8 novembre 2020, 18:30

ARKAN

• Interview Florent & Mus

Faisant désormais partie intégrante du paysage metal français avec ces 15 ans d'existence, ARKAN revient avec son nouvel et 5e album « LilaH ». Les sonorités orientales, essence même du groupe, sont toujours présentes dans une rythmique encore plus agressive que d’accoutumé. Le fond quant à lui se base sur une autre forme de violence, des faits historiques dramatiques qu’il convient de ne pas oublier...


Votre nouvel album « LilaH » est sorti le 16 octobre, il fait suite à « Kelem » paru en novembre 2016, pour vous quel a été le fait le plus marquant pour ARKAN depuis ?
Mus : c’était lorsque nous avons lancé la composition de ce dernier album. On a mis beaucoup de temps pour savoir ce qu’on voulait faire. Ce qui peut paraitre bizarre dans notre musique, c’est que d’un album à un autre il y a des choix artistiques un peu radicaux, car nous ne voulons pas nous répéter. Même s’il reste une trame qui lie toute la discographie, globalement à chaque fois on cherche quelque chose qui nous inspire. Donc cette phase a duré pratiquement une année, pendant laquelle nos avons fait des soirées à la maison avec les guitares, à travailler. Nous avons composé tous les titres possibles et imaginables : du rock, du metal et même du hardcore. Pour qu’à la fin, savoir à quoi aller ressembler « LilaH ».

Avant de démarrer l’écriture d’un nouvel album, prenez-vous le temps de réécouter les précédents ?
Florent : Non, mais ce qu’on essaye de faire parfois quand on a vraiment la tête dans le guidon, c’est de se garder une semaine où l’on n’écoute aucun de nos enregistrements, afin d’avoir une oreille un peu fraîche. Ce n’est pas toujours évident mais c’est important.

Et pendant cette période arrêtez-vous aussi d’écouter de la musique et d'autres groupes ?
Mus : Personnellement j’arrête d’écouter du metal. J’écoute justement d’autres styles de musique qui te poussent à te remettre en question, et cela peut durer deux ans.

Toujours par rapport à « Kelem » et « LilaH », quelles sont leurs différences et points communs ?
Florent : Le point commun est le travail qu’on a fait sur la dualité des deux types de chants, entre le mien growlé et celui de Manu qui est plus classique.
Mus : Au niveau de la composition il y a des différences. Sur le denier il y a des titres un peu plus progressifs et nuancés, on l’on joue beaucoup plus sur des ambiances. Une autre différence, c'est au niveau du son et de la production. Sur « Kelem » on cherchait volontairement quelque chose de plus posée, plus calme. Pour « LilaH » on assume à tout prix ce côté hargneux et agressif. Si tu écoutes les albums l’un après l’autre, tu verras tout de suite qu’au niveau guitare rythmique et chant ce n’est quasiment pas le même groupe.
Florent : Sur l’aspect des paroles aussi c’est différent, sur « Kelem » on a quasiment travailler qu’en vase clos avec Manu. Sur cet album, comme on parle d’événements personnels qu’on vécut Samir et Mus dans les années 90 en Algérie, forcément nous étions obligés de nous nourrir d’informations et d’anecdotes qu’ils avaient à nous donner. Et à la fois de nous nourrir du contexte de l’époque, donc lire et regarder des vidéos, afin de comprendre la mentalité.

L’album traite effectivement de la guerre civile en Algérie qui a eu lieu dans les années 90. Toi et Manuel vous avez écrit les paroles à partir des témoignages de Samir et Mus qui ont justement connu cette période sombre de l’histoire. Comment as-tu vécu d’un point de vue personnel cet exercice ?
Florent : Je connais Sam et Mus depuis 15 ans, donc je n’ai pas découvert ce qu’ils ont vécu lors de la "décennie noire". En revanche, je me suis toujours dis que ce serait une bonne idée de pouvoir utiliser un jour cette thématique qui est chargé en émotion. Il se trouve que pour cet album les choses se sont imposées assez naturellement. Nous organisions donc des soirées où ils nous racontaient dans le détail leurs différentes anecdotes. Après avec Manu, nous avons eu des sessions de travail en commun où dans un premier temps, on essayait de voir dans quelle mesure on pouvait utiliser ces anecdotes pour être retranscrite sous forme de paroles, ce qui n’est pas toujours évident. Dans un second temps on voyait comment répartir les différents types de chant selon les thémes. Nous avons utilisé du growl pour des paroles qui évoque la révolte ou la colère, et un chant classique et clair sur celles qui évoquent la tristesse. Comme il y a toujours une dualité au niveau des chants, il y a donc eu un travail sur la composition des paroles en fonctions des différentes atmosphères qui étaient dégagées par la musique.

Mus, est-ce que te replonger dans le passé n’a pas été une expérience difficile pour toi ?
Mus : Un peu, c’est forcément le cas à chaque fois que l’on évoque ce sujet, mais ce n’est pas non plus un exercice difficile. Les souvenirs te ramènent à une période qui était très dure, beaucoup de personnes dans la famille ou les amis ont été touchées par la violence de ces moments. Il y a eu énormément de morts et de blessés, la pire chose qui peut arriver à une nation ce n’est pas un conflit entre plusieurs états, mais une guerre civile. Cela a créé beaucoup de problèmes, notamment dans le comportement des gens, ils sont devenus suspicieux et paranoïaques, et justement tu peux ressentir cela quand tu en reparles.

Vous avez de nouveau enregistré avec Fredrik Nordström au Studio Fredman, car justement vous y avez vos "habitudes". Pouviez-vous imaginer comment l’enregistrement se serait passé dans un autre lieu ?
Mus : Oui on aurait pu le faire, mais cela n’aurait pas été le même résultat, et aussi le même travail. Pour nous c’est important de travailler avec lui parce que déjà, on le connait bien, on a eu la chance de faire trois autres albums avec lui. On connait sa méthode et son niveau d’exigence. Il te pousse dans tes retranchements, et à chaque fois il va essayer de récupérer la meilleure de tes prestations. De sorte que le son soit très nature, très brute de décoffrage. On s’entend aussi très bien avec lui, c’est un peu devenu le sixième membre. Je l’aime beaucoup ce gars, on partage des moments d’amitié très intense.
Florent : La difficulté aussi c’est de trouver quelqu’un qui soit suffisamment ouvert à notre sonorité orientale. L’avantage avec Fredrik Nordström c’est qu’il est à l’écoute, et il a compris l’identité musicale d’ARKAN. Lorsqu’on lui parle d’intégrer des instruments orientaux, il a déjà une vision de ce que cela peut rendre au globale. Donc enregistrer avec quelqu’un d’autre aurait été envisageable, le problème étant qu’on aurait navigué dans l’inconnu. Comment savoir si cet ingénieur du son aurait été aussi ouvert d’esprit, et pouvait accepter de s’embarquer dans cette aventure ?
Mus : Ce qui est délicat aussi vis-à-vis des gros studios comme celui de Fredrik, c'est le temps. Si un groupe se pointe et ne peut réserver le studio que pour 10 jours, donc pour enregistrer, mixer et masteriser, cela est très réduit. Si l’ingénieur du son ne connait pas les musiciens, il aura tendance à refuser en demandant de prendre plutôt 1 mois, car 10 jours ils risqueraient de ne pas y arriver. Fredrik sait que nous en 6 jours on va réussir à enregistrer toute la musique, et il lui restera 5 jours pour mixer et masteriser. Et sans rester tard, il va faire cela dans des horaires de travail normaux. En revanche, nous on faisait les trois-huit, nous avions une quantité industrielle d’instruments à enregistrer ! Mais cela restait un plaisir, même si j’ai dû tout réengistrer vu qu’il avait des micros haut de gamme avec une qualité de dingue, et des guitares de malades. J’ai utilisé sa guitare acoustique qui lui a été prêtée par un grand musicien suédois, en termes de son c’est juste magnifique.

Visiblement cela a été une expérience incroyable mais éprouvante, j’imagine que vous seriez prêts à refaire appel à ses services ?
Mus : Carrément !
Florent : Oui bien sûr, pour nous l’enregistrement c’est toujours quelque chose qui est à la fois agréable, car on va donner forme à des années de travail, et à la fois éprouvant et angoissant, car le but est de donner le meilleur de nous-mêmes le jour J dans un temps limité. Et le problème c’est qu’on n’est pas toujours dans les meilleures conditions, par exemple j’étais malade à ce moment là.
Mus : En même temps enregistrer en plein mois d’octobre en Suède, ce n’est pas malin (rires).
 


Par rapport aux ambiances orientales, qui est l’une des particularités d’ARKAN, comment vous organisez-vous pour les composer ?
Mus : Il y a plusieurs façons de les faire. En général quand on fait un titre, on commence toujours par une mélodie de trois ou quatre notes, donc très peu. Après on la travaille sur plusieurs instruments et de manières différentes, et on voit ce qui sonne le mieux. Cette mélodie peut se transformer, en riff ou en ligne de chant par exemple. Au début le process est très simple, puis il y a l’intégration des instruments. On commence souvent avec la mendole, un instrument d’Afrique du nord qui ressemble à la fois à une guitare et à un luth. On fait sonner les notes jusqu’au moment où il se passe quelque chose. Pour ensuite prendre la guitare électrique ou classique, il y a tout qui se mélange et après on enregistre chez nous sur un ordinateur. Ce qui nous permet de le proposer au groupe et de le refaire en répétition. On va dire que la mendole et la guitare classique sont la base de tous les titres, ce qui peut paraître paradoxale car après il y a des riffs en sept cordes accordées en La. En fait, cela se marie d’une manière très naturelle. Car cela reste des guitares, et c’est plus la façon de jouer qui va ajouter ce cachet "oriental", même si on ne veut pas que ça prenne trop de place par rapport au metal.
Florent : Le but est de trouver un équilibre, certains morceaux seront plus metal et d’autres plus orientales. Cela dépendra de la thématique abordée ou de l’esprit que l’on veut donner au morceau. Tout comme l’équilibre chant agressif et chant clair.

« LilaH »​ se traduit par "dieu" de l’arabe au français, quelle est le message que vous voulez faire passer ?
Mus : Il y en a plusieurs, c’est une superposition de plusieurs symboliques autour du même mot. Lilah est tout simplement un prénom de femme, cela veut aussi dire "la nuit", qui va représenter l’obscurantisme et la peur. Cela veut dire "à dieu" et "au nom de dieu", c’est aussi l’anagramme du premier album.

Oui cette pochette semble être l’inverse de « Hilal » paru en 2008, l’une étant blanche et l’autre noire. Est-ce que ces deux œuvres se complètes ?
Mus : A mes yeux oui, mais peut-être pas...
Florent : On laisse l’interprétation possible à tous ceux qui écouteront l’album.



​​Mus, toi qui as vécu la guerre civile en Algérie, à cette époque est-ce que le metal était un engagement ? Est-ce que tu en écoutais déjà ?
Mus : Ça dépend à quelle époque. Entre 89 et 92 j’étais encore gamin, mais après en étant ado, on a commencé à faire des concerts et du metal avec des groupes. Et notamment avec Samir, je l’ai rencontré en 99 dans un festival à Alger, avec mon groupe on faisait la première partie du sien. J’avais un groupe de reprises, on faisait du CANNIBAL CORPSE et du SLAYER. On n’avait pas beaucoup de moyen, nos concerts c’était un peu du bricolage. Mais cela nous suffisait largement pour pouvoir nous exprimer différemment, et partager la musique avec des gens qui venaient nombreux nous voir. On remplissait pas mal les salles, on jouait dans des endroits de 400 ou 500 personnes. Aujourd’hui il y a très peu d’endroits, ce qui est bloquant c’est la capacité des salles en Algérie. C’est soit de très grosses salles de 10, 15 ou 30 000 personnes, ce qui va être très compliqué pour un petit groupe local, soit des salles de cinéma, ce que nous faisions. Et elles n’acceptent pas forcement le metal, les propriétaires avaient peur qu’on défonce les chaises, parce que les gars voulaient la fosse alors ils montaient dessus. C’était un problème à l’époque et c’est encore le cas.

Comment le metal est venu à toi ?
Mus : Cela a commencé par mes parents qui écoutaient un peu de tout, mais surtout de la musique rock des années 70. Comme CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL, THE WHO, les ROLLING STONES, les BEATLES et même Johnny Hallyday dont mon père était très fan. Très vite il y a eu les années 90 et on avait accès à la TV, donc du heavy metal et hard rock sur MTV. Il y avait du PANTERA, sans oublier NIRVANA qui passait tout le temps avec le "black album" de METALLICA. Moi j’étais un gamin des années 90, entre choisir d’écouter de la dance à la con et un mec qui crache avec une guitare, c’est ça qui m’attirait le plus. J’ai commencé à faire de la guitare et à jouer dans le quartier avec des potes, à faire d’abords de la musique traditionnelle. Et un jour où l’on jouait à la plage, je devais avoir 13 ans, il y un métalleux qui est passé pendant que je faisais du NIRVANA ou un autre groupe de ce style... et il me dit « Ce n’est pas de la vraie musique, il va falloir que tu écoutes ça ! », et il me donne une cassette. En rentrant à la maison j’ai écouté, et c’était « Raining Blood » de SLAYER. C’est à ce moment là que j’ai raté ma carrière de doctorant ou d’homme politique (rires).

Est-ce qu’au sein d’ARKAN il y a une influence qui fait l’unanimité ?
Mus : Je pense que c’est NEVERMORE, en tout cas moi c’est mon groupe préféré. Ils avaient quelque chose de très personnel et d’atypique.
Florent : Moi j’en citerais un second, à savoir OPETH, pour le coté progressif et dualité d’ambiance.

Etes-vous toujours en contact avec Sarah votre ancienne chanteuse ?
Mus : Oui bien sûr, on s’appelle quand on peut. Elle va très bien, elle fait pas mal de films et cela tourne bien.

Malgré l’impossibilité de faire des concerts en cette période, avez-vous prévu des événements pour promouvoir votre nouvel album ?
Florent : Il va y avoir des clips et vidéos qui vont sortir. Je sais que c’est la mode des livestreams...
Mus : Je ne suis pas sûr que le livestream soit pertinent, en tout cas pour nous. Car cela demande beaucoup de travail, si tu veux faire un vrai live avec tout ce qu’il faut en termes de son et de mise en scène. Il faut aussi beaucoup de matériel, une bonne connexion et des techniciens. Et nous, faire un truc cheap juste histoire de le faire, on ne veut pas. On doit une qualité irréprochable aux fans qui nous suivent, c’est important.
Florent : Notre priorité est de défendre notre nouveau bébé qu’est « LilaH », lui donner une chance malgré les circonstances particulières. Et honnêtement, compte tenu du fait que nous n’ayons aucune visibilité, c’est un peu donner un coup d’épée dans l’eau que d’essayer de faire des plans. Donc aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup de projets en cours parce que si on s’investit dans quoi que ce soit, tout peut être annulé du jour au lendemain. Pour l’instant on est dans l’expectative.

On ne peut que vous souhaiter du courage et une bonne continuation...
Florent : Si nous avions un message pour conclure, en ces temps difficiles, il faut vraiment qu’on soutienne la scène locale, car les musiciens sont en première ligne et ils vont souffrir de l’épidémie. En Angleterre, il y a un tiers des musiciens qui prévoient d’arrêter leur carrière. C’est assez énorme et à mon avis en France, on doit être aussi dans ces proportions. Le jour où on déconfinera, j’espère qu’il y aura beaucoup de monde dans les salles de concerts.
 

Blogger : Jérôme Graëffly
Au sujet de l'auteur
Jérôme Graëffly
Nourri dès son plus jeune âge de presse musicale, dont l’incontournable HARD FORCE, le fabuleux destin de Jérôme a voulu qu’un jour son chemin croise celui de l'équipe du célèbre magazine. Après une expérience dans un précédent webzine, et toujours plus avide de nouveautés, lorsqu’on lui propose d’intégrer l’équipe en 2011, sa réponse ne se fait pas attendre. Depuis, le monde impitoyable des bloggers n’a plus aucun secret pour lui, ni les 50 nuances de metal.
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