11 juin 2021, 10:01

UN JOUR, UN ALBUM

BLACK SABBATH : "Sabotage"


Le 28 juillet 1975, « Sabotage » de BLACK SABBATH sort aux USA, avant de débarquer en Grande-Bretagne et en Europe en septembre. L'idée n'est pas d'en faire la chronique, mais d'effectuer une rapide remise en contexte tout en rappelant quelques faits ou anecdotes que vous ignoriez peut-être sur le sixième album des parrains du heavy metal, qui fêtera ses 46 ans dans six semaines. Pourquoi en parler déjà ? Parce qu'une édition Super Deluxe en deux versions, agrémentée d'un concert inédit de 1975, sort ce 11 juin dans les bacs.
 

C'est parce qu'il a été conçu dans le stress, l'adversité et le chaos le plus total que le sixième BLACK SABBATH porte le titre non dénué d'humour de « Sabotage ». « On avait l'impression que l'on était victimes d'un sabotage et que l'on se faisait rouer de coups de toutes parts » dira Tony Iommi, le guitariste, dans Iron Man: My Journey Through Heaven and Hell with Black Sabbath, son autobiographie parue en 2011. Il faut dire qu'enregistrer un album avec, parfois, la présence d'avocats dans les studios n'est ni courant, ni un gage de zenitude… Mais comment en est-on arrivé là ?

Le 6 avril 1974, Ozzy Osbourne, Geezer Butler, Bill Ward et Iommi, chanteur, bassiste, batteur et demi-dieu gaucher, se sont retrouvés propulsés, à leur corps défendant, au California Jam devant 300 000 spectateurs. Un gigantesque festival américain où ils se produisent aux côtés de quelques-unes des formations majeures de l'époque – BLACK OAK ARKANSAS, EARTH WIND & FIRE et THE EAGLES, pour ne citer qu'eux, et dont DEEP PURPLE et EMERSON, LAKE & PALMER assurent la co-tête d'affiche. Sur le papier, il faut en être. Dans les faits, les Britanniques, arrivés à saturation après quatre années non-stop de cycle infernal album-tournée-album-tournée, s'en moquent autant que de leur premier joint et ne rêvent que d'un peu de tranquillité bien méritée.


Mais Patrick Meehan, leur manager depuis 1970, n'a absolument pas l'intention de s'asseoir sur cette manne financière. Ancien assistant de Don Arden, redoutable manager dont on connaît mieux la fille, Sharon – future Mme Osbourne et manageuse aussi féroce que son paternel –, il a consolidé la réputation de BLACK SABBATH dans le monde avec sa boîte, Worldwide Artists Management, qui en a fait un groupe incontournable. Les quatre hommes étaient déjà bien partis avec leur carte de visite éponyme et « Paranoid », commercialisés tous deux en 1970, mais leurs trois albums suivants, « Masters Of Reality » (1973), « Vol. 4 » (1974) et « Sabbath Bloody Sabbath » (1975), les ont imposés durablement des deux côtés de l'Atlantique. Top 10 dans leur Perfide Albion natale, top 20 aux USA, les musiciens de Birmingham sont des superstars. 

Les parrains du heavy metal n'ont pas d'autre solution que de partir jouer aux USA, mais, fatigués de ces conditions proches de l'abattage (Iommi, exténué, s'est écroulé en plein concert pendant la tournée, Ozzy & Cie frôlent dangereusement la surchauffe) et complètement défoncés, ils décident de virer Meehan qu'ils soupçonnent en prime de s'octroyer beaucoup plus que le pourcentage qui lui revient… Et ils se sentent aussi floués par leur maison de disques, Vertigo. De retour des Etats-Unis, ils lui annoncent donc qu'ils continuent sans lui. 
Meehan n'a pas l'intention de perdre sa poule aux œufs d'or mais, puisque c'est de toute façon inéluctable, il va faire tout ce qui est en son pouvoir pour leur mettre des bâtons dans les roues, à grands coups d'avocats et de procès. Je t'attaque en justice, tu m'attaques en justice… Et si au passage le groupe venait à imploser, c'est le cadet de ses soucis. Du coup, même si l'enregistrement à proprement parler de ce qui deviendra « Sabotage » se déroulera en février et mars 1975, il se sera écoulé pas loin d'un an entre le moment où les musiciens commenceront à plancher sur leur copie et celui où leur disque sera commercialisé. Ce qui est très inhabituel à une époque où les groupes sortent un album par an avec une régularité quasi métronomique.
 

Le manager de BLACK SABBATH n'a absolument pas l'intention d'être évincé et traîne le groupe devant les tribunaux. Une longue bataille juridique s'engage alors que les parrains du metal enregistrent parallèlement « Sabotage » dans une ambiance chaotique.


Cette "longue" période, les Britanniques la passeront dans un état de stress total, largement amplifié par leur surconsommation d'alcool, de "sweet leaf", mais aussi de cocaïne. « On était complètement stoned tout le temps, avouera Butler. Mais on ne s'est jamais pris la tête tous les quatre. C'était vraiment : "Nous contre le reste du monde"… ». Le temps de la discorde viendra un peu plus tard. Malgré leur état, les musiciens s'en sortent pas trop mal quand ils enregistrent – live en studio – c'est-à-dire en jouant tous ensemble. « Il n'y a guère qu'une fois où ça n'a pas pu se faire, parce qu'Ozzy avait tellement picolé qu'il s'était évanoui sur le canapé » dira Mike Butcher, déjà producteur de « Sabbath Bloody Sabbath » et coproducteur, avec Tony Iommi ,de leur sixième réalisation.

Iommi assurera que c'est pendant ces sessions qu'ils auraient tapé un bœuf d'anthologie avec LED ZEPPELIN, de passage dans les studios. Si ce n'est qu'à l'époque, ces derniers étaient en pleine tournée US… « Ça s'est fait, mais peut-être à un autre moment alors » corrigera Bill Ward. Avant d'ajouter : « On a joué "Supernaut" parce que c'était la chanson préférée de John Bonham (le batteur). »
  
Enregistré, comme son prédécesseur, aux Morgan Studios à Willesden, dans le nord-est de Londres, « Sabotage », antépénultième album avec Ozzy avant son limogeage quatre ans plus tard, sera le dernier considéré comme un classique de BLACK SABBATH Mark I. En effet, si « Sabbath Bloody Sabbath » avait surpris par son côté progressif, ses arrangements et même la présence d'un orchestre, « Sabotage » se veut un album plus rock, écrit en réaction au chaos ambiant, et la guitare d'Iommi n'a jamais été aussi heavy. D'autant plus que les nombreuses journées au tribunal que passent les musiciens quand ils ne sont pas en studio leur donnent une niac qu'ils n'avaient pas – ou n'avaient plus – un an plus tôt. Témoin "Symptom Of The Universe", largement considéré comme l'un des morceaux qui donneront naissance au thrash…


Ce qui n'empêche pas Iommi de jouer l'expérimentation avec l'instrumental "Supertzar", composé sur un mellotron. Un harpiste et le Chœur Philharmonique de Londres seront d'ailleurs invités à l'enregistrement. A la grande surprise du chanteur, vraisemblablement pas au courant, qui battra en retraite, persuadé qu'il s'est trompé de studio…

Si Butler est le principal parolier du groupe, Ozzy n'ayant dégainé son stylo qu'en de très rares occasions, il se défoule avec "The Writ". Les musiciens sont en effet en plein enregistrement quand, un jour, débarque en studio un avocat qui remet une assignation en justice ("writ") à Tony Iommi, considéré comme le leader de la formation. Ainsi le chanteur découvre-t-il les vertus thérapeutiques de l'écriture, son texte étant une diatribe contre Meehan, mais aussi contre leur maison de disques. « C'est un peu comme si j'étais allé avoir un psy » reconnaîtra-t-il. 

Evidemment, on ne peut décemment pas ne pas parler de la pochette de l'album qui aura au moins pour elle d'avoir marqué les esprits. Si Ozzy casse les codes, vêtu d'un kimono qui lui vaudra le surnom de « l'homo au kimono » (!), c'est Bill Ward et ses collants rouges, ambiance "Ne suis pas la mode, sois la mode", qui vont entrer dans l'histoire. « Je portais un jeans vraiment crade, se défendra-t-il. Alors j'ai emprunté ses collants à ma femme. Et pour qu'on ne voit pas mes couilles sur la photo, Ozzy m'a passé son slip (à carreaux si l'on en croit le chanteur) vu que je n'en portais pas »… Un blouson en cuir en guise de caution rock et hop, le tour est joué pour le batteur. On est loin de l'idée de départ : les musiciens, en costume noir et à l'envers, devaient poser devant des miroirs en pied dans un long corridor orné de vitraux, dans l'esprit de Magritte… Sabotage. Ci-dessous, l'arrière de la pochette.


Quand l'album sort, le quartet a le sentiment du devoir accompli, mais nerveusement, il est au bout du rouleau. Et malgré ses indéniables qualités, le sixième BLACK SABBATH ne dépassera pas la 28e place des charts américains. Une déception, les autres étant tous rentrés dans le top 20, d'autant plus que contrairement à ses cinq prédécesseurs, il n'atteindra pas le statut d'album de platine (1 million de ventes) outre-Atlantique.

La tournée "Sabotage" sera la première sur laquelle le groupe sera accompagné sur scène par un claviériste, Gerald "Jezz" Woodroffe, qui apparaîtra également sur l'album suivant, « Technical Ecstasy », sans être pour autant crédité. Le 25 octobre, BLACK SABBATH se produit en live au "Don Kirschner's Rock Concert" à Santa Monica devant 2 000 et quelques personnes et interprétera "Killing Yourself To Live", "Hole In The Sky", "Snowblind", "War Pigs" et "Paranoid".


Malheureusement, le concert au Théâtre de la Mutualité à Paris, programmé le 5 novembre 1975, sera annulé en raison d'un accident de moto d'Ozzy. La plupart des dates britanniques seront reprogrammées, pas celle en France… Surprise.

Finalement, pour se sortir de ses imbroglios juridiques avec Meehan, en fin d'année, BLACK SABBATH devra se résoudre à payer son ex-manager et à régler, à grands coups de milliers de livres sterling, tous les frais juridiques… Non sans devoir au passage se délester de plusieurs autres milliers de livres auprès du Fisc. Quand ça veut pas… « On a cramé quasiment tout l'argent que l'on avait, entre les avocats et les impôts » se souvient le bassiste. Totalement dégoûtés, les musiciens vont continuer un temps sans manager, avec l'aide toutefois d'un ex-employé de Meehan pour gérer le quotidien. Mais le mal est fait et les quatre hommes, usés, déprimés, camés jusqu'aux yeux et aussi un peu fauchés, commencent à s'éloigner les uns des autres. Et quand ils se résoudront un peu plus tard à lier leur destin à celui de Don Arden, ce dernier ne pourra rien faire pour enrayer leur désintégration. En avril 1979, après deux albums décevants et une baisse de notoriété notable, Ozzy, qui avait déjà quitté le groupe à deux reprises, est définitivement écarté. Meehan peut être satisfait…

A 17 jours de son 46e anniversaire, BMG sort une réédition « Sabotage : Super Deluxe Edition » comprenant une version remasterisée de l'album ainsi qu'un live enregistré le 5 août 1975 à Astbury Park dans le New Jersey. Soit 16 morceaux, dont 13 jusque-là inédits, les 3 autres étant déjà apparus sur « Past Lives » (précédemment connu sous le titre de « Live At Last »).
 

Discographie
Black Sabbath (1970)
Paranoid (1970)
Master Of Reality (1971)
Vol. 4 (1972)
Sabbath Bloody Sabbath (1973)
Sabotage (1975)
Technical Ecstasy (1976)
Never Say Die! (1978)
Heaven and Hell (1980)
Live At Last (1980)
Mob Rules (1981)
Live Evil (1982)
Born Again (1983)
Seventh Star (1986)
The Eternal Idol (1987)
Headless Cross (1989)
Tyr (1990)
Dehumanizer (1992)
Cross Purposes (1994)
Cross Purposes Live (1995)
Forbidden (1995)
Reunion (live - 1998)
Live at Hammersmith Odeon (2007)
13 (2013)
Live... Gathered in Their Masses (2013)
The End - 4 February 2017 Birmingham (Live - 2017)

Blogger : Laurence Faure
Au sujet de l'auteur
Laurence Faure
Le hard rock, Laurence est tombée dedans il y a déjà pas mal d'années. Mais partant du principe que «Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux» et qu'elle écoute toujours la musique sur 11, elle pense être la preuve vivante que le metal à haute dose est une véritable fontaine de jouvence. Ou alors elle est sourde, mais laissez-la rêver… Après avoir “religieusement” lu la presse française de la grande époque, Laurence rejoint Hard Rock Magazine en tant que journaliste et secrétaire de rédaction, avant d'en devenir brièvement rédac' chef. Débarquée et résolue à changer de milieu, LF œuvre désormais dans la presse spécialisée (sports mécaniques), mais comme il n'y a vraiment que le metal qui fait battre son petit cœur, quand HARD FORCE lui a proposé de rejoindre le team fin 2013, elle est arrivée “fast as a shark”.
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