6 août 2020, 19:20

AVATAR

• Interview Johannes Eckerström

Le pays fantasmagorique d'AVATAR country ayant mis la clé sous la porte, le groupe revient avec un album aussi sombre que lourd, « Hunter Gatherer ». C'est un monde de technologie futuriste dans lequel l'homme joue un rôle sinistre qui est dépeint lors des 10 titres de ce colosse de metal ultra pêchu. Le quintet suédois nous a habitués a des compositions énergiques, il nous propose aujourd'hui du muscle mais aussi de la profondeur. Et Johannes Eckerström, chanteur théâtral d'AVATAR, est intarissable lorsqu'il s'agit de parler des thèmes abordés sur l'album. Un entretien passionnant avec une figure du metal aux grandes qualités, tant humaines que professionnelles.


Alors il semble qu'un nouveau monde AVATAR est né, un plus sombre cette fois ?
Je pense que l'AVATAR le plus sombre est en fait le véritable AVATAR sur le long terme. Cette fois, nous quittons le pays d'AVATAR, ce monde fantastique dépeint dans les deux derniers albums et nous redescendons sur Terre. « Feathers And Flesh » était déjà un album sombre mais il était basé sur l'imaginaire, comme une fable. Avec « Hunter Gatherer », il n'y a plus d'apparat dans les histoires qui sont racontées. Il s'agit d'une analyse du présent.

Est-ce qu'il reflète ton état d'esprit à propos du monde actuel et de la société ?
Oui, ce n'est pas un concept album mais il y a un fil rouge tout au long de « Hunter Gatherer ». En fait, deux. Le premier est que toutes les chansons parlent d'être en route pour le futur, de manière collective. Le deuxième, comme le précise le titre de l'album, montre ce que nous, en tant qu'être humains, avons passé la plupart du temps à faire, de l'Age de pierre à maintenant. Je pense que l'humain évolue en fonction de ce que son cerveau lui autorise à faire. Nous sommes des êtres complexes, communicants, intelligents : on peut parler, on peut construire, on peut inventer, on peut imaginer... Les choses ont commencé à changer pour l'homme en premier lieu grâce à l'agriculture. Cela nous a permis d'être plus efficaces en termes de production de calories pour de nombreuses personnes ; ce fut un grand succès pour notre espèce car on pouvait se nourrir plus largement. Mais d'un point de vue individuel, on est devenu plus violent et plus malade. Notre monde est devenu plus monotone, notre régime alimentaire moins varié.
Si tu plantes du blé par exemple, tu en deviens dépendant. Et s'il fait trop froid, trop chaud, s'il y a de la sécheresse, tu meurs de faim. Alors qu'avant, s'il n'y avait pas de fruits à manger, les hommes mangeaient des racines. Et en travaillant les champs, on a eu besoin de plus de personnes, de plus d'enfants, donc les mères ont eu moins de temps pour allaiter sans pouvoir forcément fournir un régime alimentaire de qualité à leurs bébés. Donc cela signifie, plus d'enfants malades. Et puis, pour défendre tes cultures, tu as besoin d'acier, d'armes, de gardes. Cette société plus complexe est donc aussi plus brutale pour les individus. Si tu avances jusqu'à la révolution industrielle, c'est allé de mal en pis avec le piège des usines, encore plus monotones. Tu n'es même plus dans les champs. Et si tu prends les 100 dernières années, de nouveaux défis sont apparus : le changement climatique, les tensions internationales. J'ai l'impression qu'on est en plein milieu d'un paradoxe structuré par la technologie et le digital. Cet album questionne ce qu'est être "chasseur-cueilleur" ("hunter gatherer" en anglais), ici et maintenant. C'est quelque chose de très personnel, mais qui touche le monde entier.

Et tu restes optimiste quant au futur ?
Eh bien disons que je suis ouvert d'esprit. Je pense que nous avons tout le potentiel dans le monde pour résoudre cette équation. Cela dépend de notre volonté. Un changement radical est à l’œuvre et nous nous trouvons à la croisée des chemins. On peut choisir soit de vivre un monde à la Mad Max ou à la Terminator 2, soit de vivre dans un monde à la Star Trek. Nous avons le potentiel d'aller toucher les étoiles, mais on peut aussi s’entretuer, selon nos envies. En tous cas, nous devons avancer, il n'y a aucune chance de revenir en arrière. Le monde d'avant est révolu. Il faut agir en sachant que nous sommes 7 milliards d'individus. Je pense que le digital aide à la coopération entre individus. Tout ce qui passe sur Internet par exemple permet aux gens de se cultiver. Cela signifie une meilleure éducation. C'est un droit essentiel. On se doit d'être inventif. Il n'y a bien sûr aucun intérêt à la surconsommation et une économie basée sur la consommation de masse n'est pas viable. Ce que je veux dire, c'est qu'il faut avancer dans un monde à la fois technologique et humain.

Ton analyse est très intéressante et pertinente. Parlons un peu de musique maintenant. « Hunter Gatherer » est un album très sombre mais aussi très varié. Il y a des passages très mélodiques, des moments très heavy, des chansons très lourdes, d'autres très electro. Toutes ces atmosphères dépendent-elles de votre humeur au moment de l'écriture de l'album ?
Je ne sais pas. Je pense que nous portons cette variété en nous, nous sommes des êtres à multiples facettes. Faire partie d'AVATAR et créer pour AVATAR est une grande partie de nos vies. On y partage donc beaucoup de moments différents. On ne veut également jamais écrire deux fois la même chanson. De plus, on est très curieux de voir jusqu'où on peut aller en tant que compositeurs et musiciens de scène. Donc, il y a une formule assez simple qui a déjà fait écho dans deux autres groupes : BLACK SABBATH et les BEATLES. Si tu joues du metal, tout tourne autour des riffs. La musique vit et meurt autour de la guitare électrique et ses riffs. Et le secret de ces riffs repose sur la batterie. Quand tu as ces deux bases, il faut que tu fasses confiance à ta créativité pour libérer la chanson et la faire vivre.
Quand tu prends BLACK SABBATH, ça va de "Paranoid" à "Fairies Wear Boots". Ces chansons sont radicalement différentes, mais elles sont géniales, elles portent en elles le son BLACK SABBATH, tu ne peux pas te tromper. Quant aux BEATLES, leur force réside dans le fait qu'ils ont réussi à rester des débutants dans leur façon d'appréhender leur carrière. Ils ont toujours voulu relever d'autres défis. Ils ont beaucoup changé mais ils sont restés les BEATLES. Cela vient aussi des voix, pas du vocaliste, mais des voix des guitares et des voix de la batterie. Tant que les membres du groupe restent ensemble, ils jouent du BEATLES. Pareil pour AVATAR. Tant que nous jouerons tous les cinq, on fera du AVATAR. On est en ce sens un peu comme les BEATLES, toujours curieux, toujours prêts à relever des défis dans nos compositions, en restant fixés à notre base metal : les riffs tout-puissants ! On va juste là où on a envie d'aller.

Ta voix est essentielle également : quand tu growles ou quand tu chantes en voix claire, l'atmosphère est différente. Les émotions sont véhiculées par ta propre interprétation de vos compositions, non ?
Oui, bien sûr ! Tout a une importance. Mais toutes les voix comptent et les gens ont tendance à oublier que la batterie a une voix aussi. Elle a une voix différente si c'est Nicko McBrain, Lars Ulrich ou Igor Cavalera qui joue. Pareil pour la guitare, pour la basse... et bien sûr pour le chanteur, mais c'est plus évident.

D'ailleurs vous nous faites vivre un vrai ascenseur émotionnel grâce à « Hunter Gatherer » ! Il y a des chansons comme "Gun", qui est très mélodique, et des titres comme "When All But Force Has Failed" qui est très heavy. Il faut être bien accroché !
Oui, mais tout est très cohérent grâce à la façon dont l'album a été enregistré. On a vraiment voulu être le plus honnêtes possible grâce à notre musique. C'est ce que nous faisons depuis le début mais heureusement, plus tu vieillis, plus tu es capable de te détacher de ce qui n'a pas d'importance. En huit albums, on a réussi à garder l'essentiel. Encore quelques albums de plus et nous serons des êtres humains parfaits !

Tu peux nous parler justement du fait d'avoir enregistré l'album tous ensemble en studio ?
Avec « Feathers And Flesh », on a voulu faire une autre forme de production, mais cela restait un album produit en studio. Avec « Hunter Gatherer », on a vraiment enregistré comme en live. Quand tu enregistres instrument par instrument, tu perds en authenticité, tu enlèves ce qui rend la musique si géniale même si, du coup, elle devient plus parfaite car tu peux y ajouter des effets par exemple. Quand tu joues en groupe, en live, tu gardes ta personnalité car rien n'est poli, rien n'est parfait. En cherchant la perfection, tu enlèves la personnalité, l'authenticité, surtout dans le metal. Et puis on répète beaucoup avant d'aller en studio : plus tu répètes, moins tu passes de temps en studio !



Il y a une chanson emblématique sur l'album : "Colossus"... qui porte bien son nom ! Tu nous parles un peu de ce titre iconique ?
C'est un morceau qui parle des hommes qui essayent de créer un ordinateur avec un cerveau humain, qui simulent les stimuli électriques à l'intérieur de nos synapses. Une simulation parfaite devrait pouvoir se percevoir comme un être humain en tant que tel. Ce serait comme créer la vie. C'est la base du message de "Colossus" qui doit son nom au Colosse de Rhodes, bien sûr. C'est aussi un peu jouer au savant fou. Je ne suis pas un scientifique et je n'ai pas un gros bagage culturel, mais ces avancées scientifiques me passionnent et j'aime en parler. Le dilemme éthique est aussi essentiel et intéressant à débattre. Il y a un côté lumineux et un côté sombre, c'est ce que "Colossus" explore.

Qu'en sera-t-il du visuel sur scène ? Tu sais déjà ce que vous allez présenter au public ? Les clowns font plus partie d'une maison hantée que d'un cirque cette fois, non ?
On a vraiment envie cette fois de revenir à quelque chose de plus terre-à-terre. On est un groupe très théâtral et on le restera, mais avec « Avatar Country », c'était très explosif, laissant peu de place à l'imagination. En ce sens, c'était très pornographique. Si on reste dans cette optique, le prochain set sera plus érotique dans le sens où le public aura un rôle à jouer. Cela touchera plus les gens. C'est un gros défi. On sera moins basé sur le spectacle, mais sur nous, en tant qu'acteurs et musiciens. J'espère d'ailleurs pouvoir venir très bientôt vous dévoiler tout cela dans ce beau pays qu'est la France !


​« Hunter Gatherer » 8e album d'AVATAR, le 7 août chez Century Media Records. Album de la Semaine le même jour dans l'émission "Noiseweek" sur www.heavy1.radio à partir de 21h.
 

Blogger : Aude Paquot
Au sujet de l'auteur
Aude Paquot
Aude Paquot est une fervente adepte du metal depuis le début des années 90, lorsqu'elle était encore... très jeune. Tout a commencé avec BON JOVI, SKID ROW, PEARL JAM ou encore DEF LEPPARD, groupes largement plébiscités par ses amis de l'époque. La découverte s'est rapidement faite passion et ses goûts se sont diversifiés grâce à la presse écrite et déjà HARD FORCE, magazine auquel elle s'abonne afin de ne manquer aucune nouvelle fraîche. SLAYER, METALLICA, GUNS 'N' ROSES, SEPULTURA deviendront alors sa bande son quotidienne, à demeure dans le walkman et imprimés sur le sac d'école. Les concerts s'enchaînent puis les festivals, ses goûts évoluent et c'est sur le metal plus extrême, que se porte son dévolu vers les années 2000 pendant lesquelles elle décide de publier son propre fanzine devenu ensuite The Summoning Webzine. Intégrée à l'équipe d'HARD FORCE en 2017, elle continue donc de soutenir avec plaisir, force et fierté la scène metal en tout genre.
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