28 décembre 2020, 10:00

Les premiers pas de MOTÖRHEAD

• Lucas Fox nous raconte les débuts du groupe avec Lemmy

DANS LE TERRIER DU FOX
 

« Même les mouches sont mortes : tout ce qui vit là-dedans ce sont les dealers et les cafards ».


28 décembre 2015 : cela fait exactement cinq ans que Ian ‘Lemmy’ Kilmister nous a quittés. Tous les matins, je me réveille dans un monde sans Lemmy, sans MOTÖRHEAD, et j’en ai la nausée et la gorge nouée : celui que l’on croyait définitivement invincible n’est pourtant plus parmi nous, il faut se rendre à l’évidence. Une ère est enterrée, et son cortège de valeurs avec. Mais là où toutes les opérations marketing enchaînent au mieux les rééditions, alléchantes et documentées, ou au pire un merchandising putassier qui encaisse les dollars de ceux qui viennent se payer une tranche de crédibilité rock ’n’ roll, le sceau Snaggletooth bien ajusté en évidence, heureusement reste-t-il exactement quarante années de musique tonitruante, crasseuse et charbonneuse pour se consoler. 

A l’origine, un power trio - mais pas celui auquel vous pensez.
Alors pour rendre un nouvel hommage officiel, au-delà des complaisantes et redondantes hagiographies habituelles, plutôt que de remettre une couche sur du « Ace Of Spades » à tout va (que même son créateur s’épuisait à penser qu’il était bien triste que les ‘gens’ n’en retiennent QUE le single comme étendard valeureux), eh bien ici, chez HARD FORCE, entre fans et donc naturellement pour les fans, nous avons voulu vous offrir NOTRE hommage, via un certain prisme, certes biaisé par l’occasion d’une promotion opportune - et pour le coup plus discrète que celle entourant les coffrets Deluxe de saison. 

Et on ne s’est pas privé.
A l’occasion de la récente ré-ré-réédition de « On Parole », le tout premier album de MOTÖRHEAD enregistré en 1975 - remisé pendant quatre ans et paru «décemment» en 1979 suite au succès majeur de « Overkill » et « Bomber » en Angleterre, et après sa deuxième version gravée avec le line-up Lemmy / Fast Eddie Clarke / Philthy Taylor (« Motörhead » en 1977, vrai-faux premier album officiel donc) -, nous avons été approchés pour rencontrer Lucas Fox.

Lucas Fox : pour ceux qui ne le connaitraient pas encore, Fox fut le premier batteur de MOTÖRHEAD en 1975, et alors un ami proche de son leader au moment où il se faisait éjecter de HAWKWIND.
L’histoire est familière.
Mais peu d’entre vous connaissent les détails d’une période finalement très trouble et peu documentée du groupe entre 1974, avant sa création, et jusqu’en 1977, à la veille d’un début de consécration dans son propre pays. Trois années compliquées et chaotiques où MOTÖRHEAD aurait pu ne pas tenir le coup des défaites, des désillusions et des embuches.
Sabotage ?
Qui sait : mieux géré, mieux managé, MOTÖRHEAD aurait normalement dû voler la vedette aux SEX PISTOLS et aux DAMNED sur leur propre terrain, tant il n’y avait définitivement pas plus intègre et rock ’n’ roll que le power trio - et certainement pas plus punk. Pour la jeunesse britannique, blafarde, désabusée, épinglée et bigarrée, oui, MOTÖRHEAD faisait l’adhésion... mais hélas juste après la bataille.

On ne s’est pas privé donc, comme je le disais : de vous raconter LA véritable histoire.
En long, en large et en travers. Ou plutôt de «laisser» raconter la véritable histoire. De l’intérieur.
Grâce à l’attachée de presse chargée de promouvoir cette énième édition de « On Parole », nous avons ainsi eu accès au dernier des musiciens originaux des premiers line-ups du groupe encore vivant. Et bien vivant !

Crise oblige, nous imaginions n’obtenir qu’une trentaine de minutes par Zoom, Skype, ou pire, par téléphone, avec ce cher Lucas Fox, encore bien mystérieux pour de nombreux fans. C’est finalement un après-midi entier que nous passerons ensemble, chez lui, à domicile, dans sa tanière parisienne. Le terrier du Fox. Car ce jeune sexagénaire aux allures de biker élancé et buriné - paradoxalement un véritable gentleman éduqué et complètement bilingue, tout de noir vêtu, bottines et cuir - habite un quartier discret de Paris depuis des décennies. Après un premier contact par téléphone, déterminé et déjà enjoué, l’homme nous propose une entrevue les yeux dans les yeux : nous sommes le 15 décembre 2020, le confinement est enfin «levé» mais les bars et restaurants restent toujours terriblement fermés, et quelque chose d’impalpable opère déjà. Solitaire, fort affairé et aussi vif que son authentique patronyme pouvait déjà le suggérer, l’homme nous ouvre ses portes, sa confiance, et ses souvenirs. Nous sommes alors dans un salon doucement enfumé et très masculin, entre des piles de bouquins rock écrits dans sa langue maternelle, sa batterie, de vieilles photos de famille d’un autre temps, et des objets personnels siglés MOTÖRHEAD. On ne serait pas surpris de voir le vieux copain Lemmy sortir soudainement des toilettes derrière, tant l’ambiance, le ton et les discours laissent apparaitre la silhouette de notre légende à chaque bout de phrase, bien pensées, respectueuses, spirituelles et rehaussées de quelques anglicismes forcément, oh, "so british".

On voulait en savoir plus sur 1975 : nous avons été vernis.
Fans de Lemmy, vous allez l’être encore davantage, puisque cet entretien fleuve aura duré plus de trois heures, grâce auquel on se plonge littéralement dans l’underground qui a façonné la légende. 

Seconde Guerre Mondiale, Londres bombardé et décadent, squats et amphétamines…
En ces temps de promos industrielles, intenses et express, façon ‘speed-dating’, avec des musiciens chevronnés et langues de bois, avoir DES heures devant soi avec un artiste qui a TOUT vécu de l’intérieur, c’est bien plus qu’un entretien, bien plus qu'une conversation : c’est du LUXE.
Le luxe d’écouter l’Histoire, palpable, défiler devant vos yeux, face à l’un de ses plus fascinants conteurs.

Alors avant de comprendre comment la toute première mouture de MOTÖRHEAD s’est mise en branle, nous avons voulu poser un cadre, un décor, celui d’un Londres post-victorien meurtri et sauvage… et se projeter dans son chaos d’époque.
 

Première séance photo de MOTÖRHEAD à Covent Garden, Londres, mai 1975. Lemmy & Lucas, avant que Larry Wallis ne les rejoigne.


Lucas, le Londres des années 74-75, ton Londres, c’est comment ?
On est exactement là où le glam rock est en train de mourir, 1973 avec le «suicide» de Ziggy Stardust, et où ses anciens fans se transforment en futurs punks à partir de 1976…

Lucas Fox : Ok, alors rajoutons le rock progressif aussi… Là dessus, il y a tellement de groupes que j’ai vus qui jouaient des chansons de quinze minutes avec vingt minutes de solos de guitare… Il y a une frustration et surtout une déconnexion totale. Parmi les fans, ils n’en peuvent plus du rock progressif. Alors, oui, le glam rock c’était marrant, c’était génial un moment. Oui, j’ai adoré cette période (j’ai même joué dans un groupe de glam rock), mais il y a énormément de kids qui n’ont pas de fric… et toutes les stars habitent dans des manoirs, à Epsom, etc. Ils roulent en Rolls Royce et mettent six-sept mois pour enregistrer un album - et il y a donc un décalage énorme entre beaucoup de fans et ces groupes. Et il n’y a quasiment rien qui est dangereux : tout est safe et très intellectualisé. On est passé de tout ce qui est hippie, cérébral acide, à du cérébral intello. Je ne critique pas, il y a des choses magnifiques là-dedans… mais bon, on est en 1973-1974, et Lemmy, tout justement, a identifié quelque part un trou dans le marché, que HAWKWIND et PINK FAIRIES satisfaisaient quelque part, parce qu’ils étaient très alternatifs et très anti-establishment. Tandis que quasiment tout le reste est devenu establishment, avec leurs énormes salaires et le music business est devenu complaisant et fat. Trop gras. J’ai donc commencé à trainer avec Lemmy en 1974, on s’est rencontrés au Speakeasy, tard le soir ; et dès qu’on s’est croisés, on est partis dans des histoires de blagues, à la Tommy Cooper, un de nos favoris à lui et moi, et tout un tas de blagues à l’ancienne, mais aussi nos obsessions pour la seconde Guerre Mondiale, et après ça, la musique. MC5. Link Wray. Mitch Ryder’s DETROIT WHEELS, avec « CC Rider ». FLAMIN GROOVIES. THE STOOGES… mais tous quasiment inconnus en Europe ! Et quasiment inconnus aussi là-bas aux Etats-Unis ! Il faut se remettre dans cette époque-là… Sinon, pour revenir à Londres, on est à Ladbroke Grove : c’est des maisons désuètes dans un quartier pauvre, ça n’a rien à voir avec maintenant ! On a alors un chômage massif en Angleterre, quelque chose comme trois millions - à l’époque !
 


Justement c’est exactement ce que je voulais savoir : c’est comment ce quartier de Ladbroke Grove où tant de groupes étaient alors originaires ? Notting Hill, Portobello Road : c’est aujourd’hui, soit très chic, soit carrément bourgeois-bohème, mais en 1974-1975, c’est comment ?
Lucas Fox : C’est aussi le quartier de T-REX, de PINK FLOYD, TRAFFIC, Bob Marley… C’est pas bohème, c’est encore moins bobo, c’est juste pauvre ! Pauvre, pauvre ! Des squats partout ! Tu imagines six étages de squats sur un bloc immense : dans les couloirs des squats, il y avait des trous dans les murs pour pouvoir passer dans la maison d’à côté ! Et on faisait la fête là-dedans, c’était une souricière ! Et les bâtiments dégringolaient aussi ! Ca avait été pas mal bombardé : à l’époque il y a encore d’énormes cratères de bombes ! Avec les V1, V2, puis le Blitz, il n’y a pas une seule rue de Londres où il n’y pas un trou quelque part ! Après, les maisons étaient peintes dans des couleurs différentes, complètement hippies - mais hippie fin de son ère, décadent ! Tout ce qui est «Peace & Love» n’existe plus : les personnes se poignardent dans le dos parce qu’ils prennent trop de dope ! Et pas que les amphétamines, qui venaient des pilotes pendant la guerre : la Benzedrine chez les Anglais et la Pervitine chez les Allemands - comme ce que prenaient les Mods, et les BEATLES à Hambourg pour tenir les cinq sets par nuit ! Il faut se remettre… les squats, les dealers : les dealers qui étaient dans les sous-sols, une seule ampoule nue au plafond, tout est gris. Dans la cuisine, c’est plein d’assiettes entassées dans l’évier remplies de bouffe et de mégots - même les mouches sont mortes : tout ce qui vit là-dedans ce sont les dealers et les cafards. Alors certes il n’y a plus de gonorrhée, ni de syphilis, mais il y a la pilule, alors ça baise dans tous les coins… Quand on se replonge là-dedans, quand on revoit des photos de cette époque, tout le monde est habillé différemment, il n’y a pas une mode à proprement parler : la mode, c’est la friperie, c’est mélanger les vêtements, et en plus le glam rock est passé par là : il y a des hommes maquillés, il y a des lesbiennes, et il y a aussi des féministes... et heureusement ! Un vrai mélange. Et en plus de tout cela, tu as là toute la communauté jamaïcaine, tous les rastas… il fallait soixante flics pour arrêter un seul homme ! Parce que, arrivés au bout de la rue, ils prenaient tout ce qu’ils pouvaient trouver pour les balancer sur les flics ! Ils sortaient avec des machettes : c’était une no-go zone ! Les flics n’avaient aucune emprise sur eux ! Il fallait faire des opérations massives pour les arrêter. On a donc un havre de paix : c’est comme Haight-Ashbury à San Francisco. C’est comme SoHo à New York : il y a trois endroits au monde qui sont comme ça dans les années 60. Et Ladbroke Grove, Portobello, Notting Hill Gate continuent avec ça. Il faut voir le «Absolute Beginners» de David Bowie pour comprendre. Et il y avait un tueur en série, au 10 Rillington Place - il habitait juste derrière chez moi. C’est un désastre. Tout le quartier est un désastre. Tout est délabré, avec des propriétaires illégaux et usuriers qui faisaient payer une fortune à des locataires pour des bouis-bouis où il y avait un ‘meter’ : tu glissais des pièces de monnaie dedans pour avoir de l’électricité ! Pour prendre un bain, tu mettais de l’argent et tu tournais le truc ! Et dans les squats, tout le monde avait trafiqué ça, alors ça ne marchait plus ! C’était magnifique, c’était génial : c’était l’anarchie totale ! 

Alors toute cette faune de rockers, de laissés pour compte et d’originaux se retrouvent le soir au Speakeasy, un club que tu fréquentes dans le but de te faire un «réseau» et d’y rencontrer des musiciens pour te trouver un groupe - et c’est alors là-bas que tu rencontres Lemmy…
Lucas Fox : C’est exactement ça, tu as bien fait tes devoirs ! Je me suis rendu compte que toute l’histoire de MOTÖRHEAD a commencé par un mensonge de ma part : «j’ai l’âge de 21 ans». Et en fait j’en avais 17. Et j’ai eu ma carte de membre. J’ai passé trois-quatre nuits à l’époque au Speakeasy pour déjà essayer de comprendre : le langage avait changé. J’avais été éduqué au Lycée français de Londres. Je vivais alors en plein centre-ville, et lorsqu’on n’avait plus d’argent, on habitait à Chiswick, dans une banlieue plus pauvre, et il fallait donc absolument que je perce. Je passais plein d’auditions en répondant aux petites annonces des dernières pages du Melody Maker, et je n’arrivais pas à obtenir celles que je voulais, et celles que je ne voulais pas, je les avais. Il fallait donc briser ça - j’ai passé des auditions pendant trois mois, et j’en avais vingt chaque mois ! Et en même temps, pour m’aider à percer, il fallait que je comprenne ce qu’était la drug culture, ainsi que le nouveau langage, où le mot «bad» voulait en fait dire «bien», ou comme «faire un malheur», c’était pareil : tout le langage était inversé pour beaucoup de choses. Il fallait réapprendre un anglais différent, comme le verlan ou le Cockney rhymin’ slang… mais aussi des choses qui viennent de Liverpool ou de Manchester, d’Ecosse et de Newcastle… C’était la mobilité des classes aussi depuis la guerre… les deux guerres en fait, mais surtout la Deuxième Guerre Mondiale où tout le monde était sous les mêmes bombes : les femmes conduisaient des ambulances ou travaillaient dans des usines. Tandis que les hommes étaient déployés dans le monde entier pour tenter de sauver un Empire qui était déjà en fin de course. Donc cela remet le contexte. Et en 1973-1974, il y a le choc pétrolier. Et donc des limitations d’électricité. Une période loufoque : c’est une période charnière, à la fois en politique, dans les arts, dans la mode, dans les magazines de musique alternatifs tels que International Times ou Oz, avec d’ailleurs Mick Farren, avec qui on trainait, qui avait co-écrit avec Lemmy, avec les DEVIANTS ou le MC5… mais tout cela arrive à sa fin. Et on est alors sur une lame de rasoir, et ça peut basculer dans les deux sens. Lemmy et moi, nuit après nuit, après nuit, après nuit, on s’amusait beaucoup, mais je ne cherchais pas à faire compétition avec les autres mâles alpha qui couraient après les filles. Je suis né assez handicapé : je suis allé au Lycée français ; je suis donc assez différent du quidam normal. Tout le monde est différent. Alors bon, moi j’ai une voiture et ça lui plait énormément parce que ça lui coûte bien moins cher que les taxis ! On traine tout le temps ensemble, dès qu’il n’est pas en tournée ou en studio, et moi idem. Nuit après nuit après nuit, je découvre les amphétamines ; et alors, ce gamin de 22 ans que je suis et lui de 27 ans, lui sorti de dealer d’acide de Jimi Hendrix, de Sam Gopal et des ROCKIN’ VICKERS et enfin de HAWKWIND - par accident d’ailleurs ! Parce qu’il est avant tout un guitariste rythmique ! - le voilà qu'il se retrouve catapulté bassiste et ensuite «star» de HAWKWIND avec le succès de « Silver Machine ». Par accident aussi ! Personne ne voulait qu’il chante !
 

 


Que représente alors HAWKWIND pour toi ? C’est ta came ? 
Lucas Fox : Ah mais absolument ! Carrément ! J’ai déjà plongé dans les PINK FLOYD assez tôt… et en 1970, 1973, je suis dans un groupe de pub rock, WH PIERCE BAND. Et on est pris sous l’aile de PINK FLOYD : on a enregistré un album dans la maison de Nick Mason, avec lui et Roger Waters qui produisent. Ca finit mal parce que c’est la semaine où « Dark Side Of The Moon » arrive en tête des charts américains… Alors, oui, toute cette scène prog rock, j’ai suivi tout ça ! Je suis allé voir Greg Lake au Marquee avant qu’il ne fonde ELP - j’ai d’ailleurs vu les KINKS au Marquee, j’ai vu LED ZEPPELIN au Marquee… devant 300 personnes ! Et nous étions alors tellement bassinés par cette histoire de Seconde Guerre Mondiale, comme quoi les alliés étaient les héros, qu’il y avait une histoire de ‘under dogs’ : comme j’étais différent, j’avais tendance à me dire que tous les Allemands n’étaient pas des nazis, que pour beaucoup c’était malgré eux… Alors pas pour faire de l’apologie du tout : je déteste tout ce qui est raciste, fasciste… et une bonne partie des -istes ! 
Alors, Lemmy et moi on s’est noué une relation très rapidement : dès le premier soir, on avait le même sens de l’humour - les Monty Pythons, Ted Ray, Tommy Cooper qui était un génie, Dave Allen. Nous avions les mêmes références. Il montait à cheval et moi aussi. Son père était vicaire et mon grand-père aussi : et donc pendant toute notre enfance, on a subi les sermons. Sur ce qu'il fallait faire et sur ce qu’il ne fallait pas faire. Et puis ma mère : elle était sur la base qui envoyait tous les résistants en Europe - sur la base de Biggin Hills, la base des avions de chasse la plus bombardée de toutes pendant la Bataille d’Angleterre. Et Lemmy et moi avions la même attitude, les mêmes commentaires et les mêmes passions pour la Seconde Guerre Mondiale. On avait étudié la guerre de long en large, toutes les histoires secrètes, les alliances et leurs énigmes, depuis notre tendre enfance. Quelque chose que j’éprouve encore : la géopolitique me fascine toujours, surtout les personnages. Et puis, musicalement, on est totalement en phase aussi. Regarde Lemmy sur les photos : une veste en daim à franges, des t-shirts tye-dye, des jeans à pattes d’eph’ . Un hippie, comme le reste de HAWKWIND ! Et c’est seulement à cette période que cela change : j’amasse un tas de livres sur les divisions d’élites côté nazi, parce que j’étais fasciné par l’imagerie - l’image des uniformes signés par Hugo Boss (rires !), l’image des chars designés par Ferdinand Porsche - le Tigre et le Panthère, magnifiques machines de tuerie… mais aussi l’image du Messerschmidt. En comparaison avec le Spitfire, tout gentil et tout en courbe avec même son camouflage brun et vert qui ressemble à la campagne du Sussex ! Alors que tu regardes le Messerschmidt, c’est tout gris et menaçant ! Bien plus offensif ! Avec le Stuka et ses ailes coupées au carré, cette sirène terrifiante… Ce n’est pas étonnant qu’on ait été fascinés. Alors même s’il adorait jouer dans ce groupe, Lemmy n’était pas complètement à sa place dans HAWKWIND. Ça murissait dans sa tête, même s’il n’avait jamais eu autant de succès que dans ce groupe...
 

"Il faut l'avouer quand même : Lemmy c’était un OVNI, un loup solitaire, qu’on voyait voguer la nuit".



Alors justement : il n’y reste que quatre ans grosso modo, de 1971 à 1975, et il a vraiment propulsé HAWKWIND avec « Silver Machine » - un vrai tube… Quand il part, c’est la grosse désillusion ? On raconte que c’est pour une histoire de drogues incompatibles : toute la troupe trippe sous LSD, alors que Lemmy est accro au speed. Pas vraiment compatible, cette histoire ! Alors, c’est quoi l’état d’esprit de Lemmy à ce moment précis ? Revanchard ? 
Lucas Fox : Oh yeah, complètement ! C’est un crash pour lui. Il est complètement détruit et il ne comprend pas. On ne parle pas assez de Dik Mik : c’est lui l'un des pionniers des synthés et des oscillateurs de son au tout début de cette époque et c’est un excellent pote à Lemmy, avec qui il partage un squat. Lorsque HAWKWIND perd son bassiste, c’est Dik Mik qui lui propose de venir jouer dans le groupe. Lemmy arrive alors dans le bus, impressionné, et avec sa guitare ! Del Dettmar, qui conduit le bus, lui annonce qu’il va jouer de la basse le soir-même. «Comment ça de la basse ? Je n’ai pas de basse !». «Pas de problème, il y en a une dans le coffre !» C’est comme ça qu’il a commencé ! Et c’est ce qui explique son style : c’est un guitariste rythmique, hors-pair, alors il joue ça comme ça, rythmique ! Tu mélanges ça avec du John Entwistle : lead bass des WHO. Quel son ! Alors voilà, on écoutait les WHO ! Et moi, j’étais plutôt genre Keith Moon, mais aussi Aynsley Dunbar, Mitch Mitchell : avec beaucoup de toms. Quand il est viré de HAWKWIND, il ne comprend pas que c’est aussi par jalousie : il est devenu le centre d’attention dans le groupe, et pas Dave Brock qui était pourtant le leader. De plus, il vivait dans un autre monde : il vivait la nuit alors que les autres prenaient de l’acide et fumaient de la dope toute la journée - pas le même trip, même si Lemmy a eu sa période acide, même dans HAWKWIND. La preuve, c’est « Silver Machine », qu’ils ont enregistré à la Roundhouse sous LSD ! Après quoi, ils sont allés aux Morgen Studios où ils se sont rendus compte que les voix de leur chanteur Robert Calvert qui avaient été enregistrées ne convenaient pas. Chaque membre de HAWKWIND a essayé de chanter et ça ne le faisait pas. Finalement, contre leur gré, ils se sont tournés vers Lemmy pour lui proposer de chanter à son tour, par dépit ! Et là, parfait ! Tout d’un coup, l’image d’HAWKWIND, c’est Lemmy qui fait la couv’ des magazines, c’est lui qui est interviewé : donc la jalousie dans HAWKWIND est immense. Malgré qu’il soit là depuis quatre ans, c’est quand même lui le «nouveau». Qui plus est, il vit dans un autre monde : parfois, il disparait et personne ne peut le trouver. Evaporé dans la nature ! Il faut l'avouer quand même : Lemmy c’était un OVNI, un loup solitaire, qu’on voyait voguer la nuit, entre autres avec moi. On allait réveiller des personnes  à 3-4 heures du matin pour aller faire la fête, même si le lendemain ils allaient travailler pendant que nous... on allait à une autre fête !
Alors, avant d’être viré, on lui a demandé s’il «portait» quelque chose. Il a dit que non et, arrivé aux douanes canadiennes, ils l’ont arrêté et ont trouvé à l’intérieur de sa manche (comme d’habitude !) deux grammes de speed. Heureusement pour lui, le lendemain ils réalisent que ce n’est pas de l’amphétamine qui est encore illégale au Canada - et donc pas de la cocaïne comme ils le pensaient. Ils le relâchent alors le lendemain, Lemmy est prêt à faire son concert avec eux, et là ils lui disent : «t’es viré». Il prend alors l’avion et le lendemain-même, je vais le chercher à l’aéroport. Il est complètement brisé et un gouffre s’est ouvert sous ses pieds. Ça ne lui était jamais rentré dans la tête ne serait-ce qu’une seconde d’avoir son propre groupe. Trop chiant ! Imagine gérer les gars de HAWKWIND ? La pression de constamment écrire de nouvelles chansons ? Lui, ça lui faisait juste plaisir de temps en temps d'en écrire une ou deux et de les placer dans le groupe. Ça lui faisait ainsi un peu plus de revenus, comme la chanson « Motorhead » qui n'était que la face B de « Kings Of Speed » !!! (rires). On ne peut pas l’inventer, c’est l’ironie du sort ! Viré juste après « Kings Of Speed » et « Motorhead » ! « Motorhead » qui est veut dire ‘speed freak’ en argot américain.
 

"Ils le relâchent alors le lendemain, Lemmy est prêt à faire son concert avec eux, et là ils lui disent : «t’es viré».
Il prend alors l’avion et le lendemain-
même, je vais le chercher à l’aéroport.
Il est complètement brisé et un gouffre s’est ouvert sous ses pieds.
Ça ne lui était jamais rentré dans la tête ne serait-ce qu’une seconde d’avoir son propre groupe. Trop chiant !"


Tout de suite après, vous avez en tête de former un supergroupe avec Larry Wallis, alors le guitariste des PINK FAIRIES, toi, et même le guitariste Luther Grosvenor, qui jouait jadis avec SPOOKY TOOTH et brièvement avec MOTT THE HOOPLE : il y avait même un nom pour ce projet… : les 4 L’s : Larry, Luther, Lemmy et Lucas ! Les 4 L’s ça sonne comme ‘Four Hells’ aussi : une bande de ‘hell raisers’ !
Lucas Fox : Oui, alors ça, ça n’a jamais vraiment existé comme nom de groupe. C’est juste un délire que j’avais imaginé : avec Lemmy, j’avais une petite liste de musiciens, dont Luther Grosvenor et Larry Wallis ! Larry Wallis parce qu’avec les PINK FAIRIES, ils avaient partagé l’affiche plein de fois - et même fait le PINKWIND en étant ensemble sur scène ! Et Luther Grosvenor : putain, quel guitariste ! Imagine Luther et Larry : tous les deux très mélodieux et à la fois très rentre-dedans, avec un sens de la mélodie hallucinant. Luther chantait aussi, Larry avec sa voix nasillarde comme un Alice Cooper du sud de Londres - les deux ensemble, ça aurait été une tuerie ! Et malheureusement, Luther, après qu’on l’ait contacté Lemmy et moi, nous a répondu qu’il allait former son propre groupe, WIDOWMAKER. Et donc, on se retrouve à trois. Mais avant ça, Lemmy et moi, avec nos nuits blanches, on finissait sur Portobello Road le samedi matin ou le dimanche matin, on commençait à amasser une petite collection de memorabilia nazi et compagnie, tout ça avec le côté noir, veste en cuir, même biker...

Il voulait alors être le MC5 britannique… On pourrait même dire, alors que tu disais tout à l’heure que la scène manquait cruellement de danger, que vous vouliez carrément apporter un peu d’Altamont sur la scène de Londres !
Lucas Fox : C’était tout à fait ça. Et puis, quand on a commencé à réfléchir à nos chansons, on avait comme référence les BEATLES à Hambourg, et puis aussi « Helter Skelter », des trucs rapides et tranchants, de trois quatre minutes maxi ! Revenons au rock ’n’ roll ! Et pas un truc qui traine en longueur avec solo de batterie et on joue pendant deux heures… non, non, non ! C’était une heure, voire 45 minutes si on avait des amphétamines plus fortes et c’était ça l’idée. Et avant même qu’il soit viré de HAWKWIND, tout ça était déjà en marche. Une fois viré, pendant trois semaines, il a complètement détruit l’appartement autour de moi - on était alors seuls lui et moi, et la seule personne qu’on voyait sinon, c’était le vendredi après-midi lorsqu’il allait chercher son chèque chez Doug Smith, le manager. Et moi, j’en pouvais plus ! J’ai pas mal souffert dans ma vie de pas mal de chose. Moi, ma philosophie, c’est coup de pied au cul et le lendemain tu te redresses ! Alors que lui n’arrêtait pas de se lamenter en se disant : «il faut qu’ils me reprennent, il faut qu’ils me reprennent». Non ! Il ne pouvait pas comprendre toute cette histoire de jalousie et le fait qu’ils étaient en train de prendre leur revanche ! Et il y a seulement quelques mois, lorsque j’ai recontacté Doug Smith pour pouvoir écrire les notes du livret de « On Parole », on a reparlé de ces trois semaines-là, lorsque Lemmy avait été viré. Je vais le chercher à l’aéroport à Heathrow, je le ramène à son appartement et on passe tout notre temps ensemble pendant ces trois semaines - et je lui disais que je n’en pouvais plus ! Lemmy était si misérable ! Pas dans le sens «oh, pauvre de moi !» : non, il était furax. Absolument furax. Hors de lui. Qui allait pouvoir chanter « Silver Machine » ? Je lui disais : «faisons quelque chose !». Je joue de la batterie depuis l’âge de neuf ans, j’ai été dans plein de groupes - bon, pas célèbres, on est d’accord ! Mais j’ai fait plein de concerts, faisons quelque chose ! Je suis batteur et tu es bassiste, on va trouver des guitaristes, etc ! Quant à Doug Smith, de son côté, il essayait de le raisonner aussi en lui disant «tu as énormément de fans, avec « Silver Machine » entre autres, rien que pour toi ! Trouve un guitariste, fais quelque chose, c’est maintenant !». Alors voilà, entre nous deux, pris en tenailles, finalement Lemmy a eu « l’idée » de former son propre groupe. Et tant mieux. 
 


Début de la tournée MOTÖRHEAD. Lucas et son kit Ludwig (qui appartenait aux FOUR TOPS précédemment) qui est encore dans sa couleur Champagne rose d'origine avant qu'il ne soit recouvert de noir.
© Paul Appleby | Collection Lucas Fox


​Dès le début, le répertoire est alors très hétérogène par rapport à ce que deviendra vite MOTÖRHEAD à partir de 1977 et ensuite, avec « Overkill » ou « Ace of Spades » : il y a deux reprises de PINK FAIRIES grâce à Larry Willis donc, dont « On Parole » qui sonne très très DR. FEELGOOD façon pub rock, un blues avec « Iron Horse », le même Larry au chant sur « Vibrator » et « Fools » ; « Leaving Here » est un classique rythm ’n’ blues de la Motown… et puis il y a ces deux chansons piquées au dernier répertoire d’HAWKWIND, « Motorhead » et « Lost Johnny »…
Lucas Fox : C’est en effet un trait d’union. Le pont. Le pont entre le rock progressif et le punk… Et c’est seulement quatre-cinq mois après une première tournée de seize dates qu'en rencontrant des copains qui jouaient dans GENERATION X ou Brian James qui allait former The DAMNED, quand on leur demandait pourquoi ils avaient monté leur groupe : c’est parce que «j’ai vu MOTÖRHEAD». Ou «J’ai vu PINK FAIRIES». Ou «J’ai vu HAWKWIND». Mais surtout : «j’ai vu MOTÖRHEAD». On pouvait faire différemment. On pouvait faire beaucoup plus rentre-dedans. On pouvait faire beaucoup plus hargneux. On pouvait faire avec des chansons beaucoup plus courtes. On pouvait faire… du thrash ! Et faire que ça marche. Et donc cette première tournée a démarré lorsque Larry nous a rejoint, à Battersea au sud de Londres, juste au sud de la Tamise - et d’ailleurs toutes ces photos que tu connais, derrière le grillage, ça c’est à Battersea, c’est un site de construction juste à côté du studio. Alors pour la première répétition, Larry arrive, les roadies montent notre matériel, et là Lemmy coupe trois lignes comme ça. Larry ne sait pas ce que c’est et lui demande : «c’est quoi ça ?». Lemmy lui rétorque : « it’s speed. Sniffe-le ! ». SNIIIIFFF ! Et là, Larry tient ses narines, avec des larmes qui pissent de ses yeux, avec la douleur de cette amphétamine terrible qui brûle les narines et qui écorche l’intérieur de la tête… Et après ça, on a mis les amplis sur 11 et c’est parti de là. On a ensuite réarrangé tous ces morceaux pendant quelques semaines pour que ça colle avec ce qu’on avait pensé créer tous les deux pour avoir des versions ‘short sharp shock’, et pas des versions PINK FAIRIES ou HAWKWIND… Alors, quand on arrive à la Roundhouse pour notre tout premier concert en première partie le 20 juillet 1975, c’est plein à craquer de fans de Pink Fairies et HAWKWIND et ils sont tous bouche bée, le choc ! Déjà ils n’ont jamais vécu un tel volume sonore ! Et c’était complètement rentre-dedans : dès qu’une chanson finissait, on commençait la suivante sans leur donner ne serait-ce que la possibilité d’applaudir ! Sans aucun répit ! Et à la fin du concert ça leur a plu : et tout est parti de là. Toute cette histoire est partie de là. On a donc fait seize dates ensemble et on a rôdé le truc… et après ça les amphétamines ont commencé à vraiment faire des dégâts.
 


Motörhead au Roundhouse le 20 juillet 1975
© Collection Lucas Fox
 

On pouvait faire différemment. On pouvait faire beaucoup plus rentre-dedans.
On pouvait
 faire beaucoup plus hargneux. On pouvait faire avec des chansons beaucoup plus courtes.
On pouvait faire… du thrash ! Et faire que ça marche.


Justement, quand on regarde des photos de ce premier line-up en 1975, ce qui frappe c’est l’intensité de ton regard : tu es alors très jeune et on sent que tu ne dors pas la nuit !
C’est saisissant : on a vraiment l’impression que cette drogue a un énorme effet sur toi ! 

Lucas Fox : Oh yeah ! Absolument. Mais laisse-moi te montrer une autre photo. Celle-ci : regarde, c’est comme ça que je veux nous rappeler de nous. On se marrait tout le temps. L’histoire, c’est que Lemmy nous disait : «il ne faut surtout pas sourire !». Ni sur les photos, ni sur scène : sérieux ! Mais cette photo est un vrai exemple des photos des débuts sur cette première tournée. On se marrait vraiment beaucoup. Et même Larry avait un très bon sens de l’humour. Lemmy… on rigolait beaucoup. Les photos qu’on peut voir, c’est  nous qui jouions un jeu.
 

MOTÖRHEAD avec Larry Wallis et Lucas Fox


Juste après ces quelques dates en Angleterre, vous rentrez aux Rockfield Studios : quelques semaines plus tôt, c’est d’ailleurs QUEEN qui y enregistre « A Night At The Opera » et son célèbre « Bohemian Rhapsody ». Toutes les pistes d’un premier album sont alors en boite. Et après : qu’est-ce qui cloche pour que tu ne puisses pas rester dans le groupe à l’issue de ces séances et surtout que tes parties de batterie ne soient pas entièrement conservées ? 
Lucas Fox : Alors, pour être le plus exact possible, je vais te raconter : quand on est en studio, la batterie a été enregistrée comme ça, à l’autre bout de la pièce, avec des écrans, des paravents bas. Et, à l’autre bout, il y avait les amplis. Et entre les deux, il y avait trois paires de perches de micros, de part et d’autre, comme ça. Quand on est arrivé à Rockfield, la première journée, on a calibré le son avec Dave Edmunds, le producteur. Et c’était énorme. Un son énorme. Génial. J’avais même désaccordé mes toms pour rentrer dans les fréquences entre Larry et Lemmy - et tout était donc capté par ces micros dans la pièce. Moi, je l’ai plutôt joué safe, à la Charlie Watts, droit. Et la preuve, c’est que sinon, ils auraient dû tout ré-enregistrer, alors qu’ils n’ont fait que des rajouts sur mes parties. Et sur ma propre batterie qui était encore là ! Sur les remasters de « On Parole », on entend très clairement les deux batteurs : moi et Phil ‘Philthy’ Taylor, dont le son de caisse claire est plus sec. Je sais qu’ils ont donc tout gardé, et qu’ils n’ont fait que des « re-re » de Philthy par-dessus. Mais même s’ils l’avaient voulu, ils ne pouvaient pas retirer ma batterie, parce qu’au niveau du son énorme d’ambiance, il y avait ma batterie dedans !
Alors, oui, je l’ai joué plus safe parce que les amphétamines qu’on a eues à Rockfield étaient bien plus pures et fortes que celles qu’on avait eues jusque-là. D’ailleurs, à un moment, Dave Edmunds était écroulé sur sa console pendant dix minutes et il s’est réveillé en sursaut pour aller vomir dans la cour. Il est revenu en s’excusant pour recommencer la séance ! Je l’ai donc joué safe, tandis que Larry et Lemmy étaient davantage comme sur la tournée. Si tu écoutes les bootlegs de l’Hammersmith Odeon et de la Roundhouse, c’était le son comme il l’était, c’était pas du Charlie Watts ! Beaucoup de toms, etc - mais c’est pas du Philthy, hein ! Donc « On Parole » c’est bien le trait d’union entre le rock progressif et le punk dans toute sa splendeur, avec Filthy, et aussi un truc quasi-politique, une charge anti-establishment tant tout était devenu complètement inoffensif. Le rock était alors pépère. Comme il est, selon moi, resté bien pépère depuis ! Quand MOTÖRHEAD est arrivé, il n’y avait rien comme MOTÖRHEAD. Même le MC5, dans toute sa gloire, c’était pas comme MOTÖRHEAD première tournée. Et d’ailleurs, toute l’imagerie MOTÖRHEAD, Vivienne Westwood et Malcolm McLaren l’ont repris dans le punk avec les croix gammées, les brassards et tout le bordel, mais aussi les crânes ! Il n’y avait pas d’utilisation de crânes à l’époque. Et ça a commencé avec les fameuses Totenkopf, hein… Même moi, avant que je rencontre Lemmy, j’avais un crâne qui pendait à l’oreille… Alors, le jour où Joe Petagno (artiste américain qui a fait des pochettes et illustrations pour les studios Hypgnosis, et pour de nombreux groupes, de LED ZEPPELIN à MARDUK, en passant par HAWKWIND, NAZARETH et justement MOTÖRHEAD NdR) est arrivé avec une grand enveloppe kraft, il en a sorti deux esquisses sur du papier dessin. Il y avait donc Joe Petagno, Lemmy et moi, dans le bureau de Doug Smith. Lemmy en a désigné une du doigt, en ajoutant : «je veux ça, mais avec une croix de fer qui pend» et en pointant ma boucle d’oreille, «je veux un mini-crâne qui pend aussi». Et une goutte de salive qui tombe. Et comme dans le film “Rollerball”, une crête avec des pointes. Et l’image, tout est là. Cette image, c’est comme le son, c’est un coup de pied dans l’establishment.
 


Snaggletooth, créé par Joe Petagno


Alors non seulement tu es là à la naissance de cette image iconique du Snaggletooth, mais tu es aussi à l’origine de cette écriture très provocatrice, très germanique avec ce MOTÖRHEAD gothique avec le umlaut sur le deuxième o… 
Lucas Fox : Ben, Lemmy le voulait sur le premier o… et en plus ce n’était pas écrit en gothique. Alors, je n’en pouvais plus de ces discussions et j’ai pris un morceau de papier : j’avais fait calligraphie au collège d’Art - j’ai donc écrit le nom en gothique et j’ai mis les trémas sur le second o et je lui ai dit : «c’est comme ça. C’est comme ça que ça doit être, sinon tout le monde germanique va mal prononcer ton nom ! Ca va être ‘Meu-torhead’ au lieu de ‘Mo-teur-head’ !». Et voilà ! Mais je ne me vante pas du tout de cela : c’est aussi un mélange de ce qu’avait voulu Lemmy. C’était une évidence que le gothique serait utile dans l’image - et même dans le son quelque part, ce côté wagnérien !
 

"J’ai donc écrit le nom en gothique et j’ai mis les trémas sur le second o et je lui ai dit : «c’est comme ça.
C’est comme ça que ça doit être, sinon tout le monde germanique va mal prononcer ton nom ! 
Ca va être ‘Meu-torhead’ au lieu de ‘Mo-teur-head’ !"


Ca, avec votre passion pour la Seconde Guerre Mondiale, c’est d’une grande puissance ! Ça a vraiment tout d’une fascination/répulsion même !
Lucas Fox : Exactement, de la répulsion, beaucoup de répulsion parce qu’à l’époque on a vraiment une conscience bien plus accrue que les autres de tout ce qui avait pu exister comme les Einsatzgruppen ou encore les camps et de tout ce bordel. Je sortais alors avec une fille qui était la fille d’un officier SS et c’est d’ailleurs elle qui nous a confectionné nos premières broderies parce que j’avais acheté trois brassards comme ça, mais en blanc sans lettrage - parce qu’il y avait aussi des régiments qui avaient ça autour du bras sans avoir le nom du régiment. ‘Das Reich’ ou ‘Adolf Hitler’ etc. Alors ma nana et sa copine Gunda ont donc brodé ça, et donc Lemmy et moi avions ça par-dessus nos cuirs, alors que Larry ne voulait surtout pas toucher à son Perfecto...
 

 
Au domicile de Lucas Fox, Paris, 15 décembre 2020
© Jean-Charles Desgroux


Alors suite aux déconvenues du studio, à ces déceptions et à ces désillusions, est-ce que tu t’es senti amer, trahi à ton tour par ton nouvel ami ? 
Lucas Fox : En fait ça a pris un peu de temps après cette histoire en studio on a joué au Marquee ensemble. Et à la fin de ce concert, John Cale qui était là (LE John Cale du VELVET UNDERGROUND) voulait que je rejoigne son groupe. Et j’ai refusé parce que j’étais dans MOTÖRHEAD et je ne pouvais pas trahir Lemmy, etc. Alors, l’amertume non, parce que ce n’est pas dans ma nature. Je comprendrais très bien que l’effet des amphétamines et le fait que je sois trop jeune peut-être pour pouvoir assumer ce rôle, j’étais conscient de ça et au moins j’ai fait ce que j’ai pu. Et c’était pas rien. Par contre, United Artists, la maison de disques, ils ne savaient pas ce qu’ils avaient entre les mains. Ils étaient choqués : quand ils l’ont écouté, ils ont refusé de le sortir. Il n’est sorti qu’en 1979…

Ils l’ont sorti entre « Bomber » et « Ace of Spades » : par pur opportunisme donc ! 
Lucas Fox : Exactement, par pur opportunisme. 

Les années 76-77 sont donc un premier trou noir, beaucoup d’incertitudes et d’échecs pour MOTÖRHEAD : lâché par le management et lâché par la maison de disques….
Lucas Fox : Non, non, c’est l’inverse : lâché par la maison de disques, et c’est ensuite Lemmy qui a lâché le management. Mais il est revenu, hein, cinq fois ! Doug Smith est revenu avec « Bomber », « Ace Of Spades », etc. Donc, oui, c’est le début de ces années noires…. les années punk. et beaucoup de personnes en étaient alors très contentes… MOTÖRHEAD, au tout début, ça collait pourtant parfaitement avec le punk : tu mets ça à l’affiche avec les DAMNED ou tout le reste et ça collait carrément…

Et vous aviez le respect des punks…
Lucas Fox : C’est ça, exactement. 

Est-ce que tu suis la carrière de MOTÖRHEAD par la suite, dans les années 70 ou 80 ? Est-ce que tu suis leur actualité, sans regarder en arrière ? 
Lucas Fox : En fait, dans tous les groupes dont j’ai fait partie par la suite, UNTOUCHABLES, WARSAW PAKT et tout ça, tout d’un coup, Lemmy apparaissait dans la foule. Il venait voir et adorait les groupes dans lesquels je jouais. 

Vous aviez donc gardé un lien…
Lucas Fox : On a gardé un lien et après chaque concert que je faisais, on allait boire une bière ensemble, et on discutait tous les deux. Il n’y avait pas de coupure, d’autant qu’on avait aussi plein de personnes en commun, hommes et femmes - et femmes ! Mais aussi on vivait dans le même quartier. Tous les deux, on habitait encore à Ladbroke Grove - et on fréquentait les mêmes pubs.

L’amitié reste intacte ? 
Lucas Fox : L’amitié reste quasi intacte. Ca n’est plus exactement la même chose qu’en 1974-1975, mais ça reste jovial et convivial, oui. 

En 1985, tu es invité à jammer sur la scène de l’Hammersmith Odeon par fêter les 10 ans de MOTÖRHEAD : c’est alors Pete Gill, ex-Saxon qui est à la batterie à cette époque-là lorsque « Orgasmatron » est sur le point de sortir, Phil Taylor joue aussi sur son kit sur le final « Motörhead », il y a même Phil Lynott de Thin Lizzy ainsi que quasiment tous les anciens membres du groupe, Fast Eddie et Brian Robertson… et toi tu es là avec une guitare à la droite de Lemmy ! Raconte-moi comment s’est orchestré cet anniversaire particulier pour toi ? 
Lucas Fox : Ah ah ah ! On m’a filé une Strat’ blanche ouais, tout à fait ! (rires)
 


Alors, j’imagine que c’était tout à fait honorifique de la part de Lemmy de rendre hommage à tous ceux qui firent partie de l’histoire de MOTÖRHEAD pour fêter cet anniversaire, mais avec déjà deux batteurs sur scène pour le rappel, comment tu vis le moment ?
Lucas Fox : Ben bizarrement : je vois qu’il y a seulement deux batteries sur scène, et que Pete est là et Philthy est là aussi, et donc je monte sur scène et on me met cette guitare dessus, on me branche et j’y vais ! Et moi, grand fan d’Adrian Belew, je m’amuse à faire ce genre de son avec - et on m’a un peu fait la gueule après ! Mais quelque part, je me suis bien amusé ! Mais comme je te dis, je n’ai pas une once d’aigreur en moi, parce que j’ai participé, j’ai eu l’honneur et l’accident de participer à la première pierre de l’édifice - et ce sur plusieurs terrains, si on veut. Et quand l’album sort enfin en 1979, je suis au moins déjà super content que ça sorte enfin. Et que tout ce boulot qu’on avait pu faire à deux et puis ensuite à trois et après ça avec Philthy dessus - qui a fait un boulot monstrueusement bien hein, tout à son honneur, on s’aimait bien Philthy et moi ; et Eddie aussi que je voyais régulièrement avec sa femme Sylvie…. Donc à l’Hammersmith Odeon, ça fait aussi exactement dix ans que je n’y ai pas remis les pieds. La dernière fois, c’était en première partie de BLUE ÖYSTER CULT qui était un désastre sur scène, mais dans le public… Je vais te dire : je suis en contact avec plein de fans qui y étaient et qui me disaient que c’était génial ! Comme souvent quand tu es sur scène, tu ne sais pas ce qui se passe dans le public. On nous avait saboté le son, c’était un mur du son et on ne distinguait rien ! C’était l’horreur mais au bout de seize dates on a tenu et on a fait notre show à notre manière - mais les fans m’ont dit que c’était tellement tendu, tellement sur le fil du rasoir, que c’était vraiment excitant ! Mais c’était ça aussi MOTÖRHEAD, avant que ça ne devienne…

...plus ‘corporate’ ? 
Lucas Fox : Ah ah ah ! Ce n’est jamais vraiment devenu corporate !

Non mais, ‘corporate’ dans le sens ‘très bien organisé’…
Lucas Fox : Très bien organisé, oui exactement, et je dirais même entre guillemets que quelque part, ça a « un peu perdu de son charme ». Moi, j’adore la première formation, enfin le Mark 2 : Philthy, Eddie et Lemmy, c’est juste une splendeur magnifique ! Et dans l’écriture, et dans le jeu, et dans tout le bordel ! Et quand Philthy a emmené sa double caisse, personne ne faisait comme lui ! Et pourtant Keith Moon avait une double grosse caisse, Mitch Mitchell avait une double grosse caisse… mais c’est unique ! Un genre de bruit de moteur comme quinze Harleys sous amphétamines ! Ou quatre Messerschmidt en ligne ! 

Une petite chose d’ailleurs, tiens, qui me tient à coeur, mais qui m’ennuie vraiment au fond en tant que ‘vieux’ fan : n’as-tu pas parfois l’impression, sur ses dernières années, que MOTÖRHEAD a été récupéré et qu’il ait été apprécié pour « paraître cool », pour « s’encanailler » un peu ? Tout le merchandising et ce logo hyper iconique que tout le monde porte désormais, comme celui des RAMONES ou des MISFITS….. Un truc soi-disant « rock ’n’ roll » pour les autres qui se l’approprient pour se donner un genre, un truc de touristes pour aller voir le dernier des Mohicans debout, qui personifiait le dernier vrai danger du rock ’n’ roll, bien plus que Keith Richards ou même qu’Iggy Pop ? En peu de temps, vers la fin, les salles sont devenues bondées alors qu’avant elles n’étaient pas pleines ou bien étaient bien plus modestes… Paradoxalement, MOTÖRHEAD a un peu perdu de sa superbe, parce qu’il est devenu une institution, trop bien marketée…
Lucas Fox : Je suis entièrement d’accord avec toi. Et tous les honneurs tout de même à Mikkey et Phil : Lemmy a tenu la barre mais eux l’ont accompagné comme il fallait pendant plus de vingt ans ou que sais-je. Tout à leur honneur. Mais je suis d’accord avec toi : pour moi ce n’était pas la même chose. Ce n’était pas la même chose, ni dans le public, ni sur scène. Quand j’ai vu Lemmy pour la dernière fois - voici le backstage pass d’ailleurs - le 18 novembre 2014, on  a passé plus de deux heures ensemble avec Tim le bass tech, son meilleur copain, et c’était comme il y a 45 ans… on s’est marrés comme avant...
 


Paris (Zénith) le 17 novembre 2014 - La dernière fois où Lemmy et Lucas Fox se retrouvent ensemble
(de g. à dr. : Dave Vanian de THE DAMNED, Lemmy, Dave Lombardo, Lucas Fox)
© Dod Morrison - collection Lucas Fox


C’est étonnant tout de même : tu habites à Paris depuis plus de trente ans, MOTÖRHEAD vient à Paris quasiment tous les ans pour y donner un concert, souvent en novembre ou en décembre d’ailleurs, et il n’y a que celui-ci, en 2014, où vous vous retrouvez… Et donc rien depuis le Hammersmith de 1985…
Lucas Fox : On s’est vus une fois par hasard dans Paris : il était en terrasse et je remontai la rue et on est tombés l’un sur l’autre, mais à part ça non, on s’est perdus de vue. Moi, j’ai fait mon chemin. De groupes en groupes, et de groupes en groupes, des trucs magnifiques mais qui n’ont jamais eu de succès comme MOTÖRHEAD et autres, et après ça le Midem, plein de gros évènements, j’ai travaillé sur ces concerts de Jean-Michel Jarre, des trucs comme ça… en Asie sur l’organisation de festivals de films du Sud-Est Asiatique ; j’ai produit des groupes gothiques que j’ai adorés à Vienne ou en Slovénie… La veille d’aller voir ça, j’étais au lit et j’ai regardé sur internet tous les concerts que MOTÖRHEAD a fait depuis que je les ai quittés : (rires) et donc sur le site officiel, j’ai juste lu la liste de tous les concerts qu’ils avaient faits. Et à la fin j’étais épuisé ! Putain : mais en fait, ça m’a sauvé la vie de ne pas en être ! 

Comment expliques-tu une telle constitution ? Tel qu’on le perçoit, Lemmy c’est une bouteille ou deux de Jack Daniel’s par jour, deux ou trois paquets de Marlboro, quelques lignes de speed, les nanas et la tête dans les amplis plus de cent cinquante concerts par an : c’est surhumain ! 
Lucas Fox : Déjà, il avait un métabolisme exceptionnel. Comme Keith Richards d’ailleurs ! Déjà à l’époque, il prenait des amphétamines depuis quatre cinq ans avant moi : de 1971 donc, tout le temps jusqu’en 2014 ! Quand il ne pouvait pas se procurer de speed, il gonflait comme un ballon : il faisait de la rétention d’eau. Et des amis en commun m’ont dit que vers la fin, des docteurs ont pris son sang pour l’analyser : et Lemmy leur a demandé s’il devait arrêter de boire et ils lui ont dit « surtout pas ! Ca va te tuer ! ». Un métabolisme exceptionnel comme Keith Richards et comme Ozzy Osbourne très certainement. Mötley Crüe probablement… mais peu : la plupart clamse ! Et pour beaucoup de l’époque, même s’ils ne sont pas morts, et pourtant j’en ai enterré une bonne quinzaine, overdoses et compagnie, suicides parce que psychiquement ça détruit, mais la plupart sont morts pas si vieux que ça. Et c’est un miracle que Keith soit encore là ! Est-ce que c’est cette légende où on lui change son sang en Suisse - ou pas ? Impossible de savoir ! Mais même Lemmy avait demandé si ça serait possible de changer son sang… Mais bon… il s’est construit un corps différent de celui des autres. Il avait déjà une tête différente des autres ! C’est quand même l’un des mecs les plus intelligents avec qui j’ai jamais travaillé… Je le mettrai au même niveau que Ray Charles ; oh, c’est pas une compétition, ils sont bien différents l’un de l’autre, mais avec une mémoire d’éléphant, et il était aussi capable d’être très méchant - il n’était pas toujours le Lemmy que tout le monde aime à penser non plus. Mais côté fans, il était super : lui et moi on pensait pareil, qu’on n’était pas sur scène pour jouer les chiens savants dans un cirque, on est là pour faire décoller le public. Alors, c’est old school, je sais, mais si quelqu’un a la gentillesse de venir acheter un billet ou d’aller acheter un album, le minimum qu’on puisse faire, c’est de le faire rêver. C’est la base de l’entertainment. Et quand le public décolle vraiment, le retour de flamme est tellement immense !
C’est marrant, parce que lorsque j’ai commencé dernièrement à répondre à des interviews et à me replonger dans tout cela : c’était juste après sa mort fin 2015 ; non en fait plutôt fin 2014, après l’avoir vu au Zénith. Je suis revenu ici, j’étais dans mon lit, et tout d’un coup, toutes ces histoires sont ressorties de ma mémoire. Enfouies mais claires comme des hologrammes : les scènes, tout ce qu’on a vécu ensemble, plein de petits détails, plein de petits détails… je me suis dit « putain, c’est l’Alzheimer ! Je ne me souviens pas de ce que j’ai fait la veille ! ». Je n’avais jamais plongé dans le passé avant cela : mais maintenant, oui. Pour toutes ces interviews et pour la réédition de « On Parole ». Et je suis donc complètement plongé dedans. Le vieil adage dit : « si tu t’en souviens, c’est que tu n’y étais pas ». Malheureusement peut-être pour certains, mais moi, je me souviens très bien ! Des histoires, j’en ai par centaines : que ce soit avec MOTÖRHEAD ou ailleurs, en commençant par mes neuf ans où je lavais des voitures pour me faire de l’argent de poche et pour pouvoir m’acheter des futs !

Sa disparition a été un tel choc : on a perdu l’un des derniers grands héros du rock, intègre, et qui n’a jamais dévié de sa ligne…
Lucas Fox : Euh… en tout cas pour le public, ‘qui n’a jamais dévié de sa ligne’, on est bien d’accord. 

D’autres ont, en tout cas, fait bien plus de concessions dans leurs carrières…
Lucas Fox : Concessions… ça c’est quelque chose que je trouve fascinant… Moi je me souviens d’une discussion que Lemmy et moi avions eu sur Bowie : Lemmy était un peu allergique à Bowie, mais moi, je lui disais : « regarde, c’est génial ! Il a eu le courage de changer ». Tandis que Lemmy s’est quelque part enfermé dans un genre de cercueil artistique… Tiens, par exemple, regarde sa voix sur les quelques ballades qu’il a pu faire, avec Mikkey, ou celle avec Ozzy Osbourne… là il chante, il ne gueule pas. On m’a souvent demandé : « mais pourquoi il s’est mis à gueuler ? ». Dans « Silver Machine », sa voix est très haute et très mélodique. Alors voilà : tu fais un mélange avec son obsession pour John Lennon sous Pervitine, avec le son des BEATLES et de Liverpool (d’ailleurs Lemmy venait d’à côté de Liverpool…) et tu mélanges avec « On Parole » où il chante vraiment ; mais en tournée, il a été obligé de commencer à gueuler ! Parce que en concert, à l’époque, les ingés son ne savaient pas dealer avec ce volume sonore qui était exceptionnel. Mais avec MOTÖRHEAD, ça a mis beaucoup de temps avant qu’ils ne commencent à contrôler et maîtriser cette puissance sonore. Il ne s’entendait pas ! Alors il gueulait au maximum ! Ce qui a quasiment cassé sa voix. Et il s’est retrouvé un peu enfermé dans cette image qui correspondait à ce volume, immense. Et puis, avec le Snaggletooth et tout ça. Mais au fond de moi, sans vraiment de regret d’ailleurs, je ne peux pas m’empêcher de penser : « mais comment ça aurait pu être autrement ? ».
 

 
Première tournée de MOTÖRHEAD en 1975, avec Larry Wallis et Lucas Fox.
© Steve Emberton
 

 

Après c’est certain que comme un AC/DC, MOTÖRHEAD s’est enfermé dans une formule assez immuable… Après, Bowie était tellement curieux, qu’il se nourrissait de tout ce qu’il pouvait lire ou voir…
Lucas Fox : Mais Lemmy aussi ! Lemmy aussi : il lisait tout le temps ! Et donc, dans les paroles oui. Et puis, il a aussi utilisé son sous-groupe HEADCAT pour faire du rockabilly…

Mais Lemmy ne se référait constamment qu’aux BEATLES ou à Little Richard, tandis que Bowie pouvait écouter toutes les musiques, et être curieux de tout ce qui sortait… Lemmy restait quelque part une sorte de nostalgique…
Lucas Fox : Ca c’est vrai ; c’est très intéressant. T’as pas tort. Eddie, Philthy, et moi… Larry Lemmy et moi, on a créé le moule, sur lequel tout a pu se greffer et aller plus loin. Après ça, Lemmy, Philthy et Eddie ont créé le MOTÖRHEAD qu’on connait… mais en effet, quelque part, une fois qu’ils avaient créé ce son, et cette image tellement extrême… ils sont restés dedans.

C’est vrai… on va dire que c’est à partir de l’époque californienne, et en 1990 l’arrivée sur Epic avec l’album « 1916 » qu’ils ont commencé à incorporer quelques ballades par-ci par-là, et quelques blues ; mais globalement, le terreau est resté le même. Finalement, MOTÖRHEAD n’était pour Lemmy ni du punk ni du metal, c’était du rock ’n’ roll : peut-être une vision étriquée et même très conservatrice…
Lucas Fox : Et en même temps très large : parce que pour lui, c’était Chuck Berry, c’était Little Richard, c’était Screamin’ Jay Hawkins, mais aussi MC5… et il adorait Joni Mitchell aussi ! (rires). Et puis les BEATLES, pas seulement celui des débuts, mais aussi après, « Sergent Pepper’s » et tout le bordel ! Ça a quand même changé le monde ! 

Tu parlais tout à l’heure de tous ces souvenirs qui sont subitement remontés à la surface et que tu as ressenti le besoin de raconter, alors que jusqu’à présent tu n’en avais pas eu la nécessité. Donner ta version des faits : il était temps de raconter ta vérité ?
Lucas Fox : Ah ah ah ! Le mot vérité ! Il y a toujours trois histoires : la mienne, la tienne et la vérité ! C’est parti de deux-trois choses : un, la chance extraordinaire d’avoir rencontré Lemmy. Psychologiquement parlant, ce fut une chance inouïe encore une fois de pouvoir revoir Lemmy. Et puis de mettre les choses à plat et être bien…

Curieusement, et comme je te l’ai fait remarquer, il y aurait pu y avoir d’innombrables autres occasions de vous revoir : mais là, il s’est agi de la toute dernière, ce 18 décembre 2014 au Zénith, sachant qu’après, il devait revenir donner un concert le 15 novembre 2015, qui été annulé suite aux attentats deux jours avant… C’est quand même extraordinaire ce rendez-vous, cette ultime chance qui vous a été donnée…
Lucas Fox : En fait, c’est par le biais d’un éditeur de musique en commun que j’ai pu le revoir : je m’entends très bien avec lui et je lui ai dit qu’il fallait absolument que je le revoie… Tiens, regarde l’enveloppe qui contenait mon pass backstage : « LK » - j’étais sur sa liste personnelle. Il y a donc eu ça et ensuite à sa mort, j’ai été foudroyé. J’ai été très surpris d’être autant touché. Et c’est donc depuis que je donne pas mal d’interviews. Les gens me demandent comment je me suis retrouvé dans cette histoire et aussi qu’est-ce que j’ai pu faire après. Pour moi, c’était une vie comme une autre, parce que je l’ai vécue… mais pour les autres, c’est une vie exceptionnelle. Et c’est là que je me suis rendu compte qu’il fallait que j’écrive mes mémoires, parce que tout le monde me le suggérait : j’ai vécu des choses extraordinaires. J’ai rencontré les BEATLES sur le set du tournage du film « Help ! », j’ai passé la journée avec eux, par hasard à l’âge de douze ans ! J’ai rencontré Keith Moon, avec Charlie Watts et Ringo Starr, lorsque je me suis acheté ma première paire de baguettes quand j’avais neuf ans ! Tout ça, ça fait partie de moi et fait que ma vie est un peu différente, et en plus différente de celle du musicien typique. J’étais hors-norme dès le début et j’ai continué à être hors-norme tout du long. •

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Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
Ses autres publications

2 commentaires

User
Sickfred Inhumate
le 28 déc. 2020 à 17:18
Et Rock & Folk vient de sortir un hors série avec les 666 albums qui ont faits le rock dans lequel MOTÖRHEAD n'apparaît pas en tant que tel, uniquement cité dans l'article HAWKWIND !
User
Christian Lamet
le 28 déc. 2020 à 17:36
Est-ce une surprise ?
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