28 mars 2022, 13:56

MARILLION

"An Hour Before It's Dark"

Album : An Hour Before It's Dark

Une heure avant qu’il ne fasse sombre. L’image est saisissante tant le monde n’a jamais semblé plus proche de l’abîme que depuis deux ans. Et MARILLION, à l’image de tous les acteurs d’un monde artistique particulièrement concerné par cet état de fait ainsi que par les mesures iniques des différents gouvernements planétaires, ne pouvait rester insensible à cela. Dingue ce qu’un pangolin avarié peut provoquer comme dégâts, parfois...

Imprégné de préoccupations covidiennes, environnementales et même de considérations tournant autour de la maladie et de la fin de vie, « An Hour Before It’s Dark » est un concept qui ne dit pas son nom, à l’instar de son prédécesseur, « F.E.A.R. ». La comparaison s’arrête toutefois là car ce 20e album de MARILLION s’inscrit dans une veine beaucoup plus enjouée. Eh oui, cela peut paraître curieux tant les thèmes abordés ne peuvent que difficilement évoquer rires, flonflons et gaudriole, mais « An Hour Before It’s Dark » laisse toujours transparaître l’espoir derrière l’apparente noirceur des paroles, et le caractère souvent enlevé des compositions souligne la volonté de MARILLION de ne pas étouffer ses auditeurs, de leur laisser la possibilité de s’évader malgré des conditions particulièrement défavorables.

Oscillant sans cesse entre ombre et lumière, ce disque est une nouvelle pierre angulaire de l’œuvre des cinq Anglais. Plus rythmé que « F.E.A.R. », plus concis aussi, à l’image du magnifique single "Murder Machines", il ne se départit pourtant pas des contours progressifs que le groupe a eu le bonheur de retrouver après l’effeuillage de la toute fin des années 90. Des preuves ? Les deux titres qui clôturent l’album : "Sierra Leone" et "Care". Affichant respectivement 10:51 et 15:18 au compteur, ces deux sublimes pièces découpées en sections sont là pour nous prouver que MARILLION, s’il est très doué pour les mélodies immédiatement mémorisables, sait aussi embarquer ses auditeurs dans de longs morceaux épiques, véritables montagnes russes émotionnelles.

« An Hour Before It’s Dark » s’ouvre sur "Be Hard On Yourself", une chanson qui, au-delà de paroles qui placent l’humanité face à ses responsabilités écologiques, s’apparente à une parabole du temps qui passe, de l’urgence, surtout, d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Après plus de 40 ans d’existence, il ne reste peut-être plus trop d'albums à MARILLION... En tout cas, il n’est pas exagéré de dire que les musiciens ont de beaux restes. De très beaux restes, même. Steve Hogarth reste le fantastique interprète qu’il a toujours été depuis qu’il a repris le flambeau de Fish, sans cesse sur le fil, entre colère contenue et désespoir, Pete Trewavas est toujours aussi groovy, Mark Kelly sait toujours aussi bien tisser de magnifiques plages sonores et Ian Mosley est toujours aussi subtil et précis. Quant à Steve Rothery, comment ne pas être admiratif devant tant de classe ? À l’image de David Gilmour, ce grand Monsieur possède l’art et la manière d’exprimer beaucoup de choses en un minimum de notes.

"Reprogram The Gene" vient ensuite rassurer sur les intentions de nos cinq Britons : la conjoncture sanitaire les a de toute évidence énervés, et le rythme ne faiblit pas avec ce morceau qui, malgré des paroles traitant de ce que vous savez (on va éviter le terme car on ne l’a que trop entendu !), se termine par un élan d’optimisme insufflé par un riff magnifique du sieur Rothery. La lumière perce une nouvelle fois à travers l’obscurité. Comme la majorité des autres titres composant ce « An Hour Before It’s Dark », "Reprogram The Gene" ne dévoile ses charmes qu’après de nombreuses écoutes. On le sait : MARILLION n’a jamais donné dans l’immédiateté ou le prosélytisme. Après une courte pause instrumentale, "Only A Kiss" (une parole tirée du titre suivant, justement), le single "Murder Machines", groovy à souhait, convainc autant par son refrain entêtant que par l’intelligence de ses propos. En effet, h - autant appeler le chanteur par son petit nom ! - à partir d’un constat effrayant (I killed her with love, ou l’horreur de pouvoir tuer quelqu’un en lui démontrant son amour, la faute à un satané virus) parvient à donner un tout autre sens à ses paroles et, à l’aide de métaphores comme arms (bras mais aussi armes) et murder (meurtre), finit par aborder ce meurtre émotionnel qu’est l’adultère (She put her arms around him and she killed me). Sublime !

La seconde moitié de l’album est plus progressive, moins âpre. "The Crow And The Nigthingale", chanson-hommage à Leonard Cohen, laisse une nouvelle fois pantois par sa qualité d’écriture. h s’y compare à un corbeau voulant se faire aussi chantant que le rossignol, allusion évidente à l’élève désirant suivre les pas de son maître et, par la même occasion, à la chanson "Nightingale", tirée de l’album du poète-chanteur canadien « Dear Heather », sorti en 2004. Hogarth avait en effet déclaré s’être inspiré pour ce titre du recueil de poésies de Cohen intitulé Book Of Longing (2006), livre qui comporte les paroles de "Nightingale", justement. La chanson est magnifique avec ses paroles presque susurrées puis son développement majestueux débouchant, une nouvelle fois, sur un sublime solo de Rothery. Viennent ensuite les deux pièces maîtresses de « An Hour Before It’s Dark », "Sierra Leone" et "Care", deux titres-fleuves sur lesquels MARILLION pourrait finir de convaincre les plus réfractaires à sa musique tant l’osmose entre textes fouillés et mélodies touchantes y est prégnante.

"Sierra Leone", ode à la dignité et au respect, narre l’histoire d’un pauvre hère trouvant un diamant qui pourrait à tout jamais changer le cours de son existence mais qui, devant tant de beauté, refuse de le vendre. Plus qu’une pierre précieuse, c’est lui-même, son âme, qu’il refuse de vendre. Les délicates notes de piano accompagnées par le roucoulement de la basse et de la batterie renforcent la fragilité de la voix de h jusqu’à ce qu’un bref passage éthéré ne vienne conclure la partie la plus douce de la chanson. La musique se durcit alors à mesure que croît la détermination de l’homme, de plus en plus résolu à garder le contrôle de sa vie. Il marche librement à Freetown avant de proclamer que la pierre qu’il tient est un objet de la providence. Le thème du diamant est présent tout au long de la chanson avec ses claviers, sa guitare et ses percussions scintillant telles un précieux bijou. Encore un bel exemple de la faculté de MARILLION à sublimer ses textes par un accompagnement musical idoine, accentuant ainsi le caractère théâtral de morceaux ne dévoilant pourtant leur richesse qu’après plusieurs écoutes.

« An Hour Before It’s Dark » se termine sur "Care", témoignage poignant d’un patient atteint d’une maladie dont le nom commence lui aussi par "c". Le titre commence dans une ambiance electro-funk rappelant assez « Anoraknophobia » puis se pare de flamboyants atours guitaristiques avant de retrouver son aspect étrangement dansant. De chatoyantes plages de synthé viennent ensuite accompagner les confidences de l’homme se sachant condamné avant de faire place à de subtiles notes de piano et à une section particulièrement douce débouchant progressivement sur un solo marquant de Rothery. La dernière section de la chanson (qui en comporte quatre), appelée "Angels On Earth", est un vibrant hommage aux anges de ce bas monde, les infirmières et les médecins, dont le travail n’a vraiment été reconnu qu’à l’aune d’une pandémie qui aura au moins eu cela de bénéfique. Les anges de ce monde ne sont pas derrière les murs des églises.

Avec ce « An Hour Before It’s Dark », MARILLION vient d’ajouter une nouvelle pierre à son édifice, et pas la moindre. Cet album est à ranger dignement aux côtés de « Brave », « Marbles » et « F.EA.R. ». Du grand art.

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KillMunster
KillMunster est né avec le metal dans le sang. La légende raconte que quand Deep Purple s'est mis à rechercher un remplaçant à Ian Gillan, le groupe, impressionné par son premier cri, faillit l'embaucher. Avant finalement de se reporter sur David Coverdale, un poil plus expérimenté. Par la suite, il peaufina son éducation grâce à ses Brothers of Metal et, entre deux visionnages d'épisodes de la série "Goldorak", un héros très "métal" lui aussi, il s’époumona sur Motörhead, Lynyrd Skynyrd, Black Sabbath et de nombreux autres ténors des magiques années 70. Pour lui, les années 80 passèrent à la vitesse de l'éclair, et plus précisément de celui ornant la pochette d'un célèbre album de Metallica (une pierre angulaire du rock dur à ses yeux) avant d'arriver dans les années 90 et d'offrir ses esgourdes à de drôles de chevelus arrivant tout droit de Seattle. Nous voilà maintenant en 2016 (oui, le temps passe vite !), KillMunster, désormais heureux membre de Hard Force, livre ses impressions sur le plus grand portail metal de l'Hexagone. Aboutissement logique d'une passion longuement cultivée...
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