22 mars 2021, 19:30

Chris Cornell

"No One Sings Like You Anymore"

Album : No One Sings Like You Anymore

« No One Sings Like You Anymore » : c’est à la fois le meilleur titre approprié pour un hommage, hélas dramatiquement doublé d’un bien triste constat. En effet, « plus personne ne chante comme toi » : si le titre est tiré d’une ligne du tube "Black Hole Sun", il faut également comprendre qu’avec sa disparition, Cornell emporte non seulement un talent inouï et un héritage artistique absolument colossal, mais qu’il incarnait aussi l’une des dernières figures les plus iconiques, messianique, christique du rock – et qu’en effet, derrière, il n’y a dès lors plus personne pour, non pas la remplacer, mais succéder à une telle stature.

Et le vide depuis mai 2017 est abyssal.

On ne sait pas encore s’il y aura grand chose de neuf et d’inédit à offrir aux fans à l’avenir : seulement sait-on qu’un album de SOUNDGARDEN était en cours d’élaboration au moment de son décès, et que bon nombre de titres de travail étaient achevés, le trio restant complétant ces basic tracks en studio. Hélas un procès oppose le groupe à la famille Cornell, évidemment représentée par sa veuve Vicky, également sa manager, qui bloque la possibilité d’une parution posthume d’un nouvel album éventuel. En ce qui concerne d’éventuelles archives, déjà énormément de choses ont été dévoilées au public avec des rééditions de SOUNDGARDEN – principalement de ses deux albums phare, « Badmotorfinger » et « Superunknown », à travers deux copieuses boxes Deluxe, renforcées par la parution en 2018 d’un aussi beau coffret commémoratif couvrant l’ensemble de sa carrière, ainsi que sur celui célébrant le 25e anniversaire du chef d’oeuvre de TEMPLE OF THE DOG deux ans plus tôt. Restent son aventure dans AUDIOSLAVE et celle, plus hétérogène encore, qu’il a entrepris en solo depuis 1999 entre ses autres projets, et qui n’ont guère été réévalués par de nouvelles versions bourrées de bonus.
Comme on peut le noter à travers toute sa carrière solo justement (les live acoustiques en témoignent, quelques autres clins d’oeil ci et là) ainsi qu’à travers un CD entier du triple coffret de raretés « Echoes Of Miles » de SOUNDGARDEN en 2014, Cornell prenait un immense plaisir à honorer ses influences, ses héros, et ses pairs.

Mais ici, « No One Sings Like You Anymore » avait été pensé à l’origine comme le cinquième album solo du chanteur qui devait succéder à « Higher Truth » en 2015 (« Songbook » ne comptant que comme un simple live acoustique), et était en cours d’élaboration à Los Angeles en compagnie de son ami Brendan O’Brien, superviseur et compagnon de studio de longue date. En effet, ce projet de reprises n’avait été orchestré qu’en petit comité, les deux hommes se chargeant de tous les instruments, à quelques rares exceptions près (cordes ainsi qu’une partition de batterie signée Matt Chamberlain sur un titre seulement). C’est donc dans une certaine intimité que les bases de ces dix premières chansons ont été posées, moult arrangements ayant ensuite été peaufinés par le producteur au cours de ces dernières années. Car c’est bien à partir d’une certaine ossature acoustique perçue de prime abord que l’on devine être le coeur de ces nouvelles interprétations, le reste ayant été rajouté, repensé, affiné et donc arrangé ultérieurement.

Dans un premier temps, à l’époque de SOUNDGARDEN, on se souvient que le groupe pouvait à la fois reprendre BLACK SABBATH que les BEATLES, les STOOGES ou d’antiques groupes de punk hardcore tels que FEAR, mais aussi, déjà, SLY STONE, les DOORS ou Hendrix. Par la suite, en solo, Cornell avait largement démontré son ouverture d’esprit et sa faculté à pouvoir s’accaparer n’importe quel matériel, pourvu qu’il y ait de l’âme et de la vérité. Ainsi lui connaissait-on des covers de LED ZEPPELIN, de U2, de John Lennon... et même un méconnaissable "Billie Jean" emprunté à Michael Jackson sur son deuxième album « Carry On » en 2007.

A la vue d’une telle diversité, on ne pouvait clairement pas s’étonner des choix optés ici. Et c’est là qu’un petit warning convient toutefois d’être déclenché : les stricts amateurs de grunge poisseux et les inconditionnels exclusifs du heavy de SOUNDGARDEN risquent fort d’être désorientés puisque « No One Sings Like You Anymore » ne fait la part belle qu’à des reprises très pop d’artistes issus du même terreau, mais aussi du folk, de la soul ou du blues – à la seule exception du "Patience" de GUNS N’ ROSES, déjà teasé en amont tel le single amené à amadouer les fans habituels de (hard)rock. Rappelons-nous de l’infâme déculottée infligée par le non moins ignoble album de r'n'b dance produit par Timbaland en 2009 (« Scream »), et de ce brusque intérêt qu’il avait pu avoir à vouloir tutoyer les charts aux côtés de Britney Spears ou Justin Timberlake sur leur propre terrain. Plus digne mais néanmoins soft, les deux suivants, le live « Songbook » et « Higher Truth » opéraient sur des terrains beaucoup plus easy-listening et radicalement folk. Et c’est donc directement auprès de ces dernières sessions aux Henson Recording Studios à L.A. que s’inscrit ce cinquième album, dont le sous-titre ("Volume 1") implique une suite imminente.

Alors outre ce sublime "Patience" réécrit et remanié, plus doux et mélancolique encore, « No One Sings Like You Anymore » revisite des morceaux intimes de Janis Joplin ("Get It While You Can" en ouverture, aux inflexions plus synthétiques, et néanmoins soul avec ses choeurs), Terry Reid (l’homme qui a dit non à Jimmy Page en 1968, ici avec "To Be Treated Rite"), John Lennon à nouveau sur le plus confidentiel "Watching The Wheels", ou encore ELECTRIC LIGHT ORCHESTRA ("Showdown"). Assurément, le morceau le plus rock et enjoué ici est le "Jump Into The Fire", non pas de METALLICA (!), mais de Harry Nilsson, l’un des compagnons de boisson d’Alice Cooper et Keith Moon au milieu des années 70, soit le club originel des alcooliques mondains des HOLLYWOOD VAMPIRES – et pour le coup déjà repris sur le premier album de la mouture musicale des "autres" HOLLYWOOD VAMPIRES en 2015.

Enfin, au beau milieu d’une sélection plus obscure encore de morceaux de Carl Hall ou GHOSTLAND OBSERVATORY, l’on trouve une incroyable version du "Nothing Compares 2 U" de Prince, ici bien plus proche et épurée de la version popularisée en 1990 par Sinead O’Connor : c’est bien simple, les larmes coulent toutes seules, la gorge se noue et les poils se dressent dans un frisson. Et c’est le final "Stay With Me Baby", un classique soul de Lorraine Ellison en 1966 qui vient achever le plus coriace des durs à cuire d’entre nous, dans une orgie d’orgue Hammond et de puissance très Stax où Chris Cornell s’époumone dans des envolées lyriques à chialer, nous prouvant une fois pour toute que le bellâtre n’était pas que ce gourou torse-nu et apôtre sorcier électrique des clubs de Seattle, mais bien un immense chanteur qui pouvait autant rivaliser avec un Robert Plant qu’avec un Frank Sinatra ou un Otis Redding, n’ayons pas peur non pas des mots, mais des noms.

Yep, plus personne ne chante comme toi...

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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