En matière de death metal, VADER fait partie des meubles. Premier groupe polonais a avoir pu bénéficier de conditions d’enregistrement et de distribution dignes de ce nom grâce à la signature d’un contrat avec le label Earache Records au début des années 90, il a parcouru depuis un sacré bout de chemin en s’imposant comme l’un des fers de lance du mouvement. Le plus impressionnant étant à n’en point douter sa longévité qui demeure la clé de son succès, cette obstination, cette abnégation à aller toujours de l’avant, voilà la marque de fabrique de VADER. Une réussite incarnée par l’investissement total de son créateur Piotr Paweł Wiwczarek, alias Peter, qui ne s’est pas privé à quelques jours de la sortie de son seizième (!) album prévu pour le 1er mai de tailler le bout de gras avec HARD FORCE…
Bonjour Peter, comment te sens-tu à quelques jours de la sortie de « Solitude In Madness », le seizième album de VADER ?
Bonjour Clément. Tout va bien merci ! Et même si les conditions actuelles marquées par l’épidémie de coronavirus aux quatre coins du globe bouleversent pas mal de choses, j’ai choisi d’être optimiste afin de ne pas subir cette situation. Ce foutu virus est partout et il faut bien vivre avec, comme cela était déjà le cas avec d’autres menaces d’ailleurs. En respectant les règles de confinement, nous allons pouvoir revenir à nos vies d’avant plus rapidement. A titre personnel, je reste ici chez moi en famille et cela me donne l’occasion de faire la promotion de notre prochain album sans avoir besoin de courir à gauche à droite... ce qui est plutôt confortable !
Après plusieurs écoutes attentives, j’ai l’impression que ce nouvel album renoue avec les orientations thrash et directes d’un certain « Litany »…
Eh bien tout dépend de ce que tu entends en utilisant le terme "thrash". Depuis l’instant où j’ai découvert ce mot au début des années 80 et la manière dont il est aujourd’hui utilisé, il y a un monde ! Mais je vois où tu veux en venir, si par "thrash" et "direct", tu sous-entends que les morceaux sont plus courts, rapides avec des riffs tranchant, eh bien en effet, cet album est bien plus "thrash" que les derniers que nous avons sortis. Il est aussi moins sombre, ma diction et le son de ma voix sont également plus clairs, plus puissants, ce qui peut lui conférer un aspect plus brut, plus old-school... que je revendique totalement (rires) !
Oui, le côté "affûté" et court des morceaux renforcent son côté sauvage... une similitude partagée avec le mythique « Reign In Blood » de SLAYER d’ailleurs puisqu’il affiche comme lui 29 minutes au compteur !
Merci pour le clin-d’œil mais « Solitude In Madness » n’est pas le premier album de VADER qui descend sous la barre de la demi-heure, c’était déjà le cas avec « Black To The Bind » ! L’intensité des morceaux est telle que si celui-ci n’avait duré que disons, 10 minutes de plus, je pense que les auditeurs se seraient ennuyés... ou en seraient ressortis lessivés (rires). Nous avons préféré faire court et efficace cette fois, peut-être un peu moins technique aussi. Le VADER cuvée 2020 est comme cela : il envoie le bois et renoue au passage avec la violence de ses débuts...
L’artwork, signé par l’illustrateur de renom Wes Benscoter, renoue lui aussi avec vos débuts puisqu’il était déjà à la manœuvre sur « De Profundis », sorti en 1995...
En effet et c’est d’ailleurs ce que nous voulions : remettre à l’honneur nos racines en appuyant aussi bien sur la musique que sur le visuel avec ce côté "old-school". Wes Benscoter fait partie en quelque sorte de l’histoire de VADER puisqu’il a contribué à façonner son image à cette époque. Nous avions perdu le contact pendant longtemps avec lui et c’est grâce à un échange que nous avons eu tous les deux sur Internet il y a quelques années que nous avons ravivé de nombreux souvenirs et rallumé la flamme (rires). Je suis un grand fan du travail qu’il a réalisé pour de grands groupes de metal : il était donc logique que nous fassions appel à lui pour le visuel de « Solitude In Madness ». Je lui ai donné les premiers textes que j’avais écrits, il a pu aussi jeter une oreille aux répétitions afin qu’il puisse avoir en main quelques éléments lui permettant de démarrer sa création. J’ai choisi de le laisser travailler sans lui fournir trop de détails, Wes savait très bien ce qu’il avait à faire et il l’a très bien fait d’ailleurs ! Le rendu final est magnifique, comme une veille peinture sortie d’un autre âge, à l’image de notre musique d’ailleurs.
On te sent plus que jamais motivé quand tu parles de ce nouvel album...
Tu sais, cela fait plus de trente ans que VADER est vivant. Nous n’avons jamais eu aucune autre prétention que celle de jouer la musique que nous aimons, comme nous le voulons et sans réinventer la roue. Alors oui, je suis motivé comme jamais : rends-toi compte de la chance que j’ai avec VADER, lorsque je prends un peu de recul sur l’histoire du groupe et que je constate là où il en est aujourd’hui !
C’est un peu l’ADN de VADER, cette abnégation, cette envie de bien faire que l’on retrouve sur « Solitude In Madness » ?
C’est exact, c’est un peu comme un retour aux sources. « Revelations », paru en 2002, avait marqué une nouvelle étape pour le groupe puisqu’il incorporait de nouvelles influences, plus lentes et sombres, à l’opposé de ce que « Litany » proposait d’ailleurs deux ans avant. Les fans de la période la plus récente de VADER pourraient bien être surpris par notre dernier album... qui remet les pieds dans le plat et renoue avec sa force de frappe historique.
Votre première démo, « Live In Decay », est sortie en 1988. Trente-cinq ans plus tard, VADER est toujours là, quel est donc le secret de votre longévité ?
La passion, le secret... c’est la passion ! Depuis que j’ai découvert le heavy metal au tout début des années 80 – BLACK SABBATH, MOTÖRHEAD, JUDAS PREST, IRON MAIDEN – je n’ai jamais cessé d’écouter cette musique : je suis un passionné. Je n’aurais rien fait si je n’avais pas été un fan avant tout. C’est là où je puise mon énergie : dans ma passion pour cette musique, comme toi j’imagine et certainement comme la plupart de vos lecteurs. Au-delà de cette passion, j’ai aussi besoin de créer, d’apporter ma contribution à l’édifice. Dans les moments les plus sombres de nos existences, seule la passion peut te donner la force de continuer. Le support des fans à chaque moment est très important également : sans eux, il n’y a pas de concert, pas de disque et donc pas de VADER (rires). Et je peux te dire qu’en presque quarante ans d’activisme, je leur dois une fière chandelle. Merci à vous !!!
J’aimerais revenir avec toi en 1992, quand le groupe a signé son contrat avec Earache Records et a sorti son tout premier album, « The Ultimate Incantation ». Qu’est-ce que cette signature a changé pour vous à ce moment-là ?
C’est une date qui a marqué un tournant pour VADER puisque nous sommes devenus le premier groupe polonais à sortir de ses frontières. Entre le moment où nous avons formé VADER en 1983 et celui où nous avons sorti ce premier album, il s’est écoulé presque dix ans ! Mais il ne faut pas oublier d’où nous venons : la Pologne était à cette époque un pays qui était éloigné de tout ce qui constituait une quelconque actualité musicale, le pays se retrouvait fermé derrière un épais rideau de fer qui paraissait alors infranchissable. Personne ne pourrait d’ailleurs imaginer ne serait-ce qu’un instant ce que nous vivions dans les années 80, nous étions qu’une poignée de jeunes fans de metal qui voulions faire quelque chose d’extrême, avec bien peu de moyens pour s’acheter des instruments. Nos amplis et nos guitares étaient par exemple faits maisons, encore une fois seules la débrouille et la passion rendent l’impossible... possible (rires). Ma première guitare m’a accompagné pendant presque dix ans.
La signature avec Earache nous donnait l’impression de vivre un rêve éveillé, c’était juste incroyable que l’un des labels les plus en vue se penche sur le sort d’un groupe polonais qui luttait au quotidien pour faire quelque chose. Ce label possédait dans son catalogue tous les groupes dont nous étions alors fans : MORBID ANGEL, NAPALM DEATH et BOLT THROWER ! Ce contrat avec Earache n’était pas uniquement symbolique pour nous mais aussi pour toute la communauté metal polonaise, c’est lui qui nous a apporté une respectabilité dans la foulée auprès des groupes de l’Ouest. VADER a enfoncé les portes et permis à d’autres groupes polonais de se faire connaître dans la foulée. Nous avons brisé le mur qui nous isolait du reste de l’Europe... à notre façon.
En parlant de cette époque, fais-tu référence à ces échanges de cassettes, ces envois de courriers entre fans aux quatre coins du monde qui constituaient alors les seuls moyens de communiquer sa passion ?
Oui. L’échange de cassettes avec d’autres groupes était l’unique moyen dont nous disposions à nos débuts pour nous faire connaître. Lorsque nous avons enregistré « Life In Decay » en 1988, nous ne pouvions pas nous offrir une session en studio et pas simplement pour des raisons budgétaires mais parce qu’il n’y avait personne en Pologne qui soit capable d’enregistrer un groupe aussi extrême que VADER. C’est quelque chose qui paraîtrait impensable pour n’importe quel jeune fan de metal aujourd’hui : trouver un endroit pour faire des photocopies de la pochette de notre démo, copier les cassettes une à une, tout cela constituait un défi au quotidien. Je devais par exemple me payer trois heures de transport pour aller à Varsovie et dénicher une boutique de reproduction Xerox puis il fallait envoyer tout cela par la poste : cela avait un coût monstre en temps et en argent ! La passion, encore une fois, est la seule chose qui comptait...
Cette passion qui t’anime plus que jamais aujourd'hui...
Oui, lorsque je mesure tout le chemin parcouru, une certaine fierté m’anime. Rien n’était simple dans les années 80, le metal n’était pas vraiment populaire chez nous, afficher ses convictions dans un tel environnement relevait de l’inconscience (rires).
Il y a trois ans vous avez réenregistré votre tout premier album, « The Ultimate Incantation », afin de célébrer dignement ses 25 ans d’existence...
En fait, l’histoire remonte à l’année 1992, pendant les toutes premières séances d’enregistrement de l'album qui se sont déroulées aux mythiques Sunlight Studios mais cela ne s’est pas bien passé : le son de la batterie n’était pas assez naturel, par exemple. Je me souviens que Thomas Skogsberg, l’ingénieur du studio, utilisait des pads électroniques pendant cette session d’enregistrement. Nous avons dû repartir pour un autre studio en Angleterre, avec Paul Johnston, et réenregistrer l’album un peu plus tard dans l’année. Pour être honnête, la production de cet album ne nous a jamais satisfait à 100%. Alors, pour fêter les 25 ans de sa sortie, nous voulions rééditer l’album original tel quel et également en proposer une relecture plus actuelle sur un autre disque. Mais Earache ne nous a pas permis de récupérer la licence pour exploiter à nouveau cet album alors que nous étions prêts à mettre le prix.
Récupérer les droits sur « The Ultimate Incantation », cela n’était pas important que pour le groupe mais également pour la scène metal polonaise dans sa globalité. C’est un album qui a marqué le début d’une nouvelle ère en Pologne. Mais nous n’avons pas abandonné le projet et avons sollicité Dan Seagrave, qui avait créé le visuel original du disque, afin qu’il puisse dessiner une nouvelle pochette pour cet album, nous avons aussi changé son titre et l’ensemble des titres de chaque morceau. C’était la seule solution qui nous restait pour rendre hommage à « The Ultimate Incantation ». D’autant plus que « Dark Age » était le titre initial que j’avais imaginé en 1992 pour l’album. Finalement, avec un meilleur équipement mais un état d’esprit inchangé, nous avons réussi à préserver ce qui fait son charme tout en lui donnant une seconde jeunesse. Ceux qui n’apprécient pas la démarche peuvent conserver leur version de 1992, c’est très bien comme cela, il n’y a aucune obligation (rires).
Quelle est la place que tu donnes à « Solitude In Madness » dans une discographie aussi fournie que celle de VADER ?
Cet album est important pour nous, bien sûr. Il sort dans un contexte délicat mais nous ne sommes plus à un obstacle près car nous avons connu de nombreuses difficultés depuis la création du groupe et nous avons l’habitude de retrousser nos manches pour passer à la suite. Personne ne sait vraiment de quoi demain sera fait mais ce que je sais c’est que ce seizième album, comme chacun de ses prédécesseurs, comporte une partie de moi, de mon histoire, de l’histoire de VADER. Son côté abrupt et direct montre bien que nous sommes d’ailleurs plus déterminés que jamais à venir le défendre sur scène.
Peter, je te remercie pour cet échange fructueux et souhaite bon vent à VADER !
Merci Clément pour le soutien apporté par HARD FORCE. A bientôt sur les routes j'espère...