27 août 2021, 22:36

LE JOUR OÙ…

Satriani remplace Blackmore chez DEEP PURPLE


En 1993, Joe Satriani reçoit une proposition qui ne se refuse pas... même s'il commence par la refuser, justement : remplacer Ritchie Blackmore au sein de DEEP PURPLE.
 

Il a beau être un guitariste exceptionnel, Ritchie Blackmore n'en demeure pas moins, humainement parlant, une purge. Si son jeu et ses compositions en ont fait une légende, ses nombreuses crises de calcaire plus ou moins justifiées (souvent moins que plus, d'ailleurs) qui le poussaient, par exemple, à monter sur scène au moment où il l'avait décidé et non pas à l'heure où devait débuter le concert, sont devenues presque aussi légendaires que ses talents de musicien. En 1993, alors que DEEP PURPLE, qui a sorti « The Battle Rages On » (au titre ô combien prophétique), fête son 25e anniversaire, l'ambiance est on ne peut plus tendue entre lui et Ian Gillan, le chanteur.

Le 9 novembre, à Birmingham, quand DEEP PURPLE monte sur scène et attaque "Highway Star", c'est ambiance : « Où est Ritchie ? ». Pas sur scène, en tout cas, puisqu'il ne débarque qu'au moment du solo, tandis que les musiciens, imperturbables, pilonnent comme si de rien n'était. Entre professionnalisme et habitude, sans doute. Ce qui n'empêche pas le guitariste d'être très en verve, mais passablement énervé, comme on le voit sur le DVD Come Hell Or High Water, puisqu'il balance une bouteille d'eau ouverte sur une caméra. Peut-être pour l'effet gouttelettes ? Ce qui est finalement bien peu de chose quand on se souvient qu'à l'occasion du California Jam, en 1974, il avait fracassé sa guitare sur la caméra d'un cadreur qui lui avait eu la mauvaise idée de lui demander à plusieurs reprises de se déplacer pour avoir de meilleurs angles de vues. Avant de détruire méthodiquement tout son matos dans une grande "symphony of destruction", de celles qui ont fait l'Histoire du rock et alimenté sa légende.

En juin 1998, Blackmore expliquera les raisons de sa colère à Hard Roxx. D'une part, il voulait que le tournage de ce qui deviendra Come Hell Or High Water ait lieu au tout début du tour « parce que Ian n'a plus de voix au bout de quatre jours ». Mais la maison de disques s'est montrée intraitable : ce sera à Birmingham, au bout de six semaines de tournée, et pas ailleurs. « A quoi bon puisqu'à ce moment-là, l'album sera déjà mort, commercialement parlant ? » argumente-t-il. Mais BMG n'en tient pas compte. Dernier point, le guitariste ne supporte pas que les caméras empêchent les fans de profiter pleinement du concert et c'est la raison pour laquelle, outré de la présence des cameramen sur scène, il dit s'être vengé en jetant de l'eau sur l'une d'entre elles… Quand Blackmore fâché, lui toujours faire ainsi.
 


Le 17 novembre, après le concert d'Helsinki, en Finlande, que l'on qualifiera de "houleux", Blackmore saute en marche et part sans se retourner. Vingt-huit ans plus tard, de l'eau a coulé sous les ponts mais jamais il n'a réintégré DEEP PURPLE, preuve qu'il a la rancune tenace dans un milieu où l'on voit régulièrement les ennemis d'hier pactiser à nouveau pour les fans (et, surtout, pour payer les factures). Une catastrophe pour les Britanniques qui ont six dates au Japon à honorer début décembre. Comment trouver un remplaçant en si peu de temps ?

Quand il apprend que la tournée pourrait bien être annulée, Mr. Udo, personnage incontournable des tournées au pays du Soleil-Levant, contacte le Bill Graham Management qui s'occupe de Joe Satriani. Cinq ans plus tôt, l'Américain, qui s'est forgé une belle réputation avec « Surfing With The Alien » et « Flying In A Blue Dream », a accompagné Mick Jagger, légendaire chanteur des ROLLING STONES, sur sa tournée solo australienne et japonaise, ce qui prouve que son talent ne se limite pas à sa carrière instrumentale. Et puis il a pour lui deux gros avantages : les fans japonais le vénèrent et il n'a jamais caché son admiration pour Blackmore et DEEP PURPLE. Pourtant, quand le manager du New-Yorkais l'appelle pour lui proposer de jouer les intérimaires de luxe, ce dernier ne réagit pas exactement comme il s'y attendait et lui raccroche violemment au nez (c'était une ligne fixe à l'époque, nettement plus efficace pour le côté dramatique qu'un bête smartphone). « J'étais outré qu'il ose me proposer de remplacer Ritchie Blackmore, expliquera Satch. Je suis un immense fan et pour moi, personne ne peut prendre sa place. Alors je lui ai dit qu'il était inutile de me rappeler et j'ai raccroché. »

Mais, à froid, moins d'une heure plus tard, l'idée a fait son chemin dans la tête de Joe qui recontacte son manager. « Tu ne leur as pas encore donné de réponse ? » s'enquiert-il. « Non, je savais que tu changerais d'avis » lui répond ce dernier. C'est ainsi que Satriani rejoint ce qui devient la 8e incarnation de DEEP PURPLE et succède à son idole. Non sans se demander quand même s'il sera à la hauteur. « J'avais envie de me retrouver sur scène avec eux, même si j'avais conscience que ça serait difficile, expliquera-t-il par la suite. Je savais que j'en étais techniquement capable. Mais pour tout le monde, Ritchie était tellement LE guitariste de DEEP PURPLE que je me demandais comment je pourrais monter sur scène pour le remplacer... »
 

« On voyait bien que Ritchie appartenait au même club qu'Hendrix, si je puis dire. Tous deux étaient avant-gardistes, ils faisaient partie de la troisième génération de bluesmen qui jouaient de la guitare électrique. Ce sont eux qui nous ont influencés, Steve Morse, Eddie Van Halen, moi et de nombreux autres musiciens. » – Joe Satriani


La fascination qu'exerce DEEP PURPLE sur le guitariste remonte à « Machine Head », leur sixième album sorti en 1972. « Il représentait ce qui, pour moi à l'époque, était le heavy rock, analysera-t-il en 2016 à l'occasion d'une interview que l'on peut retrouver sur la chaîne YouTube officielle des Britanniques. Au lycée, quand je jouais avec mes amis, on reprenait BLACK SABBATH, les STONES, Hendrix et CREAM. Mais cet album était à part. Il était à la fois punchy, bluesy et émouvant tout en étant raffiné. Et, en tant qu'américain, je trouvais que le jeu de guitare de Ritchie avait quelque chose d'exotique. J'ai commencé à jouer de la batterie à 9 ans mais je suis passé à la guitare le jour du décès d'Hendrix.

Je connaissais un peu DEEP PURPLE à l'époque, certains de leurs hits passaient à la radio, comme "Hush", et on voyait bien que Ritchie appartenait au même club qu'Hendrix, si je puis dire. Tous deux étaient avant-gardistes, ils faisaient partie de la troisième génération de bluesmen qui jouaient de la guitare électrique. Ce sont eux qui nous ont influencés, Steve (Morse, qui lui succèdera au sein du groupe), Eddie Van Halen, moi et de nombreux autres musiciens. Eux qui nous ont montré qu'il ne fallait pas avoir peur de revenir à ses racines. »

Même si, sur le papier et pour les fans, personne ne peut effectivement se substituer au fantasque homme en noir qui demeure, aujourd'hui encore, intrinséquement lié à la magie du Pourpre Profond, de l'avis général, Satriani remplit sa mission avec les honneurs. Avec humilité, sans chercher à imiter l'inimitable Blackmore. Et avec un enthousiasme qui fait plaisir à voir. « C'était un rêve éveillé » avoue-t-il (flying in a purple dream ?), non sans souligner la gentillesse et la simplicité de Gillan, Roger Glover, Ian Paice et Jon Lord qui ont tout fait pour le mettre à l'aise dès le début. Et lui ont également permis de rajouter à la setlist “Satch Boogie”, un de ses morceaux les plus connus.

Avant la fin de son interim, qui s'achève le 6 juillet 1994 au soir, dernière date de la tournée européenne de 25 concerts (et pas une seule en France...), DEEP PURPLE lui propose un CDI. Qu'il décline. “Coincé” par ses engagements en solo avec Epic Records, sa maison de disques, il estime aussi qu'en tant qu'Américain, il n'a pas vraiment sa place au sein d'une formation 100% britannique. Peut-être craint-il aussi le carcan d'une aussi grosse machine qui ne lui laisserait pas toute la latitude dont il dispose en solitaire ? C'est donc Steve Morse, ex-DIXIE DREGS et KANSAS, lui aussi né outre-Atlantique mais moins "regardant" quant à la nationalité de ses illustres employeurs, qui décrochera le cocotier. Vingt-six ans plus tard, il est toujours en place.​
 


En mai 2018, toujours fidèle à lui-même, Blackmore profite de sa chaîne YouTube officielle pour donner son avis – évidemment mitigé – sur Satriani. « C'est un guitariste brillant, concède-t-il. Mais je ne le vois jamais chercher des notes et il ne fait jamais de fausses notes. Jimi Hendrix en faisait beaucoup parce qu'il était toujours à la recherche de LA note... et quand il la trouvait, c'était incroyable. Si tu joues toujours la note qu'il faut, c'est qu'il y a un problème. Tu n'es pas dans la recherche, tu es dans ta zone de confort. Ce qui ne l'empêche pas d'être excellent. » Bref, il lui reproche un côté trop mécanique, synonyme pour lui de manque de spontanéité. Et sans doute aussi de feeling.

Réponse du berger (Joe) à "la bergère" (Ritchie) : « C'est toujours dommage quand quelqu'un que tu admires fait des commentaires négatifs sur toi. Ça fait toujours mal, je ne le cache pas. Mais la plupart du temps, quand quelqu'un te critique, c'est parce qu'il se sent remis en question et qu'il a besoin de contrattaquer. Je comprends pourquoi il se devait de faire un commentaire négatif. Finalement, ça me fait rire parce que moi, je ne suis pas comme ça. J'ai tendance à me concentrer uniquement sur les points positifs des autres guitaristes. » Où comment sous-entendre, l'air de rien, que Blackmore ne serait vraisemblablement pas à l'aise dans son registre instrumental...

Cette pige de luxe viendra non seulement pimper le CV de Satriani, mais elle aura également un effet libératoire pour les musiciens de DEEP PURPLE« Nous avons eu la preuve que nous n'avions pas besoin de Ritchie pour exister » conclura Roger Glover, le bassiste. Et dire qu'il leur aura fallu un quart de siècle pour s'en apercevoir...
 


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Blogger : Laurence Faure
Au sujet de l'auteur
Laurence Faure
Le hard rock, Laurence est tombée dedans il y a déjà pas mal d'années. Mais partant du principe que «Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux» et qu'elle écoute toujours la musique sur 11, elle pense être la preuve vivante que le metal à haute dose est une véritable fontaine de jouvence. Ou alors elle est sourde, mais laissez-la rêver… Après avoir “religieusement” lu la presse française de la grande époque, Laurence rejoint Hard Rock Magazine en tant que journaliste et secrétaire de rédaction, avant d'en devenir brièvement rédac' chef. Débarquée et résolue à changer de milieu, LF œuvre désormais dans la presse spécialisée (sports mécaniques), mais comme il n'y a vraiment que le metal qui fait battre son petit cœur, quand HARD FORCE lui a proposé de rejoindre le team fin 2013, elle est arrivée “fast as a shark”.
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2 commentaires

User
omega_21
le 27 août 2021 à 20:44
Un peu à charge cette article ma chère Laurence, non ? ;-) Ce que tu ne précises pas (oui on se tutoie, depuis le temps que je lis ton nom ^^ ) C'est que pendant les premières minutes de Hell or High Water, Blackmore cherche visiblement quelque chose et semble furieux contre Gillan... Et après quelques minutes il trouve de l'alcool caché par ce dernier... Et le balance... Que ça retombe sur la camera, je pense sincèrement que c'est du hasard. Bref Deep Purple est mon groupe préféré, j'ai aimé toute ces incarnations et la période Blackmore a écrit une des plus belle page de l'histoire du rock !
User
Laurence Faure
le 27 août 2021 à 21:15
Bien sûr qu'on peut se tutoyer. Je n'ai jamais entendu parler nulle de la version que tu évoques avec la bouteille d'alcool. Je viens d'ailleurs de rajouter un paragraphe, juste avant la vidéo de “Highway Star”, dans laquelle Blackmore raconte les raisons de sa colère et dans le texte original, il parle bien d'une bouteille d'eau…
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