Oui en 1994 la K7 vierge Chrome ou Ferro est encore tendance, inondant les bacs des supermarchés entre les surgelés Findus et la lessive en pastilles Sun Dose. Mais avant d’être un objet d’actualité, celle-ci a surtout le mérite d’être pratique puisqu’elle tient dans une poche de jean et peut être dégainée en un coup de poignet dans le lecteur qui est lui réservé. Un atout de taille qui lui permet de s’abreuver sur les ondes obscures de quelques émissions de radio confidentielles (pensée émue au passage pour Triangle et Aligre FM) où les albums de metal font la loi cette année-là. Je parle ici des TESTAMENT, SLAYER, BODY COUNT, PANTERA, MEGADETH ou SUICIDAL TENDENCIES parmi tant d’autres qui ont laissé quelques pièces de choix que nous évoquerons dans ces colonnes en tâchant d’éviter l’inoxydable rengaine « C’était mieux avant ». Ah oui c’est vrai ça, la K7 vierge…
Bref, trêve de nostalgie déplacée et parlons du cas SUICIDAL TENDENCIES. Le clan de Venice, Californie, compte alors quatorze années de service et plusieurs faits d’armes qui lui valent les honneurs des communautés punk/hardcore/metal. C’est avec l’album « Art of Rebellion », sorti en 1992, qu’il fait la quasi-unanimité aussi bien dans le cœur des fans que de ceux qui le découvrent avec les redoutables singles "Asleep at the Wheel", "Nobody Hears" et "I’ll hate you better" qui se classent dans la foulée dans le fameux Billboard. Cet art de la rebellion projette les californiens sur de très grosses affiches en compagnie de METALLICA, GUNS’N’ROSES ou DANZIG, écumant stades et salles XXL aux quatre coins du globe. Il faut dire qu’avec l’arrivée de Josh Freese derrière les fûts et une orientation plus festive et diablement mélodique, le groupe se donne les moyens pour mettre en musique ses ambitions. On passera sans trop s’y attarder sur le « Still Cyco After These Years » paru l’année suivante, réenregistrement de vieux titres issus de « Join the Army » et « Suicidal Tendencies » sans grand intérêt. Ah si, Mike Muir, à l’origine de cette initiative dont les racines puisent dans une brouille avec son label de l’époque, est le seul membre d’origine toujours en place. Et le déjà bien en vue Robert Trujillo y malmène sa basse depuis plusieurs années.
Tous les indicateurs sont donc au vert pour la sortie de « Suicidal For Life », huitième album de SUICIDAL TENDENCIES, qui sort dans les bacs le 14 juin 1994. Ce sera malheureusement le dernier avec Robert Trujillo et le guitariste Rocky George (qui vient à nouveau de rejoindre début 2019 les rangs musclés des CRO-MAGS) et signera au passage le split, provisoire, du groupe quelques mois plus tard. Et pourtant ce cru du Cyco Crew possède bien des atouts pour prolonger l’effet bœuf suscité par « Art of Rebellion ». A commencer par une production maousse costaud signée Paul Northfield (à la manœuvre aussi chez RUSH et DREAM THEATER), une brochette de tubes en puissance au nom évocateur ("Don’t Give a Fuck", "No Fuckin’ Problem" ou "Suicyco Muthafucka") et un style qui vient de se nourrir du meilleur du thrash, du punk et du hardcore. Avec une pointe d’humour et de doigt tendu pour la forme comme à son habitude. La différence, plus notable, est la tonalité plus heavy, voire frontale que celle distillée sur son prédécesseur : aucune filiation n’est possible avec les envolées funk et bondissantes d’INFECTIOUS GROOVES qui occupent également Muir et Trujillo en parallèle. Mais derrière cet aspect brut de décoffrage se cache de savoureux trésors comme « Love VS Loveliness » ou « What Else Could I Do ? » qui portent la patte du batteur Jimmy DeGrasso, toute en groove et en finesse, et les sombres incantations du père Mike à un niveau de mélancolie rarement égalé. Quant à Robert Trujillo, celui-ci maltraite sa basse comme jamais : du grand art tout simplement !
Malgré ces atouts indéniables l’album ne connaîtra pas le succès qui lui était destiné, la presse et le public lui réservant un accueil mitigé, ce qui ne nous empêche pas vingt-cinq ans plus tard de parler encore et toujours de lui. Parce qu'il le vaut bien...