25 juin 2021, 10:00

UN JOUR, UN ALBUM

MOTÖRHEAD : "No Sleep 'til Hammersmith"


Le 27 juin 1981, MOTÖRHEAD sortait « No Sleep 'til Hammersmith », considéré à juste titre comme l'un des plus grands live de tous les temps. L'idée n'est pas d'en faire la chronique mais d'effectuer une remise en contexte, tout en rappelant quelques faits ou anecdotes que vous ignoriez peut-être sur ce premier témoignage en concert du Bombardier, qui fêtera ses 40 ans dans deux jours. Pour célébrer cet anniversaire, un coffret spécial est parallèlement disponible.
 

Quand « No Sleep 'til Hammersmith », le premier live de MOTÖRHEAD, atterrit dans les bacs en juin 1981, le groupe, en état de grâce, vient d'enchaîner trois classiques – l'imparable brelan « Overkill » (1979)-« Bomber »-« Ace Of Spades », tous deux sortis en 1980. Et presque autant d'années passées sur les routes que le power trio ne quitte que pour entrer en studio et repartir en tournée de plus belle. C'est en effet le lourd tribut à payer pour se faire un nom à l'époque et Lemmy Kilmister (chant/basse), “Fast” Eddie Clarke (guitares) et Phil “Philthy” Animal Taylor (batterie) – soit le line-up classique du Bombardier – se donnent sans compter. Comme le disait un célèbre chanteur écossais : « La route est longue jusqu'au sommet quand on veut faire du rock'n'roll ». Ça tombe bien, Lemmy ne vit que pour ça.

Ce qui ne les empêche pas, même s'ils naviguent le plus clair de leur temps dans un brouillard (purple haze ?) à base d'alcool, d'amphétamines et de diverses autres substances, de réaliser qu'il y a certainement quelque chose de pourri au royaume du Danemark, comme disait ce bon Shakespeare dans Hamlet. « On aurait dit que plus on était connus, plus on bossait tout le temps, sans jamais voir d'argent, soulignera Philthy dans The Guts And The Glory, un documentaire sorti en 2005. C'est là que tu comprends que tu te fais avoir, quand tu travailles tout le temps sans presque jamais un jour de repos. Histoire que tu n'aies pas l'occasion de trop gamberger sur la situation… » Qu'il se rassure : à peu près tous les groupes se sont fait un jour ou l'autre la même réflexion.

Mais peuvent-ils vraiment faire autre chose qu'aller de l'avant ? Après le succès, en février 1981, du EP 3 titres « Saint Valentine's Day Massacre » qu'ils ont enregistré avec GIRLSCHOOL sous le nom de HEADGIRL (5e des charts en Grande-Bretagne, il sera certifié disque d'argent un mois plus tard), le power trio, qui – c'est le cas de le dire – continue à monter en puissance, se lance dans le “Short Sharp Pain In The Neck Tour” en compagnie de ses grandes copines. Son nom étrange, cette tournée aux airs de blitzkrieg le doit au batteur qui, après un concert où il chahutait, a chuté sur la tête et a ressenti une “brève douleur fulgurante à la nuque”. Qui lui a valu de porter une minerve pendant de longues semaines.
 

 «La scène, c'est là où nous brillons. C'est notre élément naturel.» - Lemmy


Elle ne compte en effet que cinq concerts – quatre en Angleterre, le 27 mars à Norfolk, le 28 à Leeds au Queens Hall, les 29 et 30 à Newcastle au City Hall – et un en Irlande du Nord, le 3 avril à Belfast. Les trois hommes, accompagnés de Vic Maile, le producteur de « Ace Of Spades » qui a amené un studio mobile avec lui, ont en effet décidé d'immortaliser leurs performances scéniques. Une façon de répondre à la demande insistante des fans et de prouver que, comme le savent tous ceux qui les ont vus en live, MOTÖRHEAD prend toute sa dimension sur scène. « C'est là où nous brillons. C'est notre élément naturel » dira Lemmy sans fausse modestie. 
« Nos concerts avaient quelque chose de spécial, renchérit “Fast” Eddie Clarke dans Beer Drinkers And Hellraisers: The Rise Of Motörhead de Martin Popoff, un livre paru en 2017, un an avant la disparition du guitariste. Evidemment, le son n'était pas toujours égal d'un concert à l'autre, mais les shows étaient toujours bons. On était un grand groupe et on assurait sacrément en live. Je crois que les concerts de MOTÖRHEAD avaient un certain charme. Quand les gens venaient nous voir, ce n'était pas que pour les chansons et la musique. C'était un événement. »
 

  


Si le son de Leeds se révèle relativement médiocre, c'est principalement le second des deux concerts de Newcastle qui apparaît sur ce qui sera baptisé « No Sleep 'til Hammersmith ». Un titre en forme de clin d'œil, le groupe ne s'étant cette fois pas produit dans la mythique salle londonienne, qui fait en fait référence à la tournée “Ace Up Your Sleeve” , quand MOTÖRHEAD y avait joué quatre soirs d'affilée, du 26 au 29 novembre 1980. « Un des chauffeurs de semi avait peint “No Sleep 'til Hammersmith” sur la calandre du camion, raconte le bassiste/chanteur dans Lemmy: The Definitive Biography signée Mick Wall, publiée un an après le décès du monstre sacré. Parce que nous avons joué 32 dates avec seulement deux jours off. C'était devenu sa devise. »

Jusque-là inédit, mais présent dans le coffret de « No Sleep 'til Hammersmith » disponible aujourd'hui, “The Hammer”, immortalisé le 30 mars 1981 à Newcastle.


​Composé de 11 morceaux, dont “Iron Horse/Born To Lose”, le seul enregistré en 1980, le live aurait dû être un double album. Mais les Britanniques n'ayant de quoi remplir que trois faces de vinyle (« Il aurait fallu meubler la quatrième en racontant des blagues ou en chantonnant, et franchement, qui est-ce que ça aurait intéressé ? » plaisante le frontman), il sortira donc sous forme de simple. Pourquoi ne pas avoir joué des sets plus longs dans ce cas ? « Parce que la longueur de nos concerts est parfaite, expliquera-t-il à l'occasion d'une interview de 1981 restée inédite jusque-là et qui figure dans l'édition spéciale 40 ans de ce live d'anthologie. Pas juste pour nous, mais aussi pour nos fans. Si l'on jouait plus longtemps, il y aurait une perte d'énergie. Tu imagines un album live dont les trois quarts sont au taquet et qui ressemble à du folk sur la dernière partie (rires) ? »

Lemmy ne cachera pas avoir refait quelques voix en studio sur un ou deux titres, tandis que Philthy réenregistrera « une ou deux petites parties de batterie qui n'étaient pas aussi bien qu'elles l'auraient dû. Mais nous nous targuons d'être un putain de bon groupe en live et il était inutile de faire comme tant de formations qui sortent des albums prétendument live intégralement réenregistrés en studio » assurera Lemm'. Un ange passe, une bouteille de Jack sous le bras.
 

 


Contre toute attente, « No Sleep 'til Hammersmith » va réaliser l'impensable en se classant n°1 au Royaume-Uni et demeurer, six semaines durant, dans le top 10. Groupe fédérateur unique en son genre, qui réunit à ses concerts fans de metal, punks et bikers, MOTÖRHEAD a réussi l'exploit de dominer les charts de son pays natal avec l'album le plus brut, le plus hargneux et le plus anticommercial qui soit. Un disque à la puissance implacable, véritable rouleau compresseur qui pue la sueur, la bière et transpire l'énergie. Comme « Ace Of Spades », il dépassera les 100 000 ventes domestiques et sera donc certifié disque d'or.
Mais le groupe devra se contenter de boire du petit lait (c'est une image !) à distance, les musiciens étant alors en tournée aux USA en première partie du “Blizzard Of Ozz Tour” d'Ozzy Osbourne qui a sorti son premier album solo post-BLACK SABBATH. « Quand je pense à tous les coups à boire qu'on nous aurait offerts au pub pour célébrer l'événement… » se désole Phil Taylor. Il aura tout loisir de se rattraper par la suite.

Un seul 45 tours sortira, avec “Motörhead (live)” en face A et “Over The Top (live)” en face B.
 

 


C'est ainsi qu'en cinq ans, le power trio qui joue du rock'n'roll sous amphéts, “au-delà du seuil de la douleur” auditive, s'est retrouvé catapulté du statut de “meilleur pire groupe du monde”, selon le référendum des lecteurs du magazine musical anglais NME, à celui de plus apprécié puisque fin 1981, MOTÖRHEAD s'adjuge la première place dans toutes les catégories dans celui de Sounds. Enfin, presque toutes puisque c'est David Coverdale, chanteur de WHITESNAKE au jeu de micro suggestif, qui est promu “Sex-symbol masculin de l'année”. Mais Mr. Kilmister finit quand même premier dauphin… 

De retour au bercail, ils se retrouvent propulsés en tête d'affiche du Heavy Metal Holocaust, le 1er août à Port Vale. Un festival qui a lieu dans un vieux stade de foot mais qui, selon la publicité de l'époque, est « équipé de la plus grosse sono jamais utilisée en Grande-Bretagne ». Ça tombe bien, MOTÖRHEAD est le groupe qui joue plus fort que tout le reste, pour reprendre sa devise. C'est initialement BLACK SABBATH qui devait être tout en haut de l'affiche, mais les sessions de « Mob Rules », second album avec Ronnie James Dio au chant, ont pris du retard, les contraignant à annuler leur participation (à moins que ce bon RJ n'ait fait une petite crise de calcaire à l'idée de partager l'affiche avec le Madman ?). C'est donc le Bombardier, précédé par Ozzy, qui clôture la soirée. Parce qu'il le vaut bien.
 


Pourtant, le succès ne montera pas à la tête de Lemmy, personnage haut en couleur quoique toujours de noir vêtu, droit dans ses bottes. « Quand tu es tout en haut, tu ne peux que redescendre » analysera-t-il à l'époque avec le bon sens qui l'a toujours caractérisé, conscient que classer un album à la première place des charts est à double tranchant. Un cadeau empoisonné en quelque sorte, les fans, mais aussi le music business et les médias, considérant – à juste titre – qu'il est quasiment impossible de rééditer l'exploit. D'autant plus qu'un an plus tard, le power trio sortira « Iron Fist », un bon album certes, mais inférieur comparé aux quatre classiques qui l'ont précédé…

Live de chevet de toute une génération de musiciens (et de fans), « No Sleep 'til Hammersmith », antépénultième album sorti sur le mythique label Bronze Records, jouera un rôle décisif dans la création du speed metal ainsi que du thrash et Lemmy demeurera jusqu'au bout une figure idolatrée par les fans et extrêmement respectée par ses pairs. Pourtant, jusqu'à sa disparition fin décembre 2015, à l'âge de 70 ans, il insistera toujours sur le fait que MOTÖRHEAD, c'est juste du rock'n'roll. Survolté, sous amphéts, mais du rock'n'roll. 

Le “Ace Up Your Sleeve Tour” ayant fait pas moins de 16 étapes (!!!) en France début 81 – Saint-Martin-d'Hères, Lille, Paris, Orléans, Brest, Rouen, Bordeaux, Toulouse, Pau, Vitrolles, Toulon, Nice, Lyon, Mulhouse, Melun et Strasbourg – Lemmy & Cie ne reviendront pas chez nous sur le “No Sleep 'til Christmas Tour” européen en décembre. Et, quand MOTÖRHEAD repassera dans l'Hexagone, en octobre 1982 à l'occasion du “Iron Fist Tour”, ce sera sans “Fast” Eddie qui a sauté en marche cinq mois plus tôt en pleine tournée américaine et a été remplacé par l'ex-THIN LIZZY Brian Robertson...
 


Pour célébrer le 40e anniversaire de cet album historique, BMG sort un luxueux coffret réunissant l'album original remasterisé, agrémenté de cinq chansons, dont trois enregistrées pendant la balance, les trois autres présentant à chaque fois la même setlist de 19 titres enregistrés respectivement les 30 et 29 octobre à Newcastle, le dernier ayant été capté à Leeds. De nombreux goodies sont également proposés selon les versions choisies. 

“Stay Clean” enregistré pendant le soundcheck à Newcastle

Discographie
Motörhead (1977)
Overkill (1979)
Bomber (1979)
On Parole (1979)
Ace Of Spades (1980)
No Sleep 'til Hammersmith (1981)
Iron Fist (1982)
Another Perfect Day (1983)
Orgasmatron (1986)
Rock 'n' Roll (1987)
No Sleep At All (live -1988)
The Birthday Party (1990)
1916 (1991)
March Ör Die (1992)
Bastards (1993)
Sacrifice (1995)
Overnight Sensation (1996)
Snake Bite Love (1998)
Live : Everything Löuder than Everyone Else (live - 1999)
We Are Motörhead (2000)
Hammered (2002)
Inferno (2004)
Kiss Of Death (2006)
Motörizer (2008)
The Wörld Is Yours (2010)
Aftershock (2013)
Bad Magic (2015)
Louder Than Noise... Live in Berlin (2021)

 
Blogger : Laurence Faure
Au sujet de l'auteur
Laurence Faure
Le hard rock, Laurence est tombée dedans il y a déjà pas mal d'années. Mais partant du principe que «Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux» et qu'elle écoute toujours la musique sur 11, elle pense être la preuve vivante que le metal à haute dose est une véritable fontaine de jouvence. Ou alors elle est sourde, mais laissez-la rêver… Après avoir “religieusement” lu la presse française de la grande époque, Laurence rejoint Hard Rock Magazine en tant que journaliste et secrétaire de rédaction, avant d'en devenir brièvement rédac' chef. Débarquée et résolue à changer de milieu, LF œuvre désormais dans la presse spécialisée (sports mécaniques), mais comme il n'y a vraiment que le metal qui fait battre son petit cœur, quand HARD FORCE lui a proposé de rejoindre le team fin 2013, elle est arrivée “fast as a shark”.
Ses autres publications

1 commentaire

User
terry rats
le 25 juin 2021 à 16:36
bonjour et merci pour ce petit reportage sur mon groupe préféré .pour moi le rock n roll c est motorhead .....
Merci de vous identifier pour commenter
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