La musique, c’est comme les relations humaines : il suffit parfois d’un seul regard pour adorer ou détester la personne en face. Mais parfois, les relations sont bien plus complexes. Concernant les albums, on va tomber éperdument amoureux d’une voix, d’un riff, d’un style, ou bien, à l’inverse, être totalement hermétique, voire allergique à ce que propose le groupe. Et puis, il arrive des fois où l’on a besoin de plusieurs écoutes pour rentrer progressivement dans le monde artistique que les musiciens ont créé.
« Sleeps Society » de WHILE SHE SLEEPS fait partie des albums un peu plus longs à appréhender, afin de s’immerger profondément dans la musique du groupe. Depuis 15 ans, le quintet de Sheffield distille un metalcore unique et créatif, bien loin de ce que tous les autres groupes proposent, n’hésitant pas à ponctuer leur style d’harmonies vocales, de chœurs, de touches electro, de piano, de hurlements jouissifs et de mélodies imparables, dûes en grande partie à l’excellent guitariste et compositeur qu’est Sean Long. Unique aussi dans son approche créative car le groupe revendique haut et fort son indépendance absolue, ayant préféré quitter le label Search and Destroy après son deuxième album « Brainwashed », pour retrouver la liberté d’expression qui lui faisait défaut à l’époque avec son propre label indépendant Sleeps Brothers. Au risque de flinguer sa carrière. Mais c’était sans compter sur l'armée de fans extrêmement dévoués qui a permis à WHILE SHE SLEEPS de poursuivre son aventure. Des fans, il est aussi question ici, car « Sleeps Society » est non seulement le titre de l’album et de l'une des chansons, mais également, le nom de leur nouveau fan-club. Une nouvelle vision de la relation musiciens/auditeurs, plus interactive, plus proche, plus humaine. En effet, le groupe a étroitement mêlé ses fans au processus créatif de ce nouveau disque. On les retrouve d’ailleurs en fin d’album, sur le très beau titre qu’est "Call Of The Void".
Cet album réunit aussi bien des éléments présents sur les premiers albums du groupe que sur les derniers, plus accessibles. Des morceaux très bruts comme "Systematic", "Enlightenment(?)" et "Sleeps Society" auraient en effet pu figurer sans dépareiller sur « This Is The Six » ou « Brainwashed », tandis que d’autres, plus mélodiques, presque pop, ou electro, tels "Nervous", "Know Your Worth (Somebody)" et "You Are All You Need", seraient parfaitement adaptés à « You Are We » ou « So What ? ». Quelques invités sont aussi de la partie : Simon Neil, chanteur de BIFFY CLYRO fait une belle apparition sur "Nervous", un magnifique morceau qui traite des troubles psychologiques qui peuvent toucher tout un chacun, et de l’importance de se faire aider, afin de ne plus être seul. Sur le plus brutal "No Defeat For The Brave", c’est Deryck Whibley de SUM 41, qui donne de la voix aux côtés de WHILE SHE SLEEPS. Et puis, au milieu de toute cette énergie, vient aussi une chanson piano/voix, ou plutôt, piano/chœurs, telle que le groupe a l’art de nous en offrir depuis ses débuts. "Division Street" est une superbe ballade sur laquelle les cinq musiciens prouvent une nouvelle fois qu’ils ont des voix qui s’accordent merveilleusement bien. En effet, dans le groupe, même si le chanteur principal reste Lawrence "Loz" Taylor, il faut savoir que les deux guitaristes, Sean Long et Mat Welsh, ainsi que le bassiste, Aaran McKenzie et le batteur, Adam "Sav" Savage, participent tous au chant, ce qui offre à WHILE SHE SLEEPS une puissance mélodique, une touche unique, et des harmonies vocales de toute beauté.
Produit par Carl Bown et le groupe dans studio personnel de WHILE SHE SLEEPS, « Sleeps Society » est un album varié et inventif, qui navigue entre un metalcore brut de décoffrage et un metal alternatif, moderne et mélodique, et qui ravira les fans de toutes époques confondues. Seule ombre au tableau, il s’achève sur un long morceau de plus de 7 minutes, qui n’en n’est pas vraiment un, "DN3 3HT", car il s’agit en effet des remerciements et témoignages parlés des cinq musiciens sur fond de notes de piano. Probablement très intéressants pour les anglophones et les die-hard fans, qui se sentiront ainsi particulièrement touchés. Mais honnêtement, cet ajout, franchement longuet, ne présente aucun intérêt, musicalement parlant. Sans compter que cela fait retomber la pression, à la manière d’un soufflé raté. Bof ! Terminer l’album avec la très belle "Call Of The Void" aurait été vraiment plus judicieux, tant le refrain accrocheur reste en tête après écoute.
Mais cela n’enlève en rien à la qualité et l’originalité des compositions de cet album. WHILE SHE SLEEPS a atteint une maturité et une expérience qui lui permettent de savamment mélanger leurs différents styles, tout en conservant une belle cohésion d’ensemble, et le son unique qui leur est propre. Le groupe a franchi un nouveau palier avec « Sleeps Society » et l’on ne peut que souhaiter qu’ils ne s’arrêtent pas en si bon chemin.
