26 septembre 2021, 15:45

ALIEN WEAPONRY

"Tangaroa"

Album : Tangaroa

Comme l’a fait dire Corneille (pas le chanteur, le dramaturge) à Rodrigue dans Le Cid « Aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années ». Cette phrase devenue dicton s’applique tout particulièrement à un jeune groupe néo-zélandais à la trajectoire impressionnante : ALIEN WEAPONRY. Quand, à 19-21 ans, tu as déjà 11 ans de carrière, tu as reçu un prix pour un single des mains de ta Première Ministre et que la presse spécialisée te qualifie de futur du metal, ça en dit long sur ton talent. Les frangins Henry Te Reiwhati et Lewis Raharuhi de Jong sont tout gamins (et vivent dans un patelin de 2700 habitants) quand ils forment un groupe dont le nom vient du film District 9. Le duo devient vite trio et après quelques années à écumer des tremplins qu’il gagne, il sort ses premiers singles qui secouent la Nouvelle-Zélande aussi fort que l’activité sismique, des singles qui valent déjà les honneurs de la presse étrangère. Alors qu’ils ne sont même pas majeurs et n’ont que que quelques singles à leur actif, ils signent chez Napalm Records, tournent aux USA avec MINISTRY et écument les scènes du Metaldays ou encore du Wacken. En 2018, ils sortent « Tū », un premier album brut de décoffrage, sec comme un coup de patu dans la tronche. Un premier effort chanté en Anglais et en Te Reo Maori, pour appuyer la double identité Māori/Pakeha (nom donné par les Māoris aux Blancs) que les frères De Jong ont hérité de leurs ancêtres des tribus Ngāti Pikiao et Ngāti Raukawa d’un côté et hollandais de l’autre. Une double identité qui non seulement leur confère une certaine légitimité dans leur démarche dans un pays où la question de l’appropriation culturelle est épineuse, mais qui sera également au cœur de leur musique.

« Tangaroa » arrive 18 mois après son prédécesseur. Entre temps, le groupe a changé de statut, tourné en première partie des plus grands, inauguré la journée spécial thrash metal du dimanche sur la Mainstage 2 du Hellfest, fait la couverture de Metal Hammer et même signé avec The RSE Group, boîte de management californienne qui travaille pour SLAYER, MASTODON, GHOST ou encore GOJIRA (ils vont d’ailleurs tourner en première partie de ces derniers aux USA en 2021 et en Europe en 2022 dont 3 dates en France en février). Comme annoncé dans le premier single, « Tangaroa » (du nom du dieu de la pêche et de la mer, ainsi que d’un cycle lunaire) amorce un léger changement chez ALIEN WEAPONRY. D’abord au niveau du line-up puisque le bassiste Ethan Trembath a quitté le groupe (ce qui ne l’empêche pas de poser sa voix sur le poignant et énervé "Dad" (sur l’absence d’un parent), comme quoi tous les changements de line-up ne se déroulent pas comme chez MEGADETH), remplacé par le polyvalent Tūranga Morgan-Edmonds.  Un changement également dans l’orientation musicale, puisque leur groove metal teinté par moments de hardcore se veut moins rêche, avec des inclinaisons plus prog’ (un prog’ tendance GOJIRA comme c’est le cas sur Īhenga autant au niveau du son de gratte que de certains chœurs chamaniques), osant même une presque ballade en milieu d’album : la sublime "Unforgiving" au message à la fois introspectif et écologique et sur laquelle Lewis De Jong se sort les tripes et Morgan-Edmonds offre un superbe solo de six-cordes. "Crooked Monsters" (sur les violeurs qui échappent à la justice) et sa longue et lancinante intro instrumentale s’inscrit dans cette veine, tout comme "Buried Underground" bien plus complexe qu’au premier abord. Si les titres en anglais ont une certaine force, cette puissance paraît décuplée sur les morceaux en Te Reo Māori, sur lesquels les voix des trois musiciens, forment un seul et même bloc, faisant éclater la mana de leurs ancêtres, cette puissance presque surnaturelle des peuple Māori (une puissance vocale dont se font l’écho des titres comme "Tangaroa" et sa frappe de batterie tellurique et son refrain immédiat ou encore "Kai Whatu"). Il n’est donc pas étonnant que les morceaux en Te Reo Māori offrent à l’auditeur des mandales dignes de troisièmes lignes All Blacks, entre récits de batailles homériques ("Tītokowaru", hommage à un grand chef qui ne nie pas la cruauté des deux camps, ou "Hatupatu" sur lequel le chant semble être un haka) ou dénonciation de la colonisation britannique comme sur le féroce "Ahi Kā".  

Si les inclinaisons hardcore ("Blinded") se font plus rare que sur «Tū » (un aspect de leur musique qui vaut à ALIEN WEAPONRY de ne pas être répertorié sur la base de données The Metal Archives, site souvent servant de référence, mais pour le coup totalement aux fraises), c’est au profit d’une musique plus variée, moins ancrée dans un thrash pur et dur (avec ce côté "tribal" que beaucoup assimilaient comme du SEPULTURA), mais plus mature, plus complexe. « Tangaroa » est une évolution, une suite logique de «Tū »  qui laissera les fans purs et dure de la rugosité des débuts, mais qui ôte tout caractère redondant. De ce fait « Tangaroa », totalement dépourvu de défauts, est un album aussi riche que passionnant (de ceux qu’on n’arrive pas à se défaire), taillé pour briser les nuques en live. Kia Ora guys !

Blogger : Nikkö Larsson
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