29 décembre 2020, 18:00

ORDINUL NEGRU

• Interview Fulmineos

Blogger : Clément
par Clément

Confirmant le fameux adage : « Mieux vaut un EP de qualité qu’un album vite torché », ORDINUL NEGRU frappe un grand coup avec ce qui s’annonce comme l’une des sorties black metal de l’année 2020 : « Nebuisa ». A n’en point douter, le groupe originaire de Timișoara sait y faire lorsqu'il s'agit de créer des ambiances prenantes sur cette petite demi-heure qui fait la part belle à un univers énigmatique peuplé de morceaux riches et inventifs. Fulmineos, à la tête de l’équipage roumain depuis plus de quinze ans, a pris un peu de temps avec HARD FORCE pour revenir sur cette sortie...


Bonjour Fulmineos ! 2020 marque l’année de la sortie de « Nebuisa », dernier album d’ORDINUL NEGRU. Quelle place tient celui-ci au sein de votre discographie ?
Bonjour Clément. L'écriture de « Nebuisa » a démarré l’année dernière lorsque nous avons décidé de retravailler le morceau "In Ceas de Noapte", extrait de l'album « Sorcery of Darkness » paru en 2015. Nous avons choisi d’en tirer une relecture plus moderne avec une approche et un feeling totalement nouveaux, une sorte de version 2.0 intitulée "Triskelion and the Chronograph".
Ensuite, nous sommes partis dans des orientations musicales très différentes lors de l’écriture des morceaux suivants. Il était simplement impossible de les intégrer de manière homogène sur un album alors nous avons décidé d’en faire un long EP qui regrouperait toutes nos idées du moment.
A vrai dire, même s’il affiche près de trente minutes de musique au compteur, je ne considère pas « Nebuisa » comme un album à part entière. Les quatre morceaux qu’il propose n’ont pas de lien entre eux, tant sur les thèmes abordés que sur le style de composition. Il s’agit plutôt d’un collage musical issu de nombreuses sources d’inspiration. Après tu as raison, il est vrai que certains albums sortis récemment ont une durée identique à celle de notre EP, mais nous avons d'autres idées à exploiter dans un futur proche pour constituer une véritable déclaration idéologique et musicale !

Cela fait à peine deux ans que « Faustian Nights », votre dernier album en date donc, a vu le jour. Que s’est-il passé pendant tout ce temps pour le groupe ? Quelles ont été vos sources d’inspiration durant cette période ?
L'album « Faustian Nights» a été très bien accueilli et a reçu de très bonnes critiques. Peut-être aussi parce que les deux vidéos que nous avons réalisé pour "Killing Tristan" et "Faustian Nights" ont contribué à enrichir notre vision musicale. Bien sûr, le travail acharné et l’énergie mis en œuvre par notre label, Loud Rage Music, ont également porté leur fruit.
Concernant nos inspirations, notre musique évolue en permanence : cela a pour conséquence de nous obliger à ne jamais nous reposer sur nos lauriers et de proposer quelque chose d’unique aux auditeurs. Nos racines black metal, ancrées dans les années 90, sont toujours présentes bien sûr mais elles sont diluées dans de nombreuses influences plus récentes. 

Vous avez quitté Banatian Darkness, qui était votre label depuis vos débuts, pour rejoindre Loud Rage Music avec la sortie de « Sorcery Of Darkness» en 2015. Qu'est-ce qui vous a convaincu de rejoindre leurs rangs ?
Pour tout te dire, Banatian Darkness était mon propre label et je n'avais plus beaucoup de temps pour m’en occuper au quotidien. Cela a coïncidé aussi avec le moment où j’ai constitué un line-up à part entière pour ORDINUL NEGRU. J'ai pris la décision de me concentrer à fond sur la musique et d’abandonner tout ce qui tournait autour du label. Il faut dire que, pendant plus de vingt ans, j’ai endossé à la fois le rôle du promoteur, de l’ingénieur du son, de dirigeant de label, de designer, tout cela était très intense et ne me laissait plus beaucoup d’opportunités pour amener le groupe à un autre niveau.
J'ai donc contacté Adrian de Loud Rage Music, c’est l’un des rares acteurs professionnels de la musique metal ici en Roumanie, et je lui ai proposé qu’ORDINUL NEGRU intègre les rangs de son label. C’était une décision évidente, je le connaissais déjà depuis de nombreuses années et j'aime travailler avec des personnes que je connais personnellement. La confiance que nous avons l’un en l’autre est essentielle pour le bon déroulement des choses et cinq annnées plus tard, je peux t’affirmer que ce choix était le bon !

Revenons à « Nebuisa ». Pourrait-on le considérer comme la synthèse idéale de tout ce que vous avez pu proposer jusqu’à aujourd’hui ?
Etant impliqué depuis les touts débuts du groupe sur la vision artistique et musicale, il m’est difficle de te répondre car je manque de recul sur ce sujet. Ce qui est certain cependant c’est que cet EP a été conçu et produit de manière très fluide, en respectant les idées de chaque membre du groupe, sans se forcer à respecter un plan établi dans les moindres recoins avant d’entrer en studio. Nous travaillons actuellement sur de nouvelles orientations musicales toujours plus surprenantes. Tout ceci me fait dure que « Nebuisa » n’est qu’une étape de plus dans l’évolution de notre son… et c’est tant mieux !

« Nebuisa » délivre des atmosphères étranges, il sonne très «avant-gardiste» avec des références aux pionniers norvégiens que sont ARCTURUS, FLEURETY ou WINDS. Dans quel état d'esprit avez-vous conçu cet EP ?
Comme tout ce que nous avons fait jusqu’à aujourd’hui : le but premier est de nous exprimer. Peut-être que notre musique est devenue plus technique qu’auparavant parce que nous jouons et répétons avec beaucoup plus de régularité. Ce qui est sûr c’est que nous retroussons constamment nos manches pour expérimenter et découvrir de nouvelles choses…c’est ce qui nous lie aux groupes que tu cites j’imagine.

La production est superbe, dotée d’un son profond et cristallin. Le travail abattu par Putrid, votre batteur, qui s’est occupé de l'enregistrement et du mastering force le respect. Est-ce plus facile pour vous de retranscrire vos visions musicales avec quelqu'un qui fait partie intégrante du groupe ?
Oui, nous sommes très chanceux d’avoir Putrid à nos côtés. Il est non seulement un batteur exceptionnel mais aussi un très bon ingénieur du son, qui capte à merveille l'essence de notre musique et met beaucoup de passion dans son travail. C’est bien plus important pour nous d’investir du temps avec lui, à travailler avec ferveur et en équipe, que d’obtenir une production standard sans âme ni souci du détail comme n’importe quel gros studio pourrait le faire.
 

"Je pense que dans tous les pays post-communistes d'Europe de l'Est les conditions étaient plus ou moins les mêmes au début des années 90. C'était une lutte constante, tant sur le fait de pouvoir se procurer des instruments que de pouvoir enregistrer dans des conditions décentes."

 

Peux-tu nous en dire plus sur Alexandru Das, qui est à l’origine de la superbe pochette de l’EP ?
Alexandru Das est un vieil ami, nous étions collègues d’université à l'époque, mais il a déménagé pendant près de 15 ans à Bucarest ce qui fait que nous nous sommes perdus de vue pendant quelques temps. Il est également guitariste dans un groupe de post-rock instrumental appelé VALERINNE, il travaille dans le secteur du design et c’est une figure bien connue de l'underground roumain. C'est très facile de travailler avec lui, je ne saurais d’ailleurs que trop recommander son travail.

J'ai eu beaucoup de plaisir à revenir sur certains de vos précédents disques avant de découvrir « Nebuisa ». J'ai le sentiment que votre musique évolue vers des univers moins sombres, qui ne sont pas pour autant plus faciles d’accès. Est-ce le signe que votre style a tendance à être plus atmosphérique avec le temps, pour vous permettre d'élaborer de nouvelles ambiances ?
Du point de vue de la production, nous sommes devenus plus audibles en nous éloignant du son très brut de nos débuts pour privilgier un rendu plus élaboré, plus fouillé. Nous expérimentons et dépensons beaucoup d'argent en matériel afin de rester à la page. Si j'achète un delay ou une réverbération à 400 euros par exemple, il m’est inutile d'enregistrer sur mon vieil équipement quatre pistes, cela n’aurait pas de sens.
Pour tout te dire, nous avons essayé de réenregistrer de vieux morceaux et c’était peine perdue, l’ambiance de l’époque n’y était plus et le rendu sonnait bien trop différement de l’original. Certes, c’était propre, bien fait mais cela ne représentait plus rien à nos yeux, dix ans plus tard. Nous avons donc abandonné ce projet et désormais nous tournons nos regards vers le futur…

Pour en revenir à votre patronyme, « ORDINUL NEGRU » signifie « Ordre noir » en roumain. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la signification que vous donnez à ces mots ?
Ce nom a une aura particulière. Il reflète l’idée que nous recherchons les choses cachées dans l’obscurité, nous sommes comme des ombres filant dans la nuit et pratiquant des arts oubliés. Et notre existence est liée à cet ordre obscur qui guide nos croyances et nos émotions. Comme tu peux l’imaginer, ce nom est venu naturellement, il a pris d’ailleurs une ampleur et une signification de plus en plus forte au fil des années.

A quel niveau ORDINUL NEGRU est-il impliqué dans la scène roumaine? Outre NEGURA BUNGET et DORDEDUH, vous êtes l'un des seuls noms qui viennent à l'esprit lorsque l’on évoque cette scène, que peux-tu nous dire à son sujet ? Et par la même occasion sur Timisoara, la région où vous habitez ?
Bien sûr. Tout d’abord, j'ai joué au sein de NEGURA BUNGET pendant plus de trois ans entre 2010 et 2013 ans, quant à Putrid, il est derrière les fûts chez DORDEDUH. C’est presqu’une histoire de famille car nous sommes pour la plupart issus de la même ville, et nous avons grandi dans le même quartier !
À la fin des années 80 et au début des années 90, à part TECTONIC qui était le premier groupe de trash de Bucarest, la plupart des groupes pionniers dans leur genre étaient originaires de la région de Timisoara. De nos jours la scène metal en Roumanie n'est pas vraiment développée mais il y a de bons groupes, composés par les mêmes personnes impliquées au sein de cette scène depuis 1990 : WHITE WALLS, BUCOVINA, AKRAL NECROSIS, CLOUDS ou SYN ZE SASE TRI par exemple.
En tant qu'environnement culturel et commercial, Timisoara est une ville en plein mouvement où de nombreuses grandes entreprises ont implanté leur siège et c’est aussi la seule ville d'Europe à disposer d’un théâtre d'État où les pièces sont jouées en trois langues : hongrois, allemand et roumain. En revanche, il y a peu de salles de concert et les deux grands clubs rock de la ville ont fermé leurs portes juste avant le début de la pandémie de Covid 19. J’espère que d’autres lieux de ce type ouvriront une fois que cette crise sera derrière nous. Enfin, Timisoara sera la capitale européenne de la culturelle de l'Europe pour 2023, c’est une bonne chose pour mieux la faire connaître !



J'ai interviewé Peter de VADER il y a quelques mois et il évoquait à quel point il était difficile dans les années 90 pour un groupe polonais de se procurer des instruments, d'enregistrer dans un endroit approprié dans un pays si fermé. Était-ce la même chose en Roumanie ? Comment la situation a-t-elle évolué depuis cette période ?
Oui, c'était la même chose ici. Je pense que dans tous les pays post-communistes d'Europe de l'Est les conditions étaient plus ou moins les mêmes au début des années 90. C'était une lutte constante, tant sur le fait de pouvoir se procurer des instruments que de pouvoir enregistrer dans des conditions décentes. Je me souviens de notre matériel d'enregistrement : de vieilles platines cassettes branchées à des mixeurs Sonor russes avec quatre micros en plastique dispersés dans la pièce. Je pense que peu d’occidentaux peuvent imaginer la situation que nous vivions à ce moment-là. 
Mais les choses se sont améliorées après les années 2000 avec l’arrivée du matériel numérique sur le marché à des prix raisonnables. Et maintenant… tout est à portée de clic, acheter du matériel d’occasion ou neuf sur eBay résonne juste comme une évidence désormais!

Revenons à ORDINUL NEGRU, j'ai remarqué que tu as enregistré les six premiers albums tout seul avant de recruter deux musiciens sur « Sorcery Of Darkness ». Était-ce dans le but de monter un véritable groupe sur scène ?
En fait, j'étais fatigué de jouer de la batterie à l’époque de « Nostalgia Of The Fullmoon Nights » et je ne m'entraînais plus beaucoup, la qualité de mon jeu stagnait. C’est à ce moment que je me suis dit que cette lassitude ne devait pas l’emporter sur le plaisir de jouer de la guitare et de la basse. Je me suis donc décidé à recruter un batteur, Putrid, dont je t’ai parlé auparavant. C’est lui qui m’a motivé pour constituer un line-up taillé pour le live. Quelques temps plus tard S, Urmuz et Orthros nous ont rejoint avec une détermination et une envie qui m’ont redonné l’énegrie nécessaire pour amener le groupe là où il est aujourd’hui.

Déjà quinze ans d’existence pour ORDINUL NEGRU, qui traverse les années avec la même inspiration et la même passion. Quel est ton souvenir le plus marquant au cours de cette période ? Y-a-t-il également des concerts d’ORDINUL NEGRU qui tiennent une place spécifique dans l’histoire du groupe ?
Je me souviens comme si c’était hier de ma toute première séance photo qui se tenait dans une forêt près de Timisoara, en plein hiver et au cœur de la nuit. Avec l’un de mes amis, nous marchions à travers des paysages enneigés, errant tels des fantômes à écouter à fond les ballons des cassettes de VLAD TEPES et MÜTIILATION sur un vieux poste. L’ambiance était juste incroyable !
Pour ce qui est du live, je te répondrais sans hésiter que la performance que nous avons tenu en 2019 dans notre ville natale et filmé pour le clip de "Faustian Nights" était grandiose. Nous avons également joué lors de nombreux concerts mémorables au Rockstadt Extreme Fest, au Gahlen Moscht Metal Open Air, à Sofia, à Bucarest…ce sont de très bons souvenirs que nous ne sommes pas prêts d’oublier.

Ces derniers mots seront les tiens Fulmineos, merci pour le temps que tu as pris pour répondre à nos questions. Bonne route et à bientôt sur scène, c’est tout le mal que je peux souhaiter à ORDINUL NEGRU !
Un grand merci à toi Clément pour nous avoir donné l’opportunité de nous faire connaître des lecteurs de HARD FORCE, j’espère en effet que nous pourrons reprendre nos activités live en 2021. D’ici-là, prenez bien soin de vous !
 

Blogger : Clément
Au sujet de l'auteur
Clément
Clément a connu sa révélation métallique lors d'un voyage de classe en Allemagne, quelque part en 1992, avec un magazine HARD FORCE dans une main et son walkman hurlant "Fear of the Dark" dans l'autre. Depuis, pas une journée ne se passe sans qu'une guitare plus ou moins saturée ne vienne réjouir ses esgourdes ! Etant par ailleurs peu doué pour la maîtrise d'un instrument, c'est vers l'écriture qu'il s'est tourné un peu plus tard en créant avec deux compères un premier fanzine, "Depths of Decadence" et ensuite en collaborant pendant une dizaine d'années à Decibels Storm, puis VS-Webzine. Depuis 2016, c'est sur HARD FORCE qu'il "sévit" où il brise les oreilles de la rédaction avec la rubrique "Labels et les Bêtes"... entre autres !
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