28 janvier 2021, 18:00

HEAVY BONES

• "Heavy Bones"

Album : Heavy Bones [Réédition-Remasterisée]

La question existentielle du jour serait : « et même en tant que fin connaisseur, peut-on avoir strictement fait le tour de toute la production glam metal de son âge d’or, grosso modo de 1984 à 1992 ? ». Répondre par l’affirmative reviendrait à n’être qu’un terrible mythomane arrogant, mais la négative n’est-elle pas pire : avouer avoir des lacunes ? Oh, on pourrait rétorquer avec offensive et fierté en balançant du name-dropping un poil prétentieux, genre « ouais mais y a aussi SLIK TOXIC, SPREAD EAGLE, BLACKEYED SUSAN, LORD TRACY, BABYLON A.D. ou PRINCESS PANG ». Et paf.

Mais l’égo un peu plus brossé, on ne digère toujours pas d’avoir raté HEAVY BONES. Chose que nous réhabilite le label Bad Reputation, autant connu pour ses découvertes maison (dorénavant principalement australiennes), que pour des rééditions espérées (du CINDERELLA, du LOVE/HATE, du SHARK ISLAND, du JETBOY...). Voire, donc, des surprises. 

Parce que à l’image de groupes tels que TUFF (qui a sorti LA dernière grosse power-ballade MTV sauvée des eaux juste avant le tsunami NIRVANA), ou encore ROXY BLUE qui bénéficie (trop tard !) d’une armada de mercenaires de l’industrie du Strip question manager, producteurs et directeurs artistiques, HEAVY BONES est l’un des derniers sursauts d’espoir mercantile du tout West-Hollywood en 1992. C’est bien simple, ils n’auraient même pas dû rentrer en studio, le mal était fait : les notes du livret nous précisent une session s’étalant de novembre 91 à avril 92 – too late, too late, les cheveux gras et dégueulasses avaient remplacé ceux hirsutes, secs et scintillants en mouvement dans le tube cathodique. Espoir donc – parce qu’il y avait du lourd derrière ces quatre derniers renégats : management Dave Kaplan, mixage tandem Steve Thompson / Michael Barbiero, mastering George Marino, enregistrement aux studios Electric Lady sous supervision Richie Zito, oui, le producteur de TYKETTO, THE CULT, et surtout du formidable « Mane Attraction » de WHITE LION l’année précédente.  

Suite des arguments : si vous adorez, je veux dire A-DO-REZ, le seul et unique album de CATS IN BOOTS (« Kicked & Klawed » en 1989), vous risquez de succomber grave car vous retrouverez ici son chanteur Joel Ellis, fort reconnaissable à sa voix éraillée très sleaze, tout en étant capable de prouesses mélodiques et bluesy. Le blues, autre moteur majeur qui verra le guitariste Gary Hoey s’offrir une carrière solo certes confidentielle, mais entièrement dédiée au genre. Enfin, la section rythmique de HEAVY BONES est constituée d’un certain Rex Tennyson à la basse, et du regretté Frankie Banali – ex-batteur de QUIET RIOT, hired-gun fort employé et qui vient alors d’enregistrer en studio ses parties keithmooniennes pour « The Crimson Idol » de W.A.S.P. – et qui vient donc de disparaitre en août 2020. 

Alors, « Heavy Bones », l’album ? Eh bien ça démarre pied au plancher avec un "The Hands That Feeds" typique de cette "fusion" (!) entre sleaze et shred ultra lissé, doté d’une prod rutilante : on est quelque part entre SKID ROW et SLAUGHTER ici, et les fans de CATS IN BOOTS vont donc s’en lécher les babines. Le groupe de Mark Slaughter et Dana Strum : on en retrouve toute la sève bien sticky dès le suivant "4:AM T.M." – il y a du MÖTLEY CRÜE ici aussi, avec des inflexions vocales bien meilleures que Vince Neil, et des parties de gratte forcément ébouriffantes, ce Gary Hoey s’aligne certes sur les descendances des Eddie Van Halen et autres George Lynch, mais son jeu est flashy comme il se doit. Mais dès le troisième morceau, ultra convaincant et cliché, "Turn It On" est déjà la ballade attendue. Attendue et très convenue, dans une veine ultra FM à la DAMN YANKEES – une comparaison d’autant plus évidente qu’ils réitèrent l’exercice avec la mièvre "Beating Hearts". Hélas oui, là où la deuxième partie des années 80 nous avait habitué à une power-ballad larmoyante par face de vinyle, « Heavy Bones » en regorge : pas moins de cinq (!!!) – ou assimilées, "Dead End St" ayant tout elle aussi du rock FM un brin bluesy, pas si éloigné d’un GREAT WHITE. Une proportion bien indigeste, d’autant que la façon de faire est ici déjà datée, si ce n’est que "Where Eagle Fly" en est une fausse : à mi chemin, après un longue préambule, tendre et acoustique, elle se déploie en fresque épique pompée sur "Kashmir" – à combien d’ersatz en sommes-nous après le "Still Of The Night" de WHITESNAKE ??? Ah ! Les « oooouuuhh - oooouuuh » de Ellis qui nous fait ses Plantades roucoulées et la caisse claire de Banali qui sonne avec tout l’écho possible d’un hangar à Boeing !!!

La deuxième partie muscle davantage son propos : après "The Light Of Day" lui aussi fort en ZEPPELIN, ou le mid-tempo un poil heavy "Your Love Won’t let Me Down", HEAVY BONES ouvre davantage encore sa palette. Comme bon nombre de ses compatriotes du Strip, le ton est alors à des saveurs plus sudistes dès le tournant des années 90, CINDERELLA, POISON ou encore WARRANT se permettant alors de replonger dans le patrimoine de leur beau pays, bien plus loin que la Californie qui les a tant attirés plus tôt : introduite par les coassements des grenouilles du bayou, "Summers In The Rain" se charge donc de la caution big South, guitare sèche, slide et dobro, ainsi qu’un accent un peu plus prononcé, authenticité oblige. Enfin, "Where The Livin’ Is Easy", comme leurs camarades des BULLET BOYS, s’autorise un ultime boogie endiablé qui pique tout à VAN HALEN, tempo échevelé, verve canaille et entrain juvénile.

Malgré son ignoble pochette (qui ferait penser à une vision diabolique d’un COVID peint en violet par un artiste junky... non ?), « Heavy Bones » est à la fois une sacrément bonne et heureuse surprise pour les ignorants comme moi, et une putain de gifle nostalgique, qui rappelle ô combien le FUN de l’époque, hélas ringardisé en à peine un zap de télécommande à l’époque. Mais bordel, surtout aujourd’hui, que la jouissance est grande.

Bon, par contre, maintenant Monsieur Bad Reputation, va falloir qu’on cause : quand est-ce qu’il va rééditer le seul et unique album culte de TEEZE, jamais sorti en CD d’ailleurs ???

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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