13 juillet 2019, 12:35

CROQUIS & METAL

• Interview Sylvain Cnudde

Lors du Rock in Bourlon, le 29 juin dernier, nous avons croisé un étrange individu, carnet et crayons en main, en train de croquer en direct les groupes se produisant sur scène. Intrigué, nous avons voulu en savoir plus sur Sylvain Cnudde...


Pouvez-vous faire un retour sur votre parcours artistique ?
Je dessine depuis tout petit, quasi sans interruption. Après un bac L option arts plastiques où j'ai pas mal gribouillé dans mes marges, j'ai fait une année de MANAA (Mise à niveau en arts appliqués) puis un BTS communication visuelle et une licence pro en multimédia. J'ai gardé de mes études le goût du carnet de croquis, qui permet de dessiner partout, et notamment dehors, loin de la table à dessin.

Dessinateur/illustrateur est-il votre métier ?
Je suis dessinateur maquettiste/infographiste dans un labo d'études spatiales et d'instrumentation en astrophysique (LESIA), à l'Observatoire de Paris, sur le site de Meudon, dans les Hauts de Seine. Je fais des affiches de conférences scientifiques, des illustrations de vulgarisation, des vues d'artistes. C'est le boulot qui me permet de gagner ma vie, et il est plutôt sympa. Mais ce qui m'amuse vraiment, c'est de dessiner à l'extérieur, de me balader avec un carnet, et de m'arrêter pour croquer ce qui m'entoure, dans la rue, dans les cafés ou... dans les salles de concert.

Comment vous est venue l'idée de dessiner en live ?
Mon premier dessin live date de 2006, au Pop In. La cave était pleine à craquer et j'avais dû rester dans l'escalier. De là où j'étais, je ne voyais qu'un bout d'un des musiciens. Un peu frustré d'être coincé là, l'idée m'est venue de sortir un petit carnet A5 de ma poche et de dessiner le peu que je voyais. C'était alors un cas isolé, mais l'envie de dessiner en concert à germé à ce moment là. C'était une façon de participer à la performance. Un peu gêné par le regard des autres et surtout effrayé par la difficulté que représentait l'exercice, ce n'est que vers 2011-2012 que je m'y suis mis plus régulièrement. J'allais alors souvent aux soirées "We Are Folk Family", au Mama Kin Café, dans le XIXe. C'était relativement facile de dessiner car j'étais assis à une table, et les groupes jouaient une musique plutôt tranquille, ils n'étaient qu'un ou deux sur scène... Ça m'a mis en confiance. Les choses se sont gâtées quand j'ai voulu essayer de faire la même chose à des concerts plus rock avec des groupes de quatre, cinq, ou plus, musiciens qui sautent partout. J'ai compris à ce moment là qu'il faudrait que je le fasse et le refasse systématiquement, pour que ça devienne plus naturel et que j'obtienne quelque chose qui me plaise. Puis, au fil des soirées, je me suis aussi rendu compte que ce que je faisais était un moyen de faire connaître une certaine scène, à mon petit niveau. Enfin, j'ai découvert que d'autres dessinateurs avaient la même approche ; voir leur travail, en rencontrer certains et même dessiner avec eux sur certaines soirées m'a motivé à persévérer (coucou Croque And Roll Live ! ttps://croqueandrolllive.wordpress.com).

Comme les photographes et journalistes, êtes-vous accrédité lors des concerts ?
Pas toujours. Au début, comme je le disais, je ne me sentais pas hyper à l'aise dans mon activité de dessin de concert et j'ai donc dû beaucoup pratiquer avant d'avoir suffisamment confiance en moi pour oser demander une accréditation. Même si je n'ai pas d'obligation de résultat, être invité au concert me met quand même une petite pression - je ne parle pas de la bière ! Mes principaux dealers de concerts sont des assos qui font des soirées très peu chères, à 5 ou 6 € l'entrée, donc si on m'invite c'est cool, mais sinon j'y vais de toute façon, pour découvrir de nouveaux groupes et les soutenir. Quand il y a des concerts ou des festivals plus chers qui m'intéressent, je contacte parfois la salle ou l'organisateur pour demander une accréditation. Et assez souvent, ça marche. En revanche, je n'ai jamais eu d'accès privilégié sur le côté ou l'arrière de la scène, ni même dans la zone réservée aux photographes. Il y a aussi des lieux où j'ai dessiné et dont les programmateurs ont proposé de me mettre sur liste, quand je le souhaitais, sur des dates ultérieures, ce qui est très sympa de leur part.

Quelles techniques utilisez-vous ?
Mon outil de prédilection est le feutre pinceau à cartouche d'encre de Chine. Il permet de dessiner très vite, de faire des pleins et des déliés, d'avoir quelque chose de très contrasté. Et comme l'encre est indélébile et sèche quasi instantanément, je peux, quand je le sens, ajouter de l'aquarelle par dessus sans que le trait de dessin ne bave. Parfois j'utilise des feutres à alcool, du fusain que je dilue après avec un pinceau à réservoir d'eau. Plus récemment, j'ai redécouvert les feutres Posca sur du carton ou du craft, c'est très sympa aussi. D'une manière générale, il me faut des outils peu encombrants et à séchage rapide. Mes croquis sont entièrement faits sur place, pendant le temps du concert, y compris ceux en couleur. Je n'y reviens pas après, car toute l'énergie et la tension du live sont retombées.

Quelles sont les principales difficultés de cette façon de procéder ?
Tout d'abord le temps limité. Certains groupes ont des sets très courts de vingt minutes, il s'agit de ne pas de traîner. En plus, ce sont souvent les plus concis qui sont les plus énervés et les plus compliqués à saisir ! Donc, bien sûr, pas de crayonné, et surtout pas de gomme.
Ensuite la position debout, le carnet calé sur l'avant-bras, et le placement dans le public. Comme dit précédemment, je n'ai pas de place attribuée, à l'abri. À moi donc d'évaluer la zone suffisamment proche pour voir quelque chose, avoir un bon point de vue et ne pas me retrouver pris dans la zone de turbulences. Autant dire que la frontière est souvent floue ! Quand c'est possible, je me mets en hauteur. Dans l'Anticlub du Cirque Électrique, par exemple, il y a des trucs qui ressemblent à des bancs, sur les côtés. Mais j'aime bien cet inconfort, ça donne un dessin moins léché.
Une difficulté majeure réside dans l'éclairage. J'essaie de me servir de la lumière des projecteurs, mais ce n'est pas toujours possible. Il m'est donc arrivé de dessiner dans la quasi obscurité, à l'aveugle. Enfin, ça c'est quand j'ai oublié de prendre ma petite lampe de poche.
Enfin, dernière contrainte, mais qui est aussi un des ingrédients du bon dessin de concert : le mouvement. Il y a des groupes plus remuants que d'autres. Quand un musicien bouge trop, je le mets en attente, en quelque sorte, et j'en entame un second. Puis je reviens au premier plus tard, quand il s'est calmé. Je fonctionne aussi beaucoup avec la mémoire visuelle immédiate. Je capte une posture, j'essaie de la figer très vite, avant que l'image ne s'efface de ma rétine. Le croquis final est une sorte de superposition d'instantanés. 

Certains groupes sont-ils plus difficiles que d'autres à dessiner ? Lesquels, pourquoi ?
Je dirais les groupes punk. Morceaux très courts, guitaristes qui ne tiennent pas en place, batteurs épileptiques, chanteurs qui prennent un bain de foule... Mais c'est aussi ces moment inattendus qui rendent le dessin plus excitant !

Avez-vous des anecdotes survenues lors de vos dessins ?
Il y en a, oui. Une marrante qui me revient, c'est lors d'un concert de Lofora, à Chaville. Je m'étais mis vraiment tout devant, sous le nez du chanteur. Entre deux morceaux, il m'a gentiment mis l'affiche en disant un truc du genre "Il y a un type qui doit avoir oublié son portable : il dessine au lieu de faire des photos !". C'était sympa de sa part parce qu'il m'a fait un peu de pub, mais surtout, il a mis le doigt sur ce travers qu'on a tous plus ou moins, de vouloir faire des photos floues ou des vidéos pourries avec nos téléphones, plutôt que de profiter du moment. Et là, tu vas me demander si je profite vraiment du concert en dessinant ? À ma façon, oui. Et comme lu une fois à mon propos au moins, il ne dérange pas les autres." Autre anecdote pour la route : un fois, un des membres d'un groupe est venu me voir à la fin du concert et m'a demandé pour quel magazine je bossais. Il pensait que je prenais fiévreusement des notes pour un article. 

Que pensent les groupes représentés de votre travail ?
Ils sont toujours étonnés, amusés, flattés, voire ravis de se voir dessinés, même si je ne les arrange pas toujours. Ils me demandent souvent s'il peuvent faire une photo des dessins. Je n'ai jamais eu de retour négatif en tout cas. Je suis bien content quand ils les partagent, ça veut dire que le crobard est réussi.

Vous vendez vos créations. Trouvent-elles leur public ?
On touche à un point sur lequel je ne suis pas encore très à l'aise. J'ai du mal à me séparer de mes dessins et à leur donner un prix. Il m'est arrivé d'en vendre pour trois fois rien, à mes débuts. Maintenant j'essaie de faire plus attention, et je propose plutôt un tirage du croquis à acquérir a posteriori. Je suis une sorte de collectionneur, chaque dessin vient s'ajouter à un projet plus global, une sorte de "tableau de chasse". Il faut donc que je puisse scanner proprement ma production, en vue d'une éventuelle future publication. Donc céder un dessin tout de suite en fin de concert, c'est compliqué.

Vous semblez dessiner particulièrement des groupes de doom/sludge. Y a-t-il une raison particulière à ce choix ?
Ah ? Je ne sais pas, je pense que je suis attiré par le noise rock en général, et toutes ses déclinaisons. Mais j'aime bien le doom sludge, oui. Du moment qu'il y a une guitare à dessiner, je suis content ! Mais j'aime bien les batteurs aussi. D'ailleurs ce serait bien qu'on les mette plus en avant de la scène, de temps en temps, ils sont toujours cachés derrière !

Quels groupes rêveriez-vous de dessiner ?
J'aurais adoré dessiner AC/DC au Pavillon de Paris en décembre 79, une petite salle où j'aurais probablement pu les croquer d'assez près. Mais je n'avais que 6 jours, haha ! Plus sérieusement, je ne sais pas trop. J'aime bien découvrir des truc nouveaux, être surpris. Je dirais Jodie Faster, parce que ce nom me fait bien marrer et que j'en entends parler depuis longtemps sans avoir eu jamais l'occasion de les voir. Une chose que j'aimerais faire, si l'occasion se présentait, serait de suivre un groupe en tournée, de faire une sorte de reportage dessiné, pas seulement des concerts mais aussi de la route, des lieux, des chargements/déchargements du van, de tous les moments off. Enfin, j'en aurais peut-être marre au bout de trois jours !

Oeuvrez-vous dans d'autres domaines artistiques ?
Je m'en tiens au dessin, c'est déjà pas mal, et j'ai encore beaucoup de chemin à parcourir.


www.facebook.com/SylvainCnuddeArt

Blogger : Christophe Grès
Au sujet de l'auteur
Christophe Grès
Christophe a plongé dans l’univers du hard rock et du metal à la fin de l’adolescence, au tout début des années 90, avec Guns N’ Roses, Iron Maiden – des heures passées à écouter "Live after Death", les yeux plongés dans la mythique illustration du disque ! – et Motörhead. Très vite, cette musique devient une passion de plus en plus envahissante… Une multitude de nouveaux groupes a envahi sa vie, d’Obituary à Dark Throne en passant par Loudblast, Immortal, Paradise Lost... Les Grands Anciens – Black Sabbath, Led Zep, Deep Purple… – sont devenus ses références, comme de sages grands-pères, quand de jeunes furieux sont devenus les rejetons turbulents de la famille. Adorant écrire, il a créé et mené le fanzine A Rebours durant quelques années. Collectionneur dans l’âme, il accumule les set-lists, les vinyles, les CDs, les flyers… au grand désarroi de sa compagne, rétive à l’art métallique.
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