29 janvier 2021, 17:30

Steven Wilson

• Interview


Si on parle d'intégrité et d'originalité, Steven Wilson pourrait en être l'incarnation. Avec une musique toujours plus innovante et des albums souvent inattendus, ce grand Monsieur a su tracer sa route sans suivre les convenances. Avec « The Future Bites », il revient avec des titres moins rock mais plus electro ou pop-dance parce que c'est ce qui correspond au message qu'il veut faire passer. Il a bien voulu nous en dire plus sur son évolution avec un flegme typiquement british.
 

Tu as donc un nouvel album à paraître qui s'intitule « The Future Bites ». Pour commencer, peux-tu nous parler de la façon dont il a été écrit ? Comment as-tu commencé à composer ? Avais-tu déjà une idée de ce à quoi tu voulais qu'il ressemble ?
Ca a été un processus d'écriture très intéressant, car comme tout au long de ma carrière, j'ai essayé de m'éloigner de ce que j'avais déjà composé auparavant. Chaque album est en fait une réaction au précédent. Je cherche à chaque fois une raison valable pour composer un album. Et pour celui-ci, je voulais une plus grande sensibilité électronique et aussi en faire un album qui ne pourrait exister que maintenant. C'est-à-dire que mes précédents albums comportaient beaucoup de références au passé. Par exemple, « To The Bone » faisait référence aux années 80. Pour « The Future Bites », je voulais un album entièrement basé sur l'actualité, avec un son unique et qui comporte une sorte de réflexion sur le fait que nous vivons dans un monde très électronique mais aussi que l'être humain est de plus en plus ego-centré et que la surconsommation est devenue la règle. C'était donc mon point de départ pour l'écriture de l'album. J'ai essayé de composer un disque qui reflète le monde dans lequel nous vivons.

Tu n'as pas eu la crainte que l'on te reproche de t'éloigner de ton côté rock progressif que beaucoup apprécie sur tes précédents albums ou avec BLACKFIELD et PORCUPINE TREE ?
Non, en fait j'ai commencé ma carrière dans un groupe de pop rock electro qui s'appelait NO-MAN. Et j'ai toujours dit à mes fans que je m'intéressais à énormément de genres de musique : j'écoute aussi bien du rock classique que de l'electro, du jazz, du hip-hop... Le fait que j'ai connu le succès avec des albums qui sont plus associés au prog rock ne m'a jamais empêché de diversifier mes goûts musicaux. Et puis quand tu prends des artistes comme Prince, Kate Bush ou David Bowie, ils ne se concentraient pas sur un seul type de musique, il est d'ailleurs difficile de dire quel genre de musique ils jouent. David Bowie jouait... du David Bowie ! Et j'ai toujours aimé le fait que si quelqu'un demande « Quel genre de musique joue Steven Wilson ? » la question reste presque sans réponse. Ca veut dire que j'ai créé mon propre style et c'est plutôt gratifiant. D'ailleurs si quelqu'un me dit que mes albums ne sont plus rock, je le prends comme un compliment car cela signifie que j'ai su évoluer. Je suis conscient que je peux déstabiliser mes fans et que certains ne me suivront peut-être pas mais je suis prêt à prendre le risque, cela fait partie du contrat. C'est la même chose avec les artistes que j'ai cités juste avant : ils ont eu beaucoup de controverses avec leurs fans mais peu importe. Je pense que c'est quelque chose que je dois accepter si je veux rester intègre en tant qu'artiste. Et puis parfois, la réponse à la sortie d'un album est plutôt négative car ce n'est pas ce que les fans attendaient puis de plus en plus de gens finissent par l'aimer. C'est arrivé souvent dans ma carrière et cela arrivera probablement à nouveau.

Et puis cela te permet de fédérer de nouveaux fans aussi !
Oh oui, c'est bien sûr le but aussi !
 

"Le fait que j'ai connu le succès avec des albums qui sont plus associés au prog rock ne m'a jamais empêché de diversifier mes goûts musicaux"



« The Future Bites » comporte 9 titres qui vont de 1 minute à presque 10 minutes ! Commebnt arrives-tu à manier avec brio une telle diversité de compositions ?
En fait, je pense que cela vient du fait que je suis très curieux quand il s'agit de musique. Je ne veux jamais rien considérer comme acquis et donc je veux proposer des chansons toujours différentes et surprenantes. Je ne veux me fixer aucune frontières, ni de genre, ni de durée. Je ne crois pas qu'il y ait un sens particulier, juste une volonté de me libérer de tout carcan.

Est-ce que « The Future Bites » fonctionne en tant qu'entité ou chaque titre est-il indépendant des autres ?
C'est une bonne question. En fait, on est obligé de sortir des morceaux qui proviennent d'un album pour en faire la promotion. Parfois des semaines, voire des mois avant la sortie du disque entier. Et j'ai un peu de mal avec ça car un album est souvent très varié donc en extraire un ou deux titres n'a pas vraiment de sens. Et ça peut même être complètement trompeur. Je pense vraiment que la meilleure façon d'apprécier l'album est d'en faire un voyage musical en l'écoutant dans son intégralité. Même si je pense que certains morceaux peuvent aussi vraiment se démarquer des autres.

Est-ce que tu peux nous en expliquer le titre ?
Eh bien je pense que les dernières années ont été assez traumatisantes pour pas mal de monde et de raisons. Au Royaume-Uni on a eu le Brexit, l'administration Trump même si c'est indirect et maintenant le COVID... J'ai écrit l'album avant la padémie donc il est en ce sens un peu prémonitoire. En fait, j'ai senti au moment de l'écriture de l'album que le futur m'effrayait vraiment. Je n'avais jamais ressenti cela avant. J'ai toujours pensé que le monde évoluant, nous allions devenir plus intelligents, plus tolérants, moins racistes, plus végétariens, moins homophobes. Mais en 2016 Trump a été élu président des Etats-Unis. Je n'ai rien contre lui personnellement mais je l'ai vu comme un symbole du changement du monde. Les gens sont en fait plus en colère, plus stressés, plus individualistes, plus enclins à croire les fausses informations... et cela me rend très en colère et me déprime. J'y vois un développement négatif du monde et les réseaux sociaux y jouent un grand rôle. Les gens n'attendent que des likes, que de pouvoir se montrer. C'est ce que dénonce la chanson "Self" sur l'album. Cette idée que les humains deviennent de plus en plus obsédés par leur propre personne et que nous ne regardons plus autour de nous. Que nous ne sommes plus curieux, que nous ne faisons que nous regarder nous-mêmes. C'est tout ce qui se cache derrière le nom de « The Future Bites ». Un grand désarroi. Mais bon, de bonnes nouvelles arrivent alors j'espère que le monde va changer positivement cette fois ! J'étais très pessimiste en écrivant « The Future Bites », j'espère redevenir très optimiste pour le prochain album !

Est-ce que tu te sens mélancolique ?
Oui, je pense en effet. Tu ne peux pas être un être humain et ne pas ressentir ce type de sentiment à un moment donné. On partage tous cet état d'esprit. Mais la musique est une réponse et elle permet d'évacuer les sentiments négatifs. En général, quand mes fans sont mécontents, c'est que j'ai composé quelque chose de trop joyeux ! Donc pour moi la mélancolie fait partie de l'inspiration.

Et tu te sens optimiste par rapport à l'avenir du monde de la musique ?
Oui, je suis toujours optimiste quand il s'agit de musique. Je pense qu'il y a beaucoup de potentiel dans des groupes hors du circuit populaire. Avant, des gens comme Elton John, PINK FLOYD, QUEEN, ABBA ont fait de la super musique, Prince, Michael jackson aussi. Mais au 21e siècle il est de plus en plus difficile de trouver de la bonne musique dans le mainstream. Il faut aller chercher plus profond même s'il y a des exceptions comme Billie Eilish qui est incroyable.
 

"J'ai toujours voulu partager ma musique avec le plus de gens possible. Certains fans pensent que j'aimerais faire un album best-seller mais je ne cours pas après la célébrité et encore moins après l'argent"

 

Est-ce que tu peux nous parler de cette surprenante pochette de « The Future Bites » . Est-ce toi sur la photo ?
La pochette de l'album semble être une photo de moi alors que ce n'est pas le cas. C'est un modèle féminin qui se fait passer pour moi et qui me ressemble. J'aime jouer avec cette image de l'identité, mais aussi de la fake news, l'idée de la consommation de remplacement. C'est un concept que j'aime profondément. L'idée que l'on achète quelque chose très cher en se trompant totalement sur le contenu. C'est assez amusant et ça a du sens, pour moi.

Est-ce qu'il est plus simple de travailler en tant que Steven Wilson seul par rapport à la composition pour un groupe comme PORCUPINE TREE par exemple ?
Je ne sais pas si c'est plus facile mais en tous cas, dans un groupe, il est difficile de changer et d'évoluer. Dans un groupe, tu trouves un son sur lequel tout le monde s'accorde, ce qui restreint le champ des possibles car il faut que tout le monde soit d'accord. J'ai arrêté PORCUPINE TREE car on finissait par faire toujours les mêmes albums. On avait trouvé la formule, un mélange de metal, de prog rock et d'electro et il était difficile de sortir de ce modèle car quatre personnes devaient s'accorder sur le son du groupe. En tant qu'artiste solo, il est bien plus facile de sortir des sentiers battus, changer de direction. C'est ce qui me plaît.

Au fil des années, des projets et des albums tu as commencé à être plus visible, plus accessible, que ce soit physiquement ou visuellement, c'est une chose qui n'était pas trop le cas à l'époque de PORCUPINE TREE par exemple, tu ne te mettais jamais en avant...
J'ai toujours voulu partager ma musique avec le plus de gens possible. Certains fans pensent que j'aimerais faire un album best-seller mais je ne cours pas après la célébrité et encore moins après l'argent. C'est plus une envie naturelle de partager mon monde avec le plus de gens possible. Ce qui est assez normal quand tu crois en un projet. Avec PORCUPINE TREE, j'étais considéré comme un membre du groupe et non comme un artiste à part entière. Encore aujourd'hui, je suis sûr que plein de gens ne savent pas que je faisais partie du groupe. C'est une frustration et je fais mon possible pour faire évoluer les choses en donnant des interviews, en faisant de la promo, en sortant des albums. Et j'aime le fait d'être de plus en plus mis en avant comme tu le dis, bien que j'ai aussi perdu des fans au fur et à mesure des années. J'en ai aussi gagné de nouveaux donc c'est un cycle de renaissances constant. En tous cas, je suis assez fier de ma carrière, je n'ai fait aucun compromis et j'aime la musique que je propose. Je suis très reconnaissant envers les fans qui me suivent.

Il y a certains side-projects que tu as quittés, mais pas BLACKFIELD avec Aviv Geffen, le nouvel album est sorti en fin d'année 2020, j'aimerais que tu nous parle de ton sentiment envers cette collaboration.
Eh bien je ne suis qu'un invité sur l'album ! Je n'y ai rien composé mais j'aime la direction qu'Aviv prend avec sa musique. C'est un album très contemporain, très pop. C'est un artiste très inspiré, très impliqué. J'aime le fait qu'il aille explorer des chemins différents.

Qu'est-ce qu'on peut te souhaiter pour 2021 ?
Eh bien j'espère vraiment pouvoir jouer « The Futures Bites » en live ! C'est si frustrant de ne pas pouvoir jouer de concerts, de ne pas avoir d'interactions avec le public. Je suis aussi sur le projet d'un livre, une sorte d'autobiographie. Alors pas à propos de mon enfance ou de ma vie, ce serait très ennuyant, car j'ai eu une vie plutôt heureuse et sans encombres. Mais dans ce livre, je parle de mon point de vue sur la musique, ma relation avec les fans, mes changements de direction...Avec des photos super. J'espère qu'il pourra sortir cette année.


Steven Wilson sera de retour en France pour sept concerts exceptionnels à l’occasion du "The Future Bites Tour". La billetterie est ouverte en suivant ce lien : SteveWilsonFrenchTour
 

Blogger : Aude Paquot
Au sujet de l'auteur
Aude Paquot
Aude Paquot est une fervente adepte du metal depuis le début des années 90, lorsqu'elle était encore... très jeune. Tout a commencé avec BON JOVI, SKID ROW, PEARL JAM ou encore DEF LEPPARD, groupes largement plébiscités par ses amis de l'époque. La découverte s'est rapidement faite passion et ses goûts se sont diversifiés grâce à la presse écrite et déjà HARD FORCE, magazine auquel elle s'abonne afin de ne manquer aucune nouvelle fraîche. SLAYER, METALLICA, GUNS 'N' ROSES, SEPULTURA deviendront alors sa bande son quotidienne, à demeure dans le walkman et imprimés sur le sac d'école. Les concerts s'enchaînent puis les festivals, ses goûts évoluent et c'est sur le metal plus extrême, que se porte son dévolu vers les années 2000 pendant lesquelles elle décide de publier son propre fanzine devenu ensuite The Summoning Webzine. Intégrée à l'équipe d'HARD FORCE en 2017, elle continue donc de soutenir avec plaisir, force et fierté la scène metal en tout genre.
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