2 juin 2021, 18:33

CLUTCH

"Songs Of Much Gravity... 1993-2001"

Album : Songs Of Much Gravity... 1993-2001

A n’en point douter, CLUTCH apparait alors au moment le plus opportun : TOUTES les majors du disque, sans exception, se mettent à signer à tour de bras n’importe quel groupe de rock indépendant, sans même être capable d’en comprendre leur essence, tout cela dans le but de dénicher le prochain NIRVANA – quitte à ce que cela soit un coup de poker. Quoi qu’il en soit, en 1993, il FAUT avoir à son actif une tripotée de groupes pseudo-grunge gueulards pour accroître ses chances d’un potentiel nouveau jackpot. Ces cons de gamins nourris au lait, au maïs, à MTV et à la New Grande Dépression qui s’annonce ont donc adopté Kurt Cobain comme nouveau grand-frère finalement bien plus crédible que Jon Bon Jovi, et ils ont tout autant succombé à PEARL JAM et SOUNDGARDEN. Alors pourquoi pas SOUL ASYLUM ? Pourquoi pas THE SMASHING PUMPKINS ? Pourquoi pas les STONE TEMPLE PILOTS ? Pourquoi pas les SCREAMING TREES ? Pourquoi pas, euh, les MELVINS ????

Et donc pourquoi pas CLUTCH

En 1993, CLUTCH n’est autre qu’un petit groupe de punk-hardcore hybride, bien porté sur le classic rock 70’s et animé d’une certaine idée du groove, tant funky que jazzy, comme tonton Henry Rollins pouvait si bien le faire. Pour l’heure, ce petit quatuor des potes de lycée (au line-up tout de même inchangé depuis plus de trente ans !!!) n’a exercé que dans sa région du Maryland, vaste Etat-banlieue humide et redneck de Washington D.C., soit l’équivalent du New Jersey pour New-York City, l’endroit étant cependant le théâtre de toute l’éclosion punk-hardcore du tournant des années 80 avec des groupes majeurs comme BAD BRAINS ou MINOR THREAT, suivis par une myriade d’autres adolescents énervés, politiquement engagés, boostés par leur testostérone juvénile et rongés par l’ennui de leurs bleds respectifs. 

En 1993, CLUTCH a déjà gagné l’attention de Earache Records, alors LE label britannique spécialisé dans les déflagrations sonores grind et death metal, qui publie l’année précédente le deuxième EP du groupe, « Passive Restraints » – et en divulgue simultanément deux extraits ("Impetus" et "Pile Driver") dans sa compilation culte « Naive », reflet révélateur et déterminant de l’incroyable bourgeonnement de l’underground indus, doom, expérimental et hardcore du début des années 90. Ce petit monde alors relativement restreint mais actif découvre donc CLUTCH, alors visiblement purement hardcore, mais qui fait déjà montre d’une personnalité autre. En ce qui me concerne, les deux morceaux sont immédiatement mes préférés aux cotés de ceux de SLEEP lorsque j’achète la fameuse compile le mois de sa sortie, subjugué par son artwork qui détourne une étiquette de bouteille d’Evian. 

Et en 1993 donc, CLUTCH est immédiatement récupéré par EastWest Records, l’un des prestigieux nombreux sous-labels de la grande maison Warner Music. Et ce sans que quiconque ne comprenne vraiment ce qu’il a entre les mains, à l’instar du « Houdini » des MELVINS, donc. « Transnational Speedway League: Anthems, Anecdotes & Undeniable Truth », avec sa pochette Déco & Intérieur pour cabanon de bouseux, n’est pas vraiment du goût du grand public – qui feint toutefois de comprendre et d’adopter le très rugueux « In Utero » de NIRVANA (mais il faut maintenir la hype à tout prix). Il est même emprunt de ces saveurs boisées, grossièrement distillées, qui sentent bon l’alcool de prohibition et l’hygiène douteuse des habitants des sous-bois. Certes en un an CLUTCH a déjà fait évoluer son hardcore frontal, mais il reste encore brut et rustre, mâtiné d’un heavy-rock emprunté à BLACK SABBATH ainsi que du doom régional de THE OBSESSED (ce qui le destinera très tôt à incarner, souvent par facilité, l’un des premiers groupes estampillés "stoner" auprès de MONSTER MAGNET et KYUSS au même moment) – et surtout à un rock sudiste bien édenté. 

Par la suite, tout au long des années 90, CLUTCH sera ainsi ballotté de maisons de disques en maisons de disques : après deux albums pour EastWest, le groupe échouera (littéralement) chez Columbia, avant de revenir dans le giron Atlantic avec « Pure Rock Fury » en 2001.

Et ce ne sont donc que les trois "périodes Warner" que « Songs Of Much Gravity... 1993-2001 » vient compiler dans ce sympathique coffret "clamshell box" : n’y voyez surtout pas une tentative d’anthologie de la première décennie clutchienne puisque ne sont récupérés ici que les trois albums « Transnational Speedway League: Anthems, Anecdotes & Undeniable Truth », « Clutch » et donc « Pure Rock Fury » – l’énorme gouffre qui sépare ainsi ces deux derniers, entre ’95 et 2001, s’expliquant par l’absence de deux autres albums déterminants qui viennent jalonner la progression du groupe vers la formule plus établie que l’on connait aujourd’hui, le label Cherry Red Redcords qui gère ces rééditions n’ayant évidement pu récupérer les droits de « Elephant Riders » chez Columbia ni ceux de « Jam Room » chez River Road Records. 

Car entre temps CLUTCH a naturellement évolué, peaufiné son heavy-rock granitique avec des arrangements de plus en plus subtils, et en déployant une palette d’influences autrement plus large, du rock psychédélique de la fin des années 60 à l’americana, en passant par des saveurs sudistes davantage alambiquées (ou bien épurées façon ZZ TOP), et surtout le Go-Go, une variante locale du funk de Washington D.C., si syncopé et entrainant – et qui restera l’une des caractéristiques primordiales du groupe jusqu’à aujourd’hui, et en terme de percussions et en terme de verve.

Forcément incomplet, ce coffret 4 CD offre donc un certain angle du CLUTCH des débuts – et à mi-parcours. Certains "nouveaux" fans du quatuor, conquis par le définitif « Blast Tyrant » en 2004 et ensuite ceux happés par sa révélation tardive (vingt ans trop tard !!!) avec le trio d’albums « Earth Rocker » / « Psychic Warfare » et « Book Of Bad Decisions » qui a porté la groupe vers une reconnaissance enfin méritée, soutenue par des critiques dithyrambiques unanimes et la multiplication des tournées en Europe et présences en festivals, vont donc découvrir la quintessence originelle d’un des meilleurs groupes de rock EVER, certes imparfaite, mais déjà si singulière et habitée. Nul doute que CLUTCH incarne désormais l’une des formation rock les plus jouissives, irréprochables et si excitantes du circuit ; mais au cours des années 90, il fallait être un fin connaisseur pour suivre un tel parcours – un véritable paradoxe au vu des maisons qui les hébergeaient, mais qui n’ont strictement rien fait en terme de promotion, ne se contentant donc que d’héberger un groupe à potentiel. Bien des déboires qui conduiront CLUTCH à créer sa propre structure Weathermaker Music et à gérer sa carrière en totale autonomie. 

Enfin, en dehors de ces trois albums que tout fan DOIT posséder pour comprendre l’oeuvre globale (et qui contiennent déjà quelques classiques encore joués en live tels que "El Jefe Speaks", "Spacegrass", "Pure Rock Fury", "Big News I", "Big News II", etc), la box comprend un quatrième CD gentiment composé de titres bonus assez difficiles à se procurer. Les fans complétistes ont déjà, forcément, les compilations de raretés « Slow Hole To China » et « Pitchfork & Needles », mais les sept morceaux présents ici n’étaient trouvables, à l’époque, que sur des maxi CD single ultra promo tels que « Songs Of Much Gravity » (dont la pochette est ici réutilisée, avec la présence de "Night Like That" en version Edit), et surtout « Careful With That EP » avec pas moins que le génialissime "Careful With That Mic…" en version Radio Edit, "Guilde Of Mute Assassins" et la version loooooongue du fantastique "Frankenstein", soit douze minutes définitivement très Go-Go. 

Bien sûr CLUTCH embrasse-t-il aujourd’hui un succès mérité, le public enfin confronté à la bête en festival ou à travers la presse ne pouvant décemment point résister aux charmes musqués de ces quatre musiciens aux silhouettes des plus banales. Mais il reste toujours ce petit goût d’amertume autour d’une première partie de carrière mésestimée et gâchée par le manque de dynamique d’une industrie opportuniste – qui finira par s’enorgueillir sur le tard d’avoir révélé cette merveille absolue du rock'n'roll dont, on insiste encore une dernière fois, il serait de bon ton de venir découvrir les bases.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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