30 août 2020, 17:00

METALLICA

• "S&M 2"

Album : S&M 2

La délégation HARD FORCE / HEAVY1 (trio de l'émission "IT’S ALIVE" pour être précis), s’était rendue dans un cossu petit cinéma parisien pour assister à l’avant-première de « S&M 2 » le jeudi 10 octobre 2019 : c’était au Club de l’Etoile, une salle fort intimiste prisée pour ses soirées avant-premières, tout près des Champs Elysées – bien plus cosy que la projection grand public donnée au Pathé Wepler le même soir. Après tout, nous avons toujours préféré voir METALLICA dans des clubs que dans de grandes arènes ou dans des stades. On a le droit d’être un peu snob, non mais.

Le film sortait en salles exactement cinq semaines après les deux concerts donnés à San Francisco pour l’inauguration du Chase Center (vive les banquiers, donc). A la vision du long-métrage, nous nous étonnions de la rapidité avec laquelle le film fut mis en boite : montage et mixage avaient donc été effectués en un temps record, sans évidemment paraître bâclé – une notion définitivement absente du vocabulaire et de l’éthique des salariés et collaborateurs de l’Empire METALLICA, Inc. A l’image, rien ne pouvait en effet trahir la rapidité avec laquelle cette entreprise fut assemblée, afin de vite satisfaire les fans du monde entier qui n’avaient pas pu se rendre à ce nouveau pèlerinage dans la Bay Area – seuls deux fois 20 000 privilégiés d’entre eux ont ainsi pu assister à l’une de ces deux soirées exceptionnelles, pour le coup bien moins élitiste que la précédente en terme de cadre et question accessibilité : pas la peine de s’appeler Francis Ford Coppola pour espérer pouvoir passer les portiques de sécurité de la soirée. Pas la peine d’être un VIP donc : au mieux avoir quand-même un bon compte en banque (chez Chase ?) pour se permettre le long voyage jusqu’en Californie, tels qu’en témoignent toutes les nationalités présentes chaque soir, et que l’on imagine bien plus aisées que le simple fan de thrash-metal qui se paye un ticket "entrée + bière offerte" pour voir HEATHEN et LAAZ ROCKIT dans un club de bikers d’Oakland, de l’autre côté de la fameuse Baie. Enfin, cette sortie en salle expéditive se devait d’être au plus près de la date de l’événement, afin de bénéficier du buzz initial, de susciter l’envie chez les fans amateurs de belles images et de gros son, et d’espérer pouvoir faire (un peu) mieux que les scores d’entrée de Through The Never en 2013 : rappelons que le film conceptuel / concert avait fait un bide retentissant et déjà renversé les comptes de la toute nouvelle structure Blackened, avec laquelle les quatre thrashers se voulaient indépendants – à nouveau ? 

Alors, la grande question, essentielle : était-ce nécessaire d’en remettre une couche, question symphonique ? Oui et non – forcément. 

Oui parce que la première fois, en 1999, le concept s’était montré novateur et spectaculaire, tant au niveau du choix des morceaux réarrangés par le compositeur et chef d’orchestre Michael Kamen (décédé depuis). Depuis le début de la décennie, METALLICA prenait un certain plaisir à se réinventer et à se mettre en danger, artistiquement parlant (sans parler de leurs looks, époque « Load ») : trop de cocaïne, poussées d’égo, folie des grandeurs, besoin de reconnaissance auprès des hautes sphères – ou simple ambition de frotter son répertoire épique à la musique noble, et d’en créer un précédent inouï, qui allait précipiter bon nombre d’artistes à réitérer l’expérience, souvent sans autant d’emphase et de génie. Oui parce que question succès, « S&M », paru en novembre 1999 (sept mois après l’enregistrement des deux soirées des 21 et 22 avril au Berkeley Community Theater) avait connu une sortie retentissante avec plusieurs millions de copies écoulées dans le monde, soit bien plus que les derniers albums studio des Mets combinés. Oui parce qu’il fallait aussi marquer une sorte d’anniversaire, de dupliquer l’événement, et d’en faire fructifier la nostalgie. De plus, désormais des hommes d’âge mûr, les quatre musiciens pouvaient bien se faire plaisir à recommencer une telle aventure : seules deux soirées avaient alors été jouées jadis, et le nouveau répertoire en date pouvait peut-être bien se voir honoré d’un tel re-lifting prestigieux, tout en rejouant la panoplie habituelle des classiques pour la troisième et quatrième fois seulement dans un tel habillage – et en permettant aussi au sympathique Robert Trujillo, quand même depuis seize ans dans le groupe, de pouvoir enfin jouir d’une telle expérience à son tour.

Et puis non donc, parce que honnêtement, réécoutons-nous SOUVENT « S&M » ??? Est-il aussi excitant à redécouvrir que le témoignage ultime et générationnel que nous offrait « Live Shit: Binge & Purge » en 1993 ? Avions-nous réellement besoin d’une suite ??? Et à part le témoignage pour ceux qui l’ont réellement vécu, est-il vital de se taper « S&M 2 » pour les autres ???

Digression.

En près de vingt ans, METALLICA n’a sorti que trois albums studio. Cinq années séparent  « St Anger » de « Death Magnetic », et huit de ce dernier avec « Hardwired… To Self-Destruct ». On pourra donc très difficilement prédire QUAND pourrait paraître le nouvel opus du groupe. Ce qui ne l’empêche donc pas de cumuler les sorties intermédiaires, qu’elles soient collaboratives (« Lulu » en 2011), ou live (pas moins d’une bonne douzaine, entre les EP, double albums, B.O. ou DVD, de « Français Pour Une Nuit » au « Big Four - Live From Sofia », en passant par l’anecdotique « Live At Grimey’s » ou le poignant « Liberté Egalité Fraternité Metallica! ». Et nous ne parlons même pas des rééditions de tout le back-catalogue, majoritairement estimé pour ses coffrets Super Deluxe de plusieurs kilos chacun et qui renferment des monstres de lives inédits des époques correspondantes. 

Car nous l’avons bien compris, ce ne sont finalement plus les nouveaux albums de METALLICA qui vendent, mais bien les lives. Les nouveaux albums studio ne seraient-ils que des prétextes, de façon à générer les tournées mondiales pharaoniques habituelles pour des nouveaux rounds de trois-quatre ans ou plus ? Certes ils font le buzz, ces albums : au mieux permettent-ils que l’on parle d’eux et du groupe, et que chaque sortie créée ainsi la polémique, bien en amont et pendant sa sortie, générant des centaines de pronostics et d’avis passionnés entre les rangs des purs et durs. Mais question ventes ? Peanuts. En tout cas lorsqu’on s’appelle METALLICA et qu’un « Black Album » s’est autrefois écoulé à plus de seize millions de copies rien qu’aux US – et près du double dans le monde ! Ou même un « Load », considéré comme un échec commercial (!!!), qui s’est quand même écoulé à cinq millions de copies aux Etats-Unis. « Hardwired… To Self-Destruct » ??? Un million. Par contre des tickets de concert, il en pleut toujours autant : arènes sold-out, stades combles, legs de tournée qui s’étalent donc sur plusieurs années, propices à vendre du merchandising... Aucun doute, le petit commerce de METALLICA est encore florissant, peu importe s’il se plante avec des projets arty avec Lou Reed ou des films sans queue ni tête aux budgets quasi spielbergiens.

Des tournées au cours desquelles METALLICA fait la part belle à ses dernières créations : pour seul exemple, lors de son dernier concert parisien à Bercy en 2017, le groupe jouait pas moins de six extraits de « Hardwired… To Self-Destruct ». Dont une bonne moitié qui nous laissait le temps de partir faire le refill de bières.

Car c’est donc là que « S&M 2 » pèche aussi. Outre l’exercice en soit, qu’il plaise ou non, la set-list n’est pas, euh, phénoménale. Si l’on excepte bien évidemment une bonne moitié de classiques définitifs aussi mythiques qu’incontournables, nous avons là un paquet de trucs inutiles, voire pénibles. Et passée la surprise de certaines découvertes ainsi que la saveur toute relative de ces tout nouveaux arrangements symphoniques, le traitement XXL ainsi apporté à des "Confusion" ou autres "Halo On Fire" est-il si extraordinaire ? Non, ces morceaux étaient déjà pénibles "en vrai", et ici, ils subissent ce qu’on appelle de la lourdeur – pas heavy hein, juste indigestes. Au mieux "Moth Into Flame" relève-t-il le niveau, sans que la présence des cent mecs en costard derrière puisse franchement le transformer en une expérience mémorable. 

Et puis ce ventre mou, là : si l’on est franc (ou de mauvaise foi !?), une fois "The Memory Remains" achevé, le show est plombé par pas moins d’une heure assez peu exaltante : ça commence donc avec ce "Confusion" qui fait grandement redescendre la pression après quatre premiers morceaux introductifs, suivi de quatre autres morceaux qui sont loin de faire l’unanimité et qui peinent à maintenir l’excitation. Ce qui nous mène à un entracte, une longue pause nécessaire au terme de laquelle METALLICA offre à son orchestre de deux soirs le loisir de s’exécuter sur du Prokofiev, à savoir la "Scythian Suite, Op. 20 II: The Enemy God And The Dance Of The Dark Spirtits" (on croirait un titre de TRIVIUM !!!) cette fois en mode strictement classique, façon score de péplum – et ce après cinq minutes d’un speech de l’ultra bavard Lars Ulrich. Les quatre Horsemen reviennent enfin pour reprendre cette fois une partition symphonique de Mosolov avec "The Iron Foundry", un truc genre "Imperial March" de Star Wars, martial à souhait pour les fans de metal. Soit quatre minutes où ils viennent honorer la culture de ceux qui ont accepté le challenge d’affronter le plus grand groupe de heavy-metal de la planète. Mouais. Ensuite, que dire de ce "The Unforgiven III", si rarement joué live (la première fois ici ?), et où James Hetfield se montre si fragile et à nu, seul et sans guitare devant ce mur orchestral qui le soutient pourtant, façon Pavarotti à Vegas, l’émotion en sus – ou pas. Quand on connait la nature réservée, voire timide, de l’imposant frontman, un tel exercice a dû représenter un immense challenge pour lui – ce que l’on ne peut que respecter. Un challenge honorable et relativement émouvant dans ce cadre, mais qui honnêtement, ne passionne guère. Comptez les minutes : oui cela fait près d’une heure qu’il ne se passe pas grand chose de tonitruant et l’on se surprend presque à regretter la set-list du premier « S&M ». Certes il y a des surprises, des choses aussi inédites, mais sont-elles définitivement mémorables pour autant ? Sommes-nous viscéralement des fans de "The Unforgiven III" sur « Death Magnetic » ??? Permettez-moi d’en douter. Et si cette version s’avère logiquement supérieure et surtout surprenante, la réécoute ne risque pas d’être compulsive par la suite. Pas plus que la version electro-acoustico-symphonique de "All Within My Hands", jusque-là un titre complètement oublié de « St Anger » (le dernier de l’album), ici en version ballade, qui vient mettre un terme à cette grosse moitié de concert au final très poussive. Jusqu’à ce que "(Anesthesia) Pulling Teeth" vienne ravir les fans historiques : l’instrumental de "Kill ’Em All" où Cliff Burton s’excitait sur sa basse saturée et distordue de wah-wah est ici repris par un jeune violoncelliste appliqué, et permet enfin un hommage fort à leur regretté ami – qui plus est à domicile, et à revenir à des sonorités old-school. 

Il y a évidemment d’autres très bons moments : nous sommes ravis de réentendre "No Leaf Clover" qui avait été conçu pour l’événement initial il y a vingt ans et qui fonctionne toujours parfaitement ainsi ; "Wherever I May Roam" est probablement l’un des morceaux qui marche le mieux, somptueusement kashmirien, à égalité avec le fédérateur "The Memory Remains" et, oui pourquoi pas, "The Outlaw Thorn" que l’on n’attendait pas vraiment ici, et qui s’avère être une belle surprise, doublée d’une (re)découverte. Bien sûr le frisson est-il total sur la double entrée "The Ecstasy Of Gold" (d’autant plus que son compositeur Ennio Morricone est récemment disparu) et "The Call Of Ktulu" dont la structure quasi-cinématographique parait complètement taillé pour un tel rendu, et qui réitère les sensations procurées par le premier volet de ces aventures en 1999. Enfin, l’effet "chair de poule" reste inchangé pour "Nothing Else Matters" qui connaissait déjà un traitement orchestral discret pour sa version studio, et qui jouit ici d’une emphase remarquable tant l’émotion est palpable – et compatible avec l’essence même de cette composition. S’en suivent des versions quasi inchangées des indéboulonnables "One", "Master Of Puppets" et "Enter Sandman" qui concluent sans grande surprise ce long, très long set au cours duquel je vous avoue avoir ponctuellement piqué du nez pendant la projection... chose qui n’aurait pas pu m’arriver la dernière fois au Stade de France, et encore moins en juin 2003 au Trabendo à un mètre des retours de Jaimz. On a donc redoublé de conscience professionnelle et de concentration à la réécoute de sa bande originale enfin disponible en stéréo – mais il y a ici peu de chances qu’on se la retape à nouveau au cours des vingt prochaines années, en tout cas pas avant « S&M 3 », façon musique de chambre.

Alors que l’on soit simple amateur curieux ou collectionneur fanatique, « S&M 2 » se décline en de nombreuses versions dans le commerce, du double CD au DVD, en passant par le combo ou l’édition vinyle, et pour les ultimes gourmands, la box collector dont le format maxi la verra idéalement rangée en bout de rayonnage à droite de vos autres lourds mastodontes qui obligent Ikea à renforcer le matériau de ses étagères… En attendant la réédition du « Black Album » qui devrait faire au moins cinq kilos tant l’époque a été documentée : c’est à parier la prochaine sortie majeure du clan METALLICA, et gageons qu’on recevra ça dans le courant de l’année 2021, pour les trente ans de l’album…

« S&M 2 » est donc une sortie de plus, pas la plus passionnante, mais forcément très habilement marketée. Pour les autres qui collectionnent les lives de METALLICA, rappelons que le groupe met à la disposition des fans une bibliothèque proprement ahurissante de documents, des centaines de concerts téléchargeables sur son site internet, moyennant quelques dollars pièce. Oui, le concert où vous avez été restera toujours un excellent souvenir, tandis que la palme du meilleur live commémoratif reste celui, quadruple, donné à nouveau à San Francisco, cette fois au mythique Fillmore, en décembre 2011. Quatre dates disponibles sur quatre double-albums au cours desquelles James Hetfield, Lars Ulrich, Kirk Hammett et Robert Trujillo avaient revisité tout leur répertoire en compagnie d’anciens membres, et d’invités prestigieux pour des lots de reprises incroyables. Des concerts incroyables au son soundboard et qui vous permettent bien mieux de ressentir l’expérience METALLICA, plus sauvage et authentique qu’un "The Unforgiven III" avec dix-huit violons, trois tubas, deux hautbois et un triangle.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK