11 janvier 2020, 20:00

ALCEST

• Interview Neige

ALCEST était de retour l'automne dernier avec le successeur du très apprécié « Kodama » sorti en 2016. Nous avions rencontré Neige, chanteur et multi-instrumentiste aux commandes du groupe, afin de parler de cette nouvelle œuvre de metal progressive contemplative « Spiritual Instinct » paru le 25 octobre dernier. Entre spiritualité et puissance brute, il signe ici un album qui ravit les fans et confirme son talent dans le mélange des genres. Il nous a ouvert les portes de sa personnalité si étroitement liée à ses compositions, son inspiration, ses doutes, ses choix et nous a parlé de la notoriété grandissante d’ALCEST sur la scène metal française et internationale. Vous êtes prévenu, « winter is coming ».
 

Trois ans ont passé depuis « Kodama », quels ont été les points marquants pour ALCEST depuis ?
Et bien déjà à la sortie de l’album « Kodama », on ne s’attendait pas à ce que les gens soient aussi enchantés par ce disque. Vu que c’était un peu un album concept avec cette thématique autour du Japon et du film Princesse Mononoké, et aussi du combat entre la nature et le monde des hommes, c’était un peu différent de ce qu’on avait pu faire avant avec ALCEST mais les gens ont très bien réagi mais c’est peut-être aussi parce qu’on était revenu à un son un peu plus dur par rapport à « Shelter » qui était uniquement pop et les gens se sont dit « ouf ! », ils ont cru qu’on allait se transformer en groupe pop et donc voilà, ça a bien marché et on a énormément tourné, plusieurs fois en Europe, on a tourné aux USA, en Asie, en Amérique du Sud et ça a été intense, même un peu trop, ça m’a vraiment épuisé, je me suis un peu perdu en cours de route, je ne me sentais pas très bien et c’est à partir de là qu’est né « Spiritual Instinct ».

L’enregistrement de « Spiritual Instinct »  semble avoir été long et difficile, parle nous de ces quatre mois passés en studio...
En fait l’album a été composé de manière très spontanée, j’avais un truc en moi à faire sortir d’urgence, pour une fois car c’est assez rare, je suis plutôt du genre à prendre mon temps, à construire les morceaux durant des mois alors que là non. Par exemple "Protection", le single, a été composé en une journée et ça, normalement avec moi, ça n’arrive jamais et du coup je trouvais ça assez cool que tout soit plus brut, cathartique et j’aurais aimé qu’on ait la même démarche en studio pour l’enregistrement mais il s’est passé l’inverse. On a eu trop de temps, on n’a peut-être pas su se poser de limite et on avait la pression par rapport à la production et on voulait faire au moins aussi bien qu’avec « Kodama ». On voulait aussi un son plus metal, plus gros tout en gardant le côté organique. On a tout enregistré sur bande analogique et ça prend beaucoup de temps, il y a la maintenance quotidienne de la machine où tu dois nettoyer les têtes de lecture et donc c’est très long.

L’ambiance éthérée des morceaux étant primordiale, tu cherches néanmoins à utiliser le moins d’effets numériques pour privilégier les échos naturels et enregistrements analogiques, cette fois encore tu as procédé ainsi...
C’est ma démarche depuis le début, mais il faut savoir aussi que je suis très mauvais en MAO (musique assisté par ordinateur, NDLR). Même quand je fais une démo, j’enregistre sur mon téléphone, tu vois !? J’ai un petit ampli dans ma chambre, ma guitare avec une ou deux pédales d’effet de distortion et de reverbe et je compose tout comme ça. Après je fais une maquette basique sur le logiciel Logic, j’envoie ça à Jean, le batteur, on discute du morceau, on travaille sur ses parties de batterie puis on va en studio. Du coup c’est vrai qu’il faudrait que je sois plus connecté aux nouvelles technologies et aux méthodes modernes d’enregistrement et là je sens que j’ai un handicap par rapport aux sons liés au synthétiseur, j’aimerais travailler plus en midi mais j’ai la flemme et ça me saoule. J’ai besoin de contact avec les instruments et du coup ça se retrouve dans notre manière d’enregistrer ce qui fait que le son d’ALCEST n’est pas extrêmement expérimental, c’est beaucoup basé sur la mélodie. A la base je viens du classique, j’ai appris la musique avec le piano et pour moi on doit pouvoir jouer un morceau juste en acoustique, sans effets, sans rien et ça doit quand même marcher. Je procède comme ça.



On retrouve les ambiances et les mélanges de genres propres à ALCEST dans ce nouvel album, une dualité entre mélancolie et espoir, calme et puissance. Cependant, les textes sont plus sombres, parler de tes pensées les plus profondes te permet de les exorciser ou au contraire de les accepter ?
Oui c’est un peu les deux. D’abord ça passe par l’acceptation, accepter sa part de ténèbres et c’est un truc que je n’ai pas forcément inclu dans ALCEST auparavant et là il y avait une urgence dans la composition et j’ai senti qu’il fallait garder les morceaux tels quels, qu’il ne fallait pas forcément les diluer. Pour grandir il faut s’accepter tel qu’on est, ne pas être trop dur envers soi. Dans mon cas j’ai un peu tendance à l’autoflagellation : « faudrait que je sois plus comme ci, faudrait que je fasse ça plus comme ça… », je suis comme ça tout le temps et du coup je me dis qu’il faut s’accepter tel qu’on est et c’est à partir de ce moment-là qu’on peut grandir

Accepter son imperfection...
Oui mais c’est pas évident surtout quand c’est en totale contradiction avec une autre facette de ta personnalité. J’ai une autre part de moi qui est très lumineuse, très spirituelle où je me pause plein de questions, j’essaie de m’élever, de donner le meilleur de moi-même, d’être la meilleure personne possible pour moi et pour les autres et en même temps j’ai un côté très sombre. Les deux devraient être compatibles, faire partie du même cheminement mais c’est pas facile, pas facile à accepter.

Le texte de la chanson "Le Miroir" est un poème de Lerberghe, pourquoi avoir choisi ce poème, quel impact a-t-il eu sur toi ?
Cet album est en quelque sorte une mise en musique du symbolisme, du courant artistique symboliste et Lerberghe en fait partie en tant que poète et ce texte allait très bien avec le thème esthétique de l’album, comme le morceau "L’Île des Morts" qui est une référence au tableau de Böcklin. Il n’y a pas beaucoup de poètes symbolistes et les textes de Lerberghe pourraient avoir été écrits pour ALCEST tellement ils sont en lien avec le concept du groupe et ce qu’ils évoquent.

Penses-tu avoir trouvé le moyen d’exprimer au mieux ce que tu ressens à travers ta musique ou te reste-t-il parfois le sentiment que ton but n’est pas encore atteint ?
(rires) Mais ça c’est l’histoire de ma vie, ça. Jamais ce ne sera atteint. Je pense que je ne ferai jamais d’album où je me dirai « ça y est, j’ai fait mon album de ouf, où j’ai pu tout mettre en un disque, tout ce que j’étais, toute une vie, tout un cheminement » c’est impossible. Peut-être qu’au terme de ma carrière, quand je serai vieux et que j’aurai fait au moins quinze albums, peut-être que les gens auront une vision complète du truc mais ce sera plus une vision globale d’une entité artistique plutôt qu’un album en particulier.
 

" Je vis le concert à travers le regard du public et c’est comme ça que je prends du plaisir."



ALCEST | Baden In Blut Festival 2019 © Thomas Rossi


L’adage "Nul n’est prophète en son pays" semble avoir un peu accompagné ALCEST durant plusieurs années, as-tu vu le public français grandir en nombre ? Y a-t-il encore un contraste marqué entre les différents pays où tu as joué ?
On a vraiment remarqué un changement depuis deux ans, depuis « Kodama », où on a vu le public français grandir en nombre et je pense que c’est aussi dû aux festivals dans lesquels on a joué, le Hellfest et le Motocultor. Il y a des gens qui avaient peut-être des aprioris sur nous, en plus on chante en français avec un chant clair, ALCEST a toujours été un groupe un peu bizarre, gentil, c’est parfaitement assumé et les gens se rendent compte qu’au bout de vingt ans ce n’est pas juste une phase, qu’il y a un vrai cheminement derrière et même ceux qui ne nous aimaient pas trop en France nous respectent désormais car on n’a jamais fait les choses comme tout le monde, on en a toujours fait qu’à notre tête, aucun compromis, c’est une intégrité totale et que tu aimes ou pas le style les gens ont remarqué ça et j’en suis très content. À l’époque « Shelter » n’avait pas du tout marché en France car on a beaucoup de fans métalleux ici contrairement à d’autres pays où le public est plus mixte, avec « Kodama » on est revenu à un son plus dur et le public français a beaucoup aimé et aujourd’hui on voit que le single "Protection" est très apprécié notamment par le public français et je pense qu’enfin on a, au moins, voire plus de fans en France que dans les autres pays.

En parlant de festivals, te sens-tu plus à l’aise sur scène au fil des années ?
Ca dépend des périodes. Je pense que d’une manière générale oui mais je n’ai jamais complètement dompté la scène. J’ai toujours peur avant de jouer, je ne me sens jamais vraiment à ma place sur scène, après quand ça se passe bien, que je joue bien, que le public est réactif je me sens beaucoup mieux déjà. Pour certains artistes la scène est l’endroit où ils se sentent le mieux alors que pour moi c’est l’endroit où je me sens le plus vulnérable. Puis si j’étais bassiste ou à un poste plus en retrait ça serait différent, j’ai un cerveau qui est assez mono tâche et je dois m’occuper de la guitare, du chant, de mes pédales d’effet, je dois faire le show, parler au public entre les morceaux et du coup pour mon petit cerveau c’est beaucoup trop. Donc ça dépend beaucoup de ce que je fais sur scène, quand je joue avec d’autres groupes ça va mieux en général mais avec ALCEST et le fait d’être frontman c’est pas évident. En revanche je vis le concert à travers le regard du public et c’est comme ça que je prends du plaisir.

Parle-nous de la pochette que tu as coréalisée avec Førtifem (Jesse Daubertes & Adrien Havet)...
Je voulais un sphinx, j’ai donné des références à Førtifem, sur les différents sphinx que j’aimais et ils ont adapté à leur manière. Mais à la base ça ne devait pas être la pochette. Au départ on avait une autre idée, qui n’a pas marché, et le sphinx était juste un personnage secondaire en lien avec l’épopée autour de cet album car c’est en quelque sorte le symbole du mystère, qui renvoie à la spiritualité et qui représente cette dualité mi-homme mi-bête, mi-lumière mi-ténèbre, et il m’avait beaucoup marqué lorsque j’avais vu les croquis, il dégageait quelque chose de fort et au bout d’un moment je me suis rendu compte que c’était ça la pochette finalement. Un peu comme une évidence.

Tu es auteur compositeur et interprète, as-tu laissé un peu plus de liberté, de marge de manœuvre à Jean "Winterhalter" pour l’enregistrement ?
On a procédé un peu comme pour « Kodama », on a composé les parties de batterie à deux et il s’est beaucoup investi, il a apporté beaucoup de ses idées et j’aime beaucoup avoir son avis sur les morceaux. Il a une approche différente de la mienne, on se complète bien et je suis très à l’écoute de ses remarques. S’il me dit qu’un truc ne marche pas, je vais lui demander pourquoi, je vais chercher à en savoir plus. Je ne vais pas forcément changer le morceau après mais au moins je saurai que de son côté il y a un truc qui ne passe pas. Il apporte un regard un peu plus objectif parfois et il a aussi son regard de batteur, il écoute la musique à travers le prisme de son instrument ce qui est une très bonne chose et il a une approche plus rythmique, plus catchy alors que moi je suis plus dans les harmonies, dans ce que les mélodies vont raconter de manière complètement indépendante de la batterie, il pourrait ne pas y avoir de batterie que ça ne changerait rien, donc sa vision est très intéressante, ça fait un beau contraste.

Ta notoriété grandissante et l’agitation que ça engendre autour de toi n’est-elle pas en contradiction avec ta soif de spiritualité ? Est-ce facile de marier ces deux mondes au quotidien ?
Si, comme durant la période de la tournée de « Kodama », il y a eu un surmenage professionnel. En dehors de la période où je compose chez moi et à ce moment-là c’est de la créativité, tous les autres moments ne sont que des interviews, des concerts, la logistique qu’il faut gérer et du coup c’est pas une activité qui te connecte aux choses plus spirituelles car ça se fait plutôt dans le calme, où tu prends le temps, où je prends le temps de faire les choses, du temps que je n’ai pas eu ces dernières années et ça a créé beaucoup d’angoisses.

Tu t’es servi de ces angoisses pour composer l’album...
Oui c’est ce que tu entends sur l’album avec ce côté plus énervé, limite « foutez-moi la paix ! ». Dans l’instinct il y a quelque chose qui peut être violent et c’est un élément que j’ai aimé appliquer au mot spirituel pour le titre, c’était quasiment un besoin violent de retour vers la spiritualité car je sentais que ça m’échappait et il fallait que j’y revienne. Après en ce qui concerne le succès, comme je le dis souvent, je n’ai jamais vraiment pris conscience du succès du groupe car ça s’est fait de manière tellement progressive alors que si ça s’était fait du jour au lendemain ça m’aurait probablement choqué, ou j’aurais pris la grosse tête. Je ne me rends pas trop compte du succès et c’est pour ça que ça me fait toujours plaisir lorsque les gens me disent qu’ils ont aimé un de mes disques car je me vois encore adolescent chez mes parents, tout seul. On a des fans vraiment chouettes qui dans les moments de doutes m’aident pas mal.



© Andy Julia | Nuclear Blast Records​


Quelle a été ta découverte 2019 ?
J’ai tellement pas eu le temps, c’est triste à dire, j’écoute toujours des vieux trucs. Ah en revanche j’ai découvert le yoga et ça a changé ma vie. J’avais commencé par la méditation mais j’ai trouvé ça très austère, très difficile et ça peut faire remonter pas mal de trucs enfouis que tu n’as pas forcément eu le courage d’affronter auparavant. En revanche le yoga à ce côté beaucoup plus doux et dans l’acceptation de soi. Il y a un côté voyage, il y a comme un parcours entre le premier mouvement jusqu’au dernier et c’est à chaque fois comme une petite histoire. Ça te détache complètement de tes pensées parasites car tu es pour une fois dans le moment présent et tu ne penses pas à ce que tu as fait hier ou ce que tu devras faire demain. C’est un moment que tu passes avec toi-même dans le présent et c’est un truc qu’on ne fait jamais. Le yoga allie le corps et l’esprit, à travers tes mouvements tu te connectes avec ta nature profonde. Ça sonne vachement New-Age (rires) mais c’est vrai ! Et il y a une deuxième chose avec le yoga même si chacun réagit différemment, c’est qu’on a tendance à se mettre des cadenas émotionnels dans notre vie quotidienne, on s’interdit de ressentir, de pleurer, on se blinde et tout ça inconsciemment car on veut se protéger du monde extérieur, et le yoga casse tous ces cadenas. C’est émouvant.

Lovecraft disait de ses œuvres : « Tout ce que j'ai écrit, je l'ai d'abord rêvé ». Est-ce que certaines de tes compositions sont la concrétisation de tes rêves ?
Non et heureusement. Mes rêves sont d’une tristesse, ils sont horribles. Ce ne sont même pas des cauchemars, tout est gris ou vert foncé, tout est triste, ce ne sont que des mondes en ruine. Je dors très mal en plus. En revanche quand j’étais petit je faisais de superbes rêves, je rêvais que je volais dans le ciel, que j’avais des créatures imaginaires comme amies puis vers l’adolescence, vers quinze ou seize ans ça a changé. Heureusement que je ne m’en rappelle pas souvent des rêves que je fais aujourd’hui. Quand je m’en souviens d’un je me dis « bah putain… ça ne va pas » (rires)

ALCEST est ton projet phare mais tu es un musicien qui aime les projets parallèles et les participations, as-tu encore pour les prochains mois plusieurs pains sur la planche ?
Absolument pas car je n’ai pas du tout le temps, alors que j’adore faire ça. J’aime participer à d’autres projets, à des concerts pour du chant ou de la basse ou de la batterie mais là je vais être trop occupé.

La suite pour ALCEST dans les prochains mois ? La tournée ?
On part pour trois ans de tournée. On a eu le concert avec PERTURBATOR à Paris le 25 septembre dernier, avec le Red Bull Music Festival, et on reviendra pour une autre date dans le cadre de la tournée promo de « Spiritual Instinct » qui aura lieu le 7 mars à la Machine du Moulin Rouge.


Retrouvez toutes les dates de la tournée de ALCEST en suivant ce lien : SpiritualInstinctEuropeanTour2020


Blogger : Benjamin Delacoux
Au sujet de l'auteur
Benjamin Delacoux
Guitariste/chanteur depuis 1991, passionné de musique, entré dans les médias à partir de 2013, grand amateur de metal en tous genres, Benjamin Delacoux a rejoint l'équipe de HARD FORCE après avoir été l'invité du programme "meet & greet" avec UGLY KID JOE dans MetalXS. Depuis, il est sur tous les fronts, dans les pits photo avec ses boîtiers, en face à face en interview avec les musiciens, et à l'antenne de Heavy1, dont l'émission MYBAND consacrée aux groupes indépendants et autoproduits.
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