15 mars 2021, 19:31

THE BLACK CROWES

"Shake Your Money Maker" [30th Anniversary]

Album : Shake Your Money Maker

On s’en excuse d’avance (oh et puis après tout non), mais désormais on se délecte davantage à l’avance des campagnes de rééditions que de bon nombre de sorties originales. Pas que l’on joue les blasés et encore moins les vieux cons, mais très sincèrement l’Histoire récente de nos musiques préférées parle pour elle-même : combien de chefs d’oeuvre au compteur ces dix dernières années ? Mmmmh ? Combien d’albums instantanément légendaires (ou qui ont très rapidement accédé à un tel statut en irradiant le public en quelques mois) squattent inlassablement vos platines depuis ? Comparons un instant la décennie 2010-2019 avec, allez au hasard, 1970-1979 ?

Regardez-moi dans les yeux à travers vos avatars : attendez-vous aussi fébrilement le nouvel album de GRETA VAN FLEET que lorsque jadis vous ne teniez pas en place quelques mois, semaines, jours, heures, minutes avant la sortie, encore au hasard, des « Use Your Illusion » de GUNS N’ ROSES il y a, oh, trente ans ?

Bien sûr fais-je moi aussi chaque année mon bilan des douze mois écoulés en "classant" arbitrairement mes dernières nouvelles préférences et autres coups de coeur. Mais au mieux un Top 10 de l’année correspond à UNE semaine de 1973. Ou à l’équivalant d’une salve de sorties d’un week-end de 1971. Cherchez pas, l’évidence se pose là. Bien sûr qu’il sort encore de bons disques – mais trop peu qui ne seront pas remisés pour de bon au bout de x écoutes. Je vous vois sur les réseaux : ça célèbre à tout va le rock de papa, vintage, mais ça ne s’enflamme pas plus que ça pour le dernier THE STRUTS.

Alors quand on compte les jours avant d’aller redécouvrir le premier album des BLACK CROWES, oui on jubile, et d’étonnantes traces blanches et gluantes maculent vos sous-vêtements, effet similaire à de bons vieux rêves nocturnes. 1990, on se souvient : on fait son apprentissage du hard-rock et du heavy metal à travers les magazines et les clips qui défilent une fois par semaine, tard le soir, sur M6. Entre deux GUNS et deux DOKKEN, "Jealous Again". Une découverte qui dénote parmi le flot de clips léchés des productions de l’époque : je n’y connais pas encore grand chose, mais ce que j’entends là semble faire le pont entre les classiques que je découvre peu à peu, et ceux qu’écoutent mes parents alors que, petit con, j’y suis encore hermétique, par seule réaction épidermo-contradictoire. Mais oui, tout semble là, offert à la nouvelle décennie pourtant bientôt alternative : on est entre AEROSMITH, LED ZEPPELIN, et surtout Otis Redding et les ROLLING STONES de « Sticky Fingers » et « Exile On Main Street ». Oh, rapidement, culture oblige, on en apprend davantage sur leurs influences et affiliations, des noms comme HUMBLE PIE, LYNYRD SKYNYRD et les FACES tombent. Alors biberonné au glam-metal, ces cinq corbeaux d’Atlanta m’intriguent : les looks ne sont pas si éloignés que ça, tignasses, chemises à jabot, bijoux gypsy, khôl épais, regards de cartomanciennes et décorum Bohème. On est pas très très loin des GUNS, mais on fait le lien avec les photos des pochettes intérieures des vinyles gatefold de papa. Et puis ce Chris Robinson semble bien secouer son petit corps androgyne et maigrichon comme le rejeton cocaïné de Mick Jagger, pousse sa voix éraillée comme Rod Stewart, et vibre de soul comme Otis. En même temps on découvre les QUIREBOYS, gang british qui déballe les mêmes racines depuis les pubs du West End... mais ce n’est pas pareil. On sent que les BLACK CROWES, c’est du sérieux, du lourd.

A la première impression d’il y a 31 ans, l’Histoire aura ensuite fait ses preuves : ce premier album « Shake Your Money Maker » (comprendre "danse !", "bouge ton cul !", on vous fait un dessin du "money-maker", vraiment ??? ) n’étant plus vraiment à présenter tant il s’inscrit parmi les plus grands monuments du classic-rock, de ceux qui méritaient ENFIN un traitement Box-set Deluxe. Dix morceaux aussi rock'n'roll que sexy ou à pleurer, au croisement des monstres sacrés pré-cités et arrosés de cette fougue juvénile, du respect de gamins nés trop tard, du sang du grand Sud qui irrigue des veines encore à peu près saines, et de cette magie, de ce mojo qui caractérise les talents à inscrire d’urgence au Panthéon des meilleurs groupes de rock de tous les temps.

Alors « Shake Your Money Maker », autant réédité en splendide coffret vinyle ou en simple digipack trois CD se montre très abordable : aucun disque de "trop", rien d’indigeste, que de l’essentiel pour venir honorer ce disque seulement égalé par ses deux successeurs.

Déjà, l’album redynamité propose une onzième piste identifiée, "Mercy, Sweet Moan", alors un court hidden track déjà connu et dispo sur la réédition du catalogue dans son coffret 5 CD « Sho’ Nuff » en 1998. Mais côté studio, c’est le deuxième disque du package qui attise toutes les convoitises : dix titres plus ou moins inédits, dont ce "Charming Mess" qui swingue comme le meilleur des STONES honky-tonk en 1970, mais également "Waitin' Guily" ou du très AEROSMITH "Don’t Wake Me" elle, disponible sur le petit coffret d’alors. Deux reprises datant des mêmes sessions avec George Drakoulias (alors lieutenant prolifique de Rick Rubin à l’époque du label Def American Recordings) viennent agrémenter la sélection : une relecture moins dramatique et plus rock du "Jealous Guy" de John Lennon, mais surtout le "30 Days In The Hole" de HUMBLE PIE (décidément à l’honneur cette année puisque également au menu du dernier THE DEAD DAISIES), où Robinson joue la copie carbone du regretté Steve Marriott. S’en suivent une piste alternative du tube "Hard To Handle" (alors une autre reprise de Otis Redding justement), ici rehaussé de cuivres plus hardis dans le mix, très Stax, mais également de versions en mode unplugged qui soulignent la beauté intrinsèque de l’irrésistible ballade "She Talks To Angels" (tire-larmes d’une pureté absolue au piano), ou du tube "Jealous Again". Ou l’impression d’être témoin privilégié parmi les bougies allumées de la salle à manger de Nellcôte une nuit d’été de 1971. Pêche géorgienne sur le gâteau, les archives nous dévoilent deux démos de l’époque où les apprentis corbeaux noirs s’appelaient encore MR. CROWE’S GARDEN dans la seconde moitié des années 80 : "Front Porch Sermon", typique des ambiances rurales du Big South poussiéreux, banjo à l’appui, et une première lecture de "She Talks To Angels".

Mais le clou de cette réédition de « Shake Your Money Maker » c’est bien ce live absolument A-HU-RIS-SANT donné à domicile en décembre 1990 : les BLACK CROWES y reviennent en conquérants, après avoir contaminé la planète avec leur premier album sorti en février. La découverte de ce document est époustouflante : non seulement le son est-il parfait, ultra clair et puissant, mais la prestation des cinq gamins y est impériale. Je ne sais pas si c’est parce que les concerts nous manquent autant, mais rarement avais-je pu écouter un album live aussi DINGUE. Au moins égal au « Get Your Ya-ya’s Out » des STONES – c’est dire. Quelle prestation !!! L’électricité est alors parfaitement domptée par ces jeunes gens qui ont à peine un siècle au compteur à eux cinq – mais qui ont, c’est un rêve, TOUT compris au patrimoine de leur pays. Et à ce que "bouger sur scène" veut dire, un samedi soir de folie. Vos enceintes suintent de sueur et les odeurs s’en dégagent : le public est hystérique et dès "You’re Wrong", à peine le deuxième morceau de la set-list, on a bien l’impression d’assister au rappel d’une soirée d’anthologie. Arrive alors ce qui n’est ni plus ni moins que ma chanson préférée de cette première partie de carrière : "Twice As Hard" – moment incroyable qui te fout encore plus les boules d’avoir TON monde coupé net pour la grippe du millénaire.

Et vous savez quoi ? Oui je vendrai au Diable tous les EHPAD de la Terre pour pouvoir me retrouver dans le public de ce Center Stage d’Atlanta l’un de ces trois soirs de décembre 1990. Le reste de la soirée est tout aussi incroyable : mais je vous laisse le découvrir avec la même convoitise, si vous n’avez pas déjà abrégé la lecture de cette longue chronique pour vous précipiter dehors afin de vous procurer cette merveille.

Frappez moi, achevez-moi de pavés quand vous me croiserez dans la rue si vous n’avez pas bandé en écoutant ce skeud. Et pour les autres, je ne peux plus rien faire pour vous : vous êtes probablement déjà morts.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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