26 juin 2020, 9:08

GREY DAZE

• "Amends"

Album : Amends

Mondialement connu en tant que chanteur au sein de LINKIN PARK, Chester Bennington a eu une carrière moins populaire et médiatisée avant cela mais elle n’en a pas été inférieure en qualité pour autant. Elle a été différente simplement. GREY DAZE a été une belle aventure au cours des années 90 lors desquelles le groupe a enregistré deux albums, « Wake Me » en 1994 et « ...No Sun Today » en 1997, avant que Chester prenne son essor et s’en aille rejoindre LINKIN PARK. Sur « Amends », des chansons de chacun de ces deux disques s’entremêlent pour n’en former plus qu’un et rendre hommage au travail remarquable effectué à l’époque, gorgé d’émotion pure. Un travail de revisite de l’existant voulu par Chester lui-même et entamé début 2017, auquel un terme définitif fut mis lors de son suicide en juillet de la même année.

Si "Sickness" entame l’album avec, notamment, une superbe intro synthétique et une atmosphère "dansante", c’est avec le 2e titre, "Sometimes", que tout fait sens. On est happé par la voix de Chester tout simplement. C’est imparable. Ces rugissements tels des cris de douleur vous percutent violemment, pour peu que l’on se laisse pénétrer par sa voix et l’âme tourmentée qui s’en extrait. Un sentiment qui s’accroit à l’écoute de la version acoustique présente sur certaines éditions (un traitement réservé également à "What’s In The Eye"). Il est alors âgé à cette époque de seulement 18 ans et le timbre que l’on entend sur les titres de « Amends » est celui de l’époque. Seuls les instrumentaux ont été retravaillés, réarrangés et réenregistrés pour cette réalisation en 2020. Musicalement, on flirte un peu dans les eaux du grunge tout autant que dans un rock aux guitares distordues et appuyées mais tout en subtilité cependant, piochant ci et là des influences assimilées, Chester liant le tout avec ses parties de chant d’écorché. Un mélange unique. Je le répète, sa voix est magique. On s’y accole lors du début en douceur de "The Syndrome" (qui s’appelait "The Down Syndrome" en 1997) pour s’y agripper ensuite et décoller avec elle lorsque l’envol laisse deviner en filigrane toute la fragilité de cet homme parti bien trop tôt, un constat glaçant avec cette phrase finale, « Are you happy? », troublante et bouleversante de clarté avec le recul que l’on a aujourd’hui.

La rage qu’on devine parfois (particulièrement sur "In Time", ou lors du hurlement terminant la chanson "She Shines") renforce notre perception d’un homme qui a vécu toute sa vie avec un mal-être profond, l’enfouissant toujours plus loin mais terriblement présent à tout instant, surgissant d’un coup et remontant à la surface en quelques éclats de voix seulement. Cette douleur est palpable sur "Just Like Heroin", Chester hurlant de toutes ses forces puis susurrant ensuite ce qui n’est autre que ce qu’il ressent au fond de lui (« Debout ici, un son si faible et difficile à comprendre, personne ne peut amener quelqu’un d’autre à voir / C’est mon heure de m’évanouir, de mourir par terre / Me voir tel que je suis, les excuses ne sont que des excuses… »). Le batteur Sean Dowdell, qui était son meilleur ami, avouera n’avoir jamais entendu ou ne serait-ce que deviner la détresse qui habitait Chester. Les arrangements de "B12" en font un titre aérien avec cette voix un peu lointaine dans le mix avant que "Soul Song", bouleversante, sur laquelle le jeune Jaime Bennington vient poser sa voix au côté de son père, nous ramène violemment à son absence. Il est difficile alors à ce moment du disque de ne pas être submergé par l’émotion et l’envie désespérée de le voir revenir d’entre les morts, ce que sa voix fait un peu néanmoins. Les larmes roulent. Puis on se surprend à sourire au détour d’un décontracté « What’d you think Dave? » (T’en penses quoi Dave ?) adressé au producteur David Knauer depuis le caisson d’enregistrement lorsqu’à l’issue de "Morei Sky", le chant accompagne une longue note jouée au piano. Que du bien Chester, on n’en pense que du bien... On est à fleur de peau tout au long de l’écoute de ce disque qui s’apparente à des montagnes russes émotionnelles, à l’instar du cheminement d’une vie. Et c’est ce qui rend ce disque-hommage si beau, jamais vraiment triste, certes empreint d’une profonde mélancolie, de noirceur mais aussi teinté d’espoir et de lumière car c’est ce tout que voulait faire transparaître son chanteur, taisant le reste, et c’est ce qu’il aurait voulu que l’on en retienne.

Cet hommage ne serait pas complet si ses amis n’étaient pas venus lui dire un dernier au revoir et c’est précisément ce qu’on fait, entre autres, car la liste est longue, Page Hamilton et Chris Traynor d’HELMET, Jasen Rauch (BREAKING BENJAMIN),  Brian "Head" Welch et James "Munky" Shaffer (KORN) ou Marcos Curiel (P.O.D.), si l’on ne cite que les plus connus. Tous les instruments présents sur « Amends » voient donc un invité ou plus sur chaque titre apporter leur touche telle des roses déposées sur un cercueil musical. La voix de la chanteuse Laura "LP" Pergolizzi  – formidable sur la finale "Shouting Out" – se marie ici à merveille et clôt les interventions des invités des 11 chansons. On entend par ailleurs à la fin de ce morceau un message de Chester laissé sur un répondeur d’où s’échappe « It’s a beautiful day &… I love you », qui vous étreint en guise de conclusion. Rarement un disque s'est avéré aussi remuant pour l’âme de l’auditeur. « Amends » en fait définitivement partie. Merci pour tout cela Chester. Un chef d’œuvre, on en est tout proche. Un génie, c’est bien probable. Une perte immense, assurément. Tu nous as manqué tu sais, merci d’être revenu.

Blogger : Jérôme Sérignac
Au sujet de l'auteur
Jérôme Sérignac
D’IRON MAIDEN (Up The Irons!) à CARCASS, de KING’S X à SLAYER, de LIVING COLOUR à MAYHEM, c’est simple, il n’est pas une chapelle du metal qu'il ne visite, sans compter sur son amour immodéré pour la musique au sens le plus large possible, englobant à 360° la (quasi) totalité des styles existants. Ainsi, il n’est pas rare qu’il pose aussi sur sa platine un disque de THE DOORS, d' ISRAEL VIBRATION, de NTM, de James BROWN, un vieux Jean-Michel JARRE, Elvis PRESLEY, THE EASYBEATS, les SEX PISTOLS, Hubert-Félix THIÉFAINE ou SUPERTRAMP, de WAGNER avec tous les groupes metal susnommés et ce, de la façon la plus aléatoire possible. Il rejoint l’équipe en février 2016, ce qui lui a permis depuis de coucher par écrit ses impressions, son ressenti, bref d’exprimer tout le bien (ou le mal parfois) qu’il éprouve au fil des écoutes d'albums et des concerts qu’il chronique pour HARD FORCE.
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