4 mai 2020, 12:33

FAITH NO MORE

• "Live At The Brixton Academy" - 1991 (Retro-Chronique)

Album : Live At The Brixton Academy

1990. Une fameuse année me direz-vous, tournant majeure dans l’orientation du paysage rock. Un groupe de San Francisco, FAITH NO MORE, qui, après deux albums maladroits mais apportant un groove metal atmosphérique curieux et un album incroyablement mature, « The Real Thing », entame une tournée européenne et enregistre un live qui va rester dans les annales. C’est une amie qui m’offre la K7 audio en 1992 (pour les nés après 2000, il s’agit d’un objet rectangulaire et préhistorique qui enregistrait les sons et faisait le bonheur des marchands de crayons à papier), alors que je ne connais pas encore le groupe. FAITH NO MORE, « Live At The Brixton Academy », (l'audio du live début 1991, sorti en vidéo 6 mois plus tôt en août 1990). Pendant le déroulement des 10 titres (8 en réalité, les 2 derniers sont des morceaux bonus enregistrés en studio), environ 1 heure de musique, je vais rester scotché, la mâchoire plus proéminente qu’un erectus devant une représentante femelle de son espèce, et ma perception du monde va définitivement changer. Mais c’était quoi ce groupe que j’entendais ? Je connaissais le hard rock, le thrash, la soul, le rap, la country même (je ne m’en Cash pas) mais jamais au grand jamais, je ne les avais entendu faire la nouba ensemble !

FAITH NO MORE. Une basse slappée et une batterie au groove profonds tout d’abord résonnent. Hypnotisme. Apparition du synthé entêtant de Roddy buttom, un fait déroutant à cette époque pour les hardos pur jus de riffs, à l’ouverture d’esprit souvent digne d’un australopithèque (j’exagère bien sûr mais on reste dans l’évolution des espèces). Tiens, voilà une gratte qui tranche dans le gras… ça devient intéressant. Muy bueno comme disent les kinder de ce côté du Rhin. D’un coup déboule une voix improbable, comme sortie du Muppet Show. Mike Patton, remplaçant depuis peu le chanteur Chuck Mosley. Mais c’est quoi cette voix de chèvre qui alterne tremblotements, voix de crooner, puis parfois des growls death extrêmes ? Mike Patton est entré dans la légende avec ce live. C’est rempli de breaks, d’accélérations, de soli généreux. C’est un magnifique portnawak, et c’est une motherfucking réussite !

FAITH NO MORE sait prendre son temps, ménager le suspense dans la montée musicale des instruments, qui tous jouent un rôle majeur dans le rendu des morceaux. Un bassiste avec une tête de comptable, un batteur reggae warrior ou encore un guitariste au look d’étudiant grunge narcoleptique. Tous sont une part essentielle de « The Real Thing ». Arg… Ce riff entêtant et lourd, cette balance rythmique, ce chant poussé dans ses extrêmes limites, ce break abyssal… A l’époque, RED HOT CHILI PEPPERS, BAD BRAINS et SUICIDAL TENDENCIES avaient ouvert la voie d’un metal fusionnant des styles ghettoïsés. En prenant son temps, avec plus de 7 mn, le morceau "The Real Thing" gagne une ampleur divine, FAITH NO MORE, détesté par les vieux piments vénèrs, saura pourtant porter cet art qu'est la fusion à son paroxysme, quitte à perdre certains auditeurs qu’on dit être remontés se réfugier dans les branches de l’arbre de l’évolution. Pour faire bref, vous mixez PANTERA à la sauce PINK FLOYD, un zeste de RED HOT CHILI PEPPERS malgré tout, vous secouez dans un shaker et vous buvez chaud, vous ressentirez parfaitement FAITH NO MORE.

Pour moi, c’était indéniable FAITH NO MORE sortait de "From Out Of Nowhere" avec riffs et fracas. On sent à travers ce live une dimension "Epic", un titre qui fait vibrer l’auditoire sur le groove de la basse de Billy Gould et de la frappe impitoyable de Mike Bordin, pendant que Jim Martin le guitariste nous assomme avec des riffs puissants et rugissants tel une panthère affamée. Et vient ce pari risqué, quand FAITH NO MORE décide d’effectuer une reprise. Ils n’ont pas peur de s’attaqué à une pièce sacrée du repertoire heavy metal : "War Pigs", ni plus ni moins. Couillu, hein ? On serait tenté d’appeler la sainte Inquisition et d’ériger les bûchers. A la surprise générale, le titre est parfaitement dépoussiéré et mis au rythme d’un temps fusionnel, la gratte est respectueuse et exécute des soli de toute beauté, des soli vivants. Quant aux borborygmes de Mike Patton, ils sont à leur aise et donnent une autre dimension à un morceau qu’on croyait le Madman Ozzy seul capable de hurler. Pour un petit groupe de jeunots, c’est balèze, ça sent le coup de pouce du Malin. Finalement, on aurait dû les sortir nos bûchers, non ?

Comme je le mentionnais, FAITH NO MORE avait eu un premier chanteur, Chuck Mosely, au chant amateur mais très rigolo et qui collait à l’esprit du groupe. Mike Patton reprend le titre "We Care A Lot", issu de la période préhistorique du groupe. Une ambiance de fou, la basse entêtante qui virevolte autour d’un riff agressif, le synthé bienveillant et la voix du nouveau frontman qui vampirise et s’approprie le chant slamé de son prédécesseur. Ce titre m’a renversé façon quille de bowling ! Après le vampire gargarisant vient le "Zombie Eaters". Mike Patton se livre tout entier à son show, plus émancipé qu’une bonne sœur dévoyée au bal du Diable. L’ambiance monte timidement, rythmique et claviers. Puis ça s’anime du côté de chez Belzébuth et des batteries côtières crachent des vagues d’apocalypse thrash. C’est progressif, c’est jouissif !

Après un étrange "The End Of The World", libérant une envie de ballade improbable là où d’autres annonceraient une envie de piss… (pardon), FAITH NO MORE nous libère hagards après ce spectacle qui a posé de nouvelles bases en termes de metal live. On peut affirmer que la fusion gagne à ce moment ses lettres de noblesse scéniques, même si on est plus près du Baron de Munchausen que de Corneille ou Racine. Ce hold-up auditif était-il prémédité ? Je ne le saurai jamais. Toujours est-il que je ne me suis jamais remis de ce live, j’étais désarçonné dans mes certitudes musicales et j’ai depuis ce jour toujours cherché de nouveaux moments de félicité semblables à ce show. Deux morceaux bonus meublent l'album audio, ils sont dipensables mais intéressants. "The Grade" part livrer une prestation country amusante. "The Cowboy Song" est bien rapide et relie passé et présent, sorte de thrash progressif sabbathien.

FAITH NO MORE, « Live At The Brixton Academy ». Un must have. L’expression décomplexée d’un groupe de metal inclassable qui est toujours sorti des sentiers battus. L’expression d’un bond phénoménal dans l’évolution de l’E-space.

Blogger : Christophe Scottez
Au sujet de l'auteur
Christophe Scottez
Chris est ethnologue à ses heures perdues, vétéran des pogo joyeux en maillots de core. Un explorateur curieux, grand amateur de riffs et de chants sauvages. Il a grandi dans les glorieuses années 80, bercé par les morceaux canoniques d’ACCEPT, SCORPIONS, MOTLEY CRUE et autres GUNS N ROSES. Traumatisé par le divorce entre Max Cavalera et son groupe, ainsi que par un album des Mets un peu «chargé» en n’importe quoi, Chris a tourné 10 ans le dos au hard rock. Puis, un jour, il a par hasard découvert qu’une multitude de nouveaux groupes avait envahi la scène … ces nouveaux sauvages offraient des sons intéressants, chargés en énergie. Désireux de partager l’émo-tion de ce style de metal sans la prétention à s’ériger en gardien d’un quelconque dogme, il aime à parler de styles de metal dit classiques, mais aussi de metalcore et de néo-metal. Des styles souvent décriés pour leurs looks de minets, alors que l’importance d’un album est d’abord le plaisir sonore que l’on peut en tirer, la différence est la richesse du goût. Mais surtout, peut-on se moquer de rebelles coquets alors que les pères fondateurs du metal enfilaient des leggins rose bonbon et pouponnaient leurs choucroutes peroxydées ?
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