19 janvier 2021, 18:00

UN JOUR, UN ALBUM

• MEGADETH : "So Far, So Good… So What!"


Le 19 janvier 1988 sortait « So Far, So Good… So What! » de MEGADETH. L'idée n'est pas d'en faire la chronique, mais d'effectuer une rapide remise en contexte tout en rappelant quelques faits ou anecdotes que vous ignoriez peut-être sur le troisième album des thrashers californiens, qui fête aujourd'hui ses 33 ans.
 

• Il y a ceux qui considèrent que MEGADETH a déçu avec ce troisième album. Et ceux qui pensent que c'est simplement le plus sous-estimé de leur discographie et que, compte tenu du chaos qui régnait alors au sein du groupe, ils s'en sont plutôt bien tirés. Choisis ton camp camarade… Quoi qu'il en soit, à l'heure d'entrer en studio en 1987, à peine le "Wake Up Dead Tour" achevé, les Californiens sont au bord de l'implosion. Chris Poland et Gar Samuelson, respectivement soliste et batteur sur les deux premiers albums des thrashers, se sont fait virer.

Dave Mustaine leur reproche à tous deux leur dépendance à la drogue, le soliste ayant également la fâcheuse habitude de revendre du matos du groupe pour se payer de l'héroïne. Ce qui ne l'empêchera pas d'être rappelé pour l'enregistrement de « The System Has Failed » (2004)… avant de repartir en mauvais termes avec le maître de cérémonie. Quand ça veut pas… Cela dit, c'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité. Mustaine, chanteur/guitariste/fondateur et seul maître à bord – après (?) Dieu –, et David "Junior" Ellefson, le bassiste, n'ont alors rien à envier à MÖTLEY CRÜE en termes d'excès, entre drogues et alcool (les filles, on sait moins), et ils pratiquent l'autodestruction avec un art consommé.

« Au début, quand Junior et moi on avait envie de se déchirer la gueule, on faisait ça avec un mélange de bière et d'herbe, confiera Mustaine bien des années plus tard. Mais voilà, l'idée de devenir un vrai junkie me fascinait. Je n'étais pas un mec très intéressant, j'avais des problèmes avec tout le monde. Et je ne me rendais pas compte de l'image déplorable que je donnais de moi. Pendant cinq ans, j'ai dépensé 500 dollars par jour pour me procurer ma dose. »

• La dépendance et les excès de boisson de Mustaine, qui existaient déjà à l'époque où il jouait dans METALLICA avant qu'il s'en fasse virer avec pertes et fracas pour être remplacé par Kirk Hammett, en avril 1983, n'ont fait que se renforcer avec son envie viscérale de se venger. En formant MEGADETH, son but premier est que sa créature écrase un jour son ancien groupe. En cette deuxième partie des années 80, le thrash a pris son envol, et après le succès de la carte de visite « Killing Is My Business… And Business Is Good » (1985), le quartet a signé sur la major Capitol Records chez qui est sorti un an plus tard « Peace Sells… But Who's Buying » qui décolle. Arrive donc l'heure du "fatidique" troisième album, celui qui confirme les qualités d'un groupe ou souligne qu'il a déjà donné son maximum.

  


• Reste à trouver, rapidement, des remplaçants à Poland et Samuelson. Le frontman contacte d'abord Dave Lombardo de SLAYER, mais ce dernier décline la proposition. « Je les ai effectivement rencontrés, confirmera ce dernier en 2015 à l'occasion d'une interview avec Metal IrelandMais ils étaient vraiment drogués et ça ne me branchait pas du tout. Et puis ils n'avaient pas l'air en bonne santé non plus. Ils faisaient peine à voir. » Alors c'est Chuck Behler, road batterie de Samuelson, qui prend tout naturellement du galon. Côté guitare, ce sera Jeff Young qui décrochera finalement le poste de guitariste, Jay Reynolds de MALICE, qui est entré en studio avec le rouquin, ne parvenant pas à jouer ses solos sans l'aide de ce dernier qui est son prof de guitare…

• Malgré l'addiction des musiciens, l'enregistrement aux Music Grinder Studios, à L.A., se passe relativement bien. Et puis Paul Lani, qui a coproduit « So Far, So Good… So What! » avec Mustaine, et qui avait déjà travaillé sur « Peace Sells… But Who's Buying », annonce qu'il a besoin de changer d'air pour le mixage et le mastering du disque. Accompagné de l'ombrageux frontman, il émigre aux Bearsville Studios, pas loin de Woodstock dans l'Etat de New York. La relation entre les deux hommes, pas du tout sur la même longueur d'ondes, est déjà tendue quand, un matin, alors que Dave se prépare un café, c'est le drame.
« Je ne savais plus trop où j'en étais côté dépendance. Je voulais me désintoxiquer. Je ne voulais pas me désintoxiquer. Je voulais me désintoxiquer, reconnaîtra ce dernier. Je ne me sentais pas bien et tout est parti en vrille. Paul Lani était dans les bois en sous-vêtements et il épluchait des pommes pour les donner aux cerfs pendant qu'on essayait de faire un putain d'album. (…) Je payais Lani pour nourrir Bambi alors qu'il aurait dû être en train de se lever le cul sur l'album ! »
Furieux, Mustaine le vire séance tenante et rentre à Los Angeles par le premier avion. C'est Michael Wagener (METALLICA, ACCEPT, MÖTLEY CRÜE) qui hérite du bébé, mais le chanteur/guitariste déteste le travail qu'il a fait sur le mixage… L'album, remixé par Mustaine et Ralph Patlan et remasterisé par Tom Baker, sera réédité en 2004. Et Paul Lani, qui avait sans doute retrouvé ses vêtements depuis ce lointain jour de 1987, signera même quatre des mixes…

• Dans la foulée, MEGADETH new look traverse l'Atlantique pour se produire en tête d'affiche du Christmas On Earth Festival à Leeds, en Angleterre, le 13 décembre 1987, où les quatre hommes jouent en avant-première des nouveaux morceaux de leur troisième album qui sera commercialisé cinq semaines plus tard. Y participent également OVERKILL, NUCLEAR ASSAULT, CRO-MAGS, KREATOR, VOIVOD, LAAZ ROCKIT et VIRUS. C'est ce soir-là que seront filmées les images live de la vidéo de "Anarchy In The U.K.".


• Comme sur les deux premiers albums du groupe, Dave Mustaine a en effet décidé d'enregistrer une reprise. Après "These Boots Are Made For Walkin'" de Nancy Sinatra et "I Ain't Superstitious", popularisé par Howlin' Wolf, il porte son dévolu sur "Problems" des SEX PISTOLS. Mais Capitol le persuade de choisir plutôt "Anarchy In The U.K.", hymne des punks anglais. Son texte a été légèrement modifié parce que MegaDave a mal retranscrit certaines des paroles de Johnny Rotten, mais il a aussi remis quelques passages à sa sauce, d'où son refrain de "Anarchy In The USA".

Pour la touche "authentique", il invite Steve Jones, guitariste des légendaires punks britanniques qui habite alors en Californie du Sud, à jouer dessus. Le fait qu'il débarque au studio avec un bras dans le plâtre n'est qu'un détail... « Steve nous a demandé 100 dollars et une pipe, se souvient le frontman. Je lui ai répondu : "Mon pote, ça te coûterait un peu plus que 100 dollars pour qu'on te suce !". Alors on lui a donné 1 000 dollars et filé un annuaire… »


• Avec du recul, le frontman qualifiera l'album de « putain de désastre ». Quant à David Ellefson, il reconnaît que les deux autres musiciens, aussi bons soient-ils, ne convenaient pas à MEGADETH. « Cet album marquait clairement une régression pour le groupe » conclura-t-il. Pourtant, il contient d'excellents morceaux. Comme l'instrumental "Into The Lungs Of Hell" qui ouvre les hostilités ou "Set The World Afire", tout premier titre composé par Mustaine après s'être fait dégager de METALLICA. Pour l'anecdote, il était dans un bus quand il est tombé sur le prospectus d'un sénateur californien qui avertissait sur les risques d'un conflit nucléaire. Et utilisait le mot "megadeath" (qui se traduit par "un million de morts consécutives à l'emploi d'armes nucléaires"). Dave supprime le second "a" du mot qui devient le titre de la chanson. Avant de décider de baptiser son projet MEGADETH, la chanson devenant alors "Set The World Afire".

C'est justement le morceau qui ouvre le concert, filmé à Essen le 20 mai 1988.


• Deux autres singles suivront. "Mary Jane", dont le texte n'aurait pas dépareillé sur un album de King Diamond, le 5 décembre 1988…


...et "Liar", dans lequel Mustaine dit tout le "bien" qu'il pense de Chris Poland, son ancien guitariste. Il serait pas un peu rancunier des fois ?


• Pour en revenir brièvement au nom du groupe, Mustaine expliquera qu'il n'est finalement pas certain d'avoir fait le bon choix. « Personne n'imaginait que l'on connaîtrait un tel succès, commentera-t-il dans Louder Than Hell : Definitive Oral History Of Metal, un ouvrage sorti en 2013. Quand la seule chose que tu as en tête, c'est de dominer le circuit des clubs et de jouer dans des arenas, mais aussi le sexe sans préservatif, la drogue, l'alcool, la fête, les bagarres et les excès de vitesse en voiture, tu n'en as tout simplement rien à foutre que quelqu'un n'aime pas ton groupe à cause du nom "megadeath". Mais ça n'est plus la même quand tu essaies de passer en radio… ».

• Si Mustaine ne décolère pas et rêve d'écraser METALLICA, il compose "In My Darkest Hour" après avoir appris le décès de Cliff Burton, le bassiste, tué dans un accident de bus en septembre 1986. « Vous savez comment j'ai appris sa disparition ? A la télé, putain !, raconte-t-il dans son autobiographie Mustaine: A Heavy Metal Memoir, sortie en 2010. Personne en rapport avec le groupe n'a pris la peine de décrocher son téléphone pour me le dire ! Connards. J'ai écrit cette chanson le jour où j'ai appris la mort de Cliff. Elle est très émouvante pour moi, elle exprime vraiment une grande partie de l'émotion que j'éprouvais. J'étais très malheureux et je pense que cela se ressent quand on l'écoute. » 

Si, au départ, Dave dit parler dans le texte des sentiments qu'ont fait naître en lui son ancien groupe, il reconnaîtra par la suite qu'il est en fait question de Diana, une ex avec qui il sortait à l'époque du premier album. Et qui inspirera également les lyrics de "Tornado Of Souls", "Trust", "This Was My Life" et "99 Ways To Die". Mais l'émotion demeure quand il le joue, comme à ce premier concert où les parents de Cliff sont présents. « Je pouvais le chanter, en studio et en répétition, mais avec eux dans la salle, je n'y suis pas arrivé, confiera-t-il à Rolling Stone en 2017. Je n'ai jamais pu lui dire au revoir. Mais nous nous verrons au paradis. C'est ça qui est cool. J'en suis persuadé. »


• Il y a aussi "Hook in Mouth", dont le riff principal a été composé par Ellefson, qui parle du PMRC, mouvement de censure américain qui s'en prend aux groupes et artistes en apposant un sticker (ô combien apprécié par les ados !) qui signale aux parents qu'il est question de drogues, d'alcool et de dépravation ou de violence dans les lyrics et que ces gens-là essaient de pervertir leur belle jeunesse. « Un viol caractérisé du Premier Amendement de la Constitution qui garantit la liberté d'expression » s'emportera le chanteur. La chanson donnera également son nom à un vin rouge en édition limitée qu'il commercialisera en 2013. 

• De fin décembre 1987 à la mi-mars 1988, MEGADETH va sillonner les routes américaines en compagnie de SAVATAGE en première partie de DIO. Avant d'enchaîner sur une tournée en tête d'affiche, accompagné de WARLOCK et SANCTUARY. Les quatre hommes traversent alors l'Atlantique et, le 26 mai, débarquent à Paris dans le cadre du Trash (sic) Master Festival 1988 au Zénith de Paris, avec TESTAMENT, NUCLEAR ASSAULT et SANCTUARY. En juin, les Californiens ouvriront pour quelques dates américaines d'IRON MAIDEN qu'ils auraient dû retrouver en Europe en septembre s'ils n'avaient pu dû rentrer chez eux précipitamment…

• Pendant l'été 1988, alors que MEGADETH effectue sa première tournée en Grande-Bretagne, le groupe – ou plus exactement son leader – déclenche involontairement une mini-émeute à Antrim, en Irlande du Nord. « J'avais fait honneur aux excellentes boissons irlandaises réservées aux adultes, se souvient-il. J'étais bouleversé d'être en Irlande, mais ce n'est que plus tard que j'ai appris la différence entre l'Irlande et l'Irlande du Nord. L'après-midi, un mec s'était fait choper parce qu'il vendait des T-shirts pirates dont les bénéfices étaient reversés à "La Cause". On m'a dit qu'il s'agissait d'un combat entre Catholiques et Protestants, ce que je trouvais complètement naze. Mais je ne savais absolument pas que La Cause était le surnom de l'IRA. » Précisons que l'Irish Republican Army (Armée Républicaine Irlandaise en V.F.) est le nom porté par plusieurs factions paramilitaires irlandaises dont l’idéologie commune consiste à agir au travers de la violence pour obtenir l’indépendance de l’Irlande, ainsi que la réintégration de l’Irlande du Nord à l’Irlande du Sud. Un sujet sensible, donc.

Le soir, sur scène, Mustaine est d'une humeur exécrable parce qu'il a été touché par une pièce de monnaie lancée depuis le public, avant qu'un problème avec la batterie n'entraîne une pause dans le concert. Il en profite pour se glisser backstage et boire un coup de schnapps à la menthe poivrée avant de revenir sur scène. « Paul McCartney avait dit : "Rendez l'Irlande aux Irlandais" et du coup, j'ai dit la même chose, avant d'ajouter : "Cette chanson est pour La Cause, Anarchy in Antrim". »

S'ensuit donc une émeute suffisamment violente pour que les musiciens soient exfiltrés dans un bus à l'épreuve des balles… Mais ça, le rouquin, complètement bourré et défoncé, ne s'en souvient pas et c'est Junior qui le lui racontera le lendemain au petit-déjeuner… Cette mésaventure servira d'ailleurs d'inspiration à l'excellent "Holy Wars… The Punishment Due" qui ouvrira « Rust In Peace », leur quatrième album sorti en 1990.

• La participation de MEGADETH à la tournée des Monsters Of Rock, qui était alors le plus gros festival européen, se limitera finalement à une seule et unique date, le 20 août à Castle Donington. Ellefson est en manque et son état est tellement catastrophique que le groupe sera remplacé par TESTAMENT. Ce jour-là, les Californiens jouent aux côtés d'IRON MAIDEN, KISS, David Lee Roth, GUNS N' ROSES et HELLOWEEN devant pas moins de 107 000 spectateurs. Une édition malheureusement marquée par la tragédie, deux spectateurs, piétinés par la foule, ayant trouvé la mort pendant le set des Gunners…


• Quant à la tournée australienne en tête d'affiche des thrashers elle est tout simplement annulée. Mustaine, qui ne peut pas encadrer Jeff Young, affirmera que c'est parce qu'il n'avait plus d'héroïne. Ce dernier s'en défendra et expliquera que c'est en fait parce que le frontman et le bassiste sont rentrés à Los Angeles pour suivre une cure de désintoxication. Ainsi se termine, prématurément, le "So Far, So Good… So What! Tour". Quel gâchis…

• L'album, qui sera le dernier à porter un titre à rallonge avec sous-entendu, se vendra à 400 000 exemplaires aux USA au cours de son premier mois de commercialisation. Et, dix ans plus tard, il sera certifié disque de platine outre-Atlantique pour avoir atteint le million de copies écoulées.

• Un an après la sortie de « So Far, So Good… So What! », Behler et Young se font virer. Le premier à cause de ce que le frontman appelle « des problèmes personnels ». Le second « parce qu'il ne racontait que des conneries. Je ne supportais plus cet enculé. Il a même dit à ma nana qu'il pensait à elle quand il baisait sa copine. Alors c'est moi qui l'ai baisé – je l'ai viré ! » Ce qui n'mpêchera pas Jeff Young d'être invité à travailler sur les remixes de « So Far, So Good… So What! » en 2004. « On s'est serrés dans les bras, on s'est excusés et on a rigolé de notre dépravation et de la folie qui régnait alors, raconte Mustaine dans ses mémoires. Mais à l'époque, c'était violent. On a bien failli s'entretuer… »

Chuck Behler et Jeff Young seront remplacés respectivement par Nick Menza et Marty Friedman qui enregistreront « Rust In Peace » qui sortira en 1990. Mais ceci est une autre histoire...
 

Discographie
Killing Is My Business... and Business Is Good! (1985)
Peace Sells... but Who's Buying? (1986)
So Far, So Good... So What! (1988)
Rust in Peace (1990)
Countdown to Extinction (1992)
Youthanasia (1994)
Cryptic Writings (1997)
Risk (1999)
The World Needs a Hero (2001)
The System Has Failed (2004)
United Abominations (2007)
Endgame (2009)
Th1rt3en (2011)
Super Collider (2013)
Dystopia (2016)

Blogger : Laurence Faure
Au sujet de l'auteur
Laurence Faure
Le hard rock, Laurence est tombée dedans il y a déjà pas mal d'années. Mais partant du principe que «Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux» et qu'elle écoute toujours la musique sur 11, elle pense être la preuve vivante que le metal à haute dose est une véritable fontaine de jouvence. Ou alors elle est sourde, mais laissez-la rêver… Après avoir “religieusement” lu la presse française de la grande époque, Laurence rejoint Hard Rock Magazine en tant que journaliste et secrétaire de rédaction, avant d'en devenir brièvement rédac' chef. Débarquée et résolue à changer de milieu, LF œuvre désormais dans la presse spécialisée (sports mécaniques), mais comme il n'y a vraiment que le metal qui fait battre son petit cœur, quand HARD FORCE lui a proposé de rejoindre le team fin 2013, elle est arrivée “fast as a shark”.
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