elle-même ("Deutschland", surtout !), mais étaient-ils pour autant représentatifs de ce nouvel album de RAMMSTEIN qui ne porte pas de nom ? Si deux singles ne peuvent suffire à se faire une idée précise d'un disque, félicitons le groupe pour nous avoir quand même bien aiguillés quant au contenu de son nouvel effort (ce n'est pas un vain mot chez nos Teutons !) discographique. Car oui, la puissance et l'emphase de "Deutschland" opposées à la légèreté toute relative de "Radio", ainsi qu'à son côté synth-pop digne de YELLO (!!), nous donnent un aperçu fidèle d'un disque contrasté, peut-être même le plus contrasté de la carrière de R+...
"Deutschland" ouvre les festivités de maniére kolossale avec son gimmick guitare-synthétiseur, et malgré l'omniprésence de Flake sur cette satanée mélodie, nous révèle un RAMMSTEIN particulièrement axé sur la six-cordes. Point de tanz metal ici, mais plutôt du ganz metal (à vos dicos !), tant les Allemands ont rarement sonné aussi heavy. Bien sûr, l'effet de surprise est passé depuis quelques semaines puisque le clip vidéo (qui a été vu plus de 49 millions de fois sur YouTube, excusez du peu !) est dans les têtes de tous les crève-la-faim comme moi qui n'en pouvaient plus de fantasmer sur la moindre nouvelle note jouée par les Allemands, mais force est de constater que même après des dizaines d'écoutes, ce morceau est toujours aussi convaincant ! Quelle puissance ! Et au diable les réactions outrées des professionnels de l'indignation suite à la diffusion du clip (ou plutôt devrait-on dire "du film") de "Deutschland" : à l'ère du formatage des êtres et des esprits, tout est prétexte à controverse. Ce que savent pertinemment les membres de R+, soit dit en passant...
"Radio", second single donc, et première rupture dans l'album. De prime abord, on serait tenté de comparer ce titre aux brûlots electro de « Herzeleid ». Rien ne serait plus faux ! Ici, l'ambiance est bien moins menaçante, plus dansante. En fait, "Radio" pourrait être le pendant de "Pussy", tant l'effet de surprise conféré par le côté pop de la chanson est similaire à celui du single de « LIFAD ». Sauf que de rock, il est à peine question sur cette chanson qui filerait la danse de Saint-Guy à un mort ! Encore heureux que les grosses guitares de Kruspe et Landers soient là pour nous rappeler que nous sommes bien en train d'écouter le nouvel album de RAMMSTEIN ! Déstabilisante mais finalement pas si désagréable, cette respiration n'est pas la seule dans le disque. Nous y reviendrons. Plus classique dans sa construction, malgré ses chœurs religieux en introduction, "Zeig Dich" se veut rassurante après ce que certains métalleux pourraient bien interpréter comme un camouflet. La chanson est efficace et pourrait sans peine figurer sur « Sehnsucht », mais elle ne constitue toutefois pas l'un des moments forts de « Rammstein » (le disque !).
Attention au grand huit émotionnel avec le titre suivant, "Ausländer", car dans le genre, "Radio" ne constituait qu'une mise en boche... euh... en bouche, pardon ! Je sais, quand on parle de R+, cette petite gymnastique linguistique peut paraître douteuse, mais il n'empêche que ce morceau va surprendre plus d'un fan ! Carrément connoté dance, ce petit bijou d'ironie (Till y narre les aventures d'un homme qui profite de son statut d'étranger pour draguer toutes les nanas qui l'entourent), pourrait facilement compléter les innombrables bouses présentes sur les compilations des hits de l'été vantées par la petite chaîne qui descend depuis quelques années, M6 ! Un chef-d'œuvre... à condition de comprendre le second degré ! Après ce virage à 180 degrés, il fallait bien que la marmite bout un peu moins, et le bien nommé "Sex" arrive à point (j'ai pas dit "à poil" !) pour calmer tout le monde. Hum ! Rappelant immédiatement un DEPECHE MODE fortement métallisé, ce morceau fournit une réponse à celles et ceux qui se demandaient ce qu'il était advenu de "Ramm 4", joué sur scène depuis 2016... Classique mais redoutablement efficace ! Ce qui suit va toutefois faire monter la barre plus haut...
"Puppe" démarre comme une ballade, mais c'est vite oublier qu'avec cet album à la sobre pochette (une allumette sur fond blanc), R+ s'échine à jouer avec nos nerfs, et au bout de deux minutes d'une accalmie fort bienvenue (que l'on croit être la première du disque), Till part dans un délire qui ferait passer "Wiener Blut" pour une comptine pour enfants ! Son chant hurlé (façon borderline) est tout bonnement ahurissant et plonge "Puppe" dans une noirceur absolue ! Malsaine au possible mais également grandiose, cette chanson dégage quelque chose d'indéfinissable. Assurément l'un des moments forts de « Rammstein » ! Après un tel choc émotionnel, la tension ne pouvait que retomber, et "Was Ich Liebe", s'il ne s'inscrit pas comme l'un des points forts du disque, remplit bien son rôle d'encas (quoique "bouche-trou" eut été plus approprié pour nos gaillards !), et démontre une fois de plus l'étendue du talent de R+ quand il s'agit d'écrire des mélodies immédiatement mémorisables. "Diamant", seule véritable ballade de l'album, offre un peu de répit et nous permet d'apprécier les qualités de poète du sieur Lindemann qui y compare sa belle à un diamant, non seulement pour sa beauté mais aussi pour sa froideur et sa dureté. Le genre de double sens dont les Germains raffolent !
La dernière ligne droite, composée de "Weit Weg", avec un superbe gimmick de Flake, "Tattoo" et "Halloman" est tout aussi goûtue, et si les deux premiers titres peuvent, à des degrés divers, nous faire penser à l'album « Mutter » (le refrain de "Tattoo" rappelle franchement celui de "Hallelujah"), "Halloman" aurait pu avoir sa place sur « LIFAD » tant son ambiance cinématographique rappelle certains morceaux de l'album de 2009. Alors, cela valait-il la peine d'attendre 10 ans ? Oui, mille fois oui, car RAMMSTEIN, loin de se reposer sur ses lauriers, a su se renouveler tout en conservant son identité, et proposer un album réellement surprenant par instants. Moins homogène que son prédécesseur – que votre serviteur avait trouvé un poil décevant – mais bien plus fou, ce « Rammstein » est peut-être le disque le plus passionnant du sextet allemand depuis « Reise, Reise ». De quoi, en tout cas, mettre le feu aux planches sur une nouvelle scène que l'on dit déjà "wunderbar"... Titres à écouter en priorité : "Deutschland", "Ausländer", "Sex", "Puppe", "Weit Weg" et "Halloman".