24 septembre 2021, 20:13

GOTHIC ROCK & UNE HISTOIRE DE LA PRESSE ROCK EN FRANCE

Aux éditions Le Mot et le Reste

Parmi les actualités de la rentrée, ce ne sont cette fois ni des albums ni des concerts qui ont retenu mon attention, mais bien deux ouvrages essentiels : GOTHIC ROCK et UNE HISTOIRE DE LA PRESSE ROCK EN FRANCE. Oh, vous devinerez bien l’attachement que j’ai pour l’éditeur Le Mot et le Reste, mais les domaines abordés, aussi passionnants soient-ils, m’empêchent parfois de pouvoir ici les creuser davantage – ceux-ci étant bien plus vastes, périphériques, et bien au-delà de notre sphère metal (et ce en-dehors de ceux, et c’est délicat, pour lesquels je bannirai l’auto-promo).

Chez Le Mot et le Reste, l’étude de la musique s’étend du blues aux expérimentations bruitistes, d’une improbable scène chinoise à celle de Canterbury, et de Nina Simone à Iggy Pop, en passant par le rock, tous les rocks – et donc parfois le metal.

En plus de trente ans de découvertes musicales, la curiosité reste la principale qualité requise, bien plus que la fameuse oreille, autrement plus subjective. Et lorsqu’on dévoue toute sa vie à l’achat de disques, à la fréquentation de salles de concerts, et à la lecture de revues et de livres spécialisés, le champ des possibles est absolument infini – peut-être encore davantage lorsqu’on se professionnalise et que toutes les portes sont alors déverrouillées de part et d’autre de l’infini couloir que vous traversez sans fin, comme un déroulé kafkaïen.

Et si au cours de certains moments de complaisance et de suffisance vous avez l’impression d’avoir fait le tour d’un sujet, d’un domaine, en fait non : tout "professionnel" ou "spécialiste" que vous êtes, vous vous trouverez toujours, et je dis bien TOUJOURS, face à plus fort que vous, à un moment donné. La connaissance définitive n’existe pas, et votre circonscription tant obsessionnelle que vaniteuse de l’objet demeure systématiquement obsolète. A chaque minute un nouveau label à l’autre bout du monde, un disque inconnu et une auto-production bouleversante viendront déjouer vos prétentions d’omniscience.

Qui plus est, le rock doit sa survie et sa richesse à sa faculté à muter – oui, comme les virus tenaces. Que serait le rock aujourd’hui en 2021 si l’on ne faisait que répéter les mêmes gestuelles et formules qu’Eddie Cochran ou Chuck Berry ? Certains se satisferaient de son intégrité, d’autres se seraient inévitablement lassés.

Ainsi se sont développés, dès la seconde moitié des années 60 des courants singuliers, qui ont donné naissance au fil des générations à d’innombrables chapelles, autant de bacs dédiés chez les disquaires, de nouvelles dénominations opportunes pour les journalistes, et du fil à retordre pour le consommateur.

Reste qu’en pleine explosion post-punk, le domaine des possibles s’est considérablement étendu : l’apprentissage spontané et décomplexé de certains instruments, la facilité du do it yourself et le brassage plus ou moins frontal des (contre)cultures a préparé l’underground des années 80, à peine perceptible sous le verni déjà convenu de la vitrine MTV.

Et donc le rock gothique. Amateurs plus ou moins éclairés de RAMMSTEIN, de Marilyn Manson, de TYPE O NEGATIVE, de PARADISE LOST, de THE CULT ou de NINE INCH NAILS, cet ouvrage inédit va creuser davantage votre intérêt pour cette frange finalement méconnue du rock – un rock hérité du punk, de l’expérimentation avec l’électronique, l’univers du macabre et du romantisme noir du XIXe siècle, du travestissement débridé, d’une sexualité souvent fétichiste et d’un certain nihilisme. 

En partant de ces groupes estampillés metal comme portes d’entrée, l’auditeur curieux connaitra probablement des artistes renommés qui gravitent autour de cet univers voisin et dont les sonorités si noires, hypnotiques, torturées, électriques, mystérieuses, hystériques, voire si subversives ne peuvent qu’interpeler et inviter à la (re)découverte tant les dénominateurs sont souvent communs. SISTERS OF MERCY, THE MISSION, FIELDS OF THE NEPHILIM, CHRISTIAN DEATH et bien sûr KILLING JOKE font partie de cette vaste nébuleuse que l’on peut d’évidence regrouper dans les musiques extrêmes et qui caractérisent aussi nos grands festivals dédiés. A ces noms légendaires, se rajoutent d’autres acteurs cultes d’un circuit fantastique et cabossé qui au cours des années 80 ont provoqué bien des vocations : ALIEN SEX FIEND est bien l’enfant bâtard d’Alice Cooper en mode electro indus, une passerelle entre le croque-mitaine des années 70 et le jeune MINISTRY, qui annonce quinze ans plus tôt toute la pantomime de Marilyn Manson. Quant à SOUTHERN DEATH CULT, il n’est que la version proto, dark et minimaliste du THE CULT imminent de Ian Astbury à l’époque du night-club Batcave à Londres. Et du BIRTHDAY PARTY de Nick Cave à THE DAMNED ou de NEW MODEL ARMY à 45 GRAVE, en passant évidemment par JOY DIVISION ou BAUHAUS, il y a tant à raconter et à découvrir sur les origines du Gothic Rock au cours d’une décennie définitivement excitante si l’on creuse bien plus profondément, au moins six pieds, en-dessous des dentelles noires de Madonna et des succès de THE CURE.

C’est précisément le projet entrepris par le journaliste chroniqueur Victor Provis qui, à travers GOTHIC ROCK, une anthologie au format désormais bien connu, s’est attelé à la dissection de 100 monuments du genre. Et pour les grincheux compulsifs, l’exercice ne se résume pas ici aux « cent meilleurs disques », mais bien à un large panorama du concept, ici circonscrit à une période qui démarre en 1980 avec le quintessential « Closer » de JOY DIVISION, et qui s’achève pile vingt ans plus tard avec le disque éponyme de CINEMA STRANGE en 2000. Vingt ans, un parti pris qui correspond à un âge d’or créatif et qui exclut toutefois, à raison, les artistes étiquetés metal qui ne sont "que" influencés par leurs illustres modèles.

Et par-delà cette sélection forcément subjective à travers laquelle on découvre BEAUCOUP de nouvelles entrées (et quel serait l’intérêt de ne rien apprendre de neuf sinon de satisfaire la vanité de ses propres connaissances ???), l’auteur à la fois passionné et érudit en la matière dresse une introduction d’une trentaine de pages qui vient définir de manière factuelle et précise le concept même de Rock Gothique, à travers son histoire, ses composantes et ses ingrédients. Mieux : en guise de conclusion, Victor Provis poursuit plus loin encore son analyse en présentant de manière bien approfondie la dizaine de scènes "fondatrices", distinctes et majeures qui composent le courant, du post-punk à la dark wave, en passant par le Batcave et le french goth.

Inutile de préciser que l’ouvrage est une somme et que les pulsions de découvertes (et donc d’achats !!!) sautent au détour de chaque page, le genre étant aussi nébuleux que charmeur, chaque artiste ici décrit étant dépeint avec un intérêt contagieux, au point de vouloir, une fois de plus, aller jusqu’au bout de cette très sérieuse initiation.
 

Parallèlement à cette curiosité précédemment évoquée, l’intérêt pour la presse rock est une des autres composantes de notre univers. Si vous lisez aujourd’hui HARD FORCE en tant que webzine, c’est que vous avez assurément été l’un des si nombreux lecteurs du magazine papier au cours des années 80 et 90, ou que, plus jeune que ses contemporains, vous en l’avez adopté après en avoir saisi l’héritage, le sérieux et l’épaisse dimension. Reste que HARD FORCE, comme de nombreuses autres parutions, a largement contribué à la diffusion et au rayonnement de notre culture et que sa lecture, mensuelle ou presque (ou bien encore sa (re)découverte a posteriori) revêtait des atours impérieux pour comprendre notre musique, ses codes, et son actualité. Comme tant de magazines spécialisés, la presse rock est souvent mue par la passion pour son objet, bien au-delà de ses impératifs économiques.

Si cette même presse rock rayonne principalement à l’international depuis l’Angleterre (des années 60 à nos jours, du NME et du Melody Maker à Mojo et Classic Rock en passant par Kerrang! et Uncut) et jadis les US (Creem, Rolling Stone, etc), la France n’a certainement pas à rougir de ses publications, même si elles restent circonscrites à nos frontières francophones. La qualité éditoriale de ses plus illustres exemples et les plumes décochées par nos meilleurs écrivains et journalistes sont des constantes dans ce paysage français, parfois complexé par sa propre production nationale, mais largement loué par des acteurs étrangers qui en ont saisi la profondeur, qu’ils soient managers ou artistes.

L’objet de UNE HISTOIRE DE LA PRESSE ROCK EN FRANCE, colossal, est donc d’offrir un tour d’horizon exhaustif de cette aventure parallèle, qui a généré autant de vocations que de passion et de plaisirs infinis chez les centaines de milliers de lecteurs depuis les premières heures si populaires de Salut les Copains dans les sixties jusqu’à l’audace de nos confrères de New Noise. Des élans de passionnés aux désillusions de l’industrie, des aventures humaines et fraternelles aux fiascos retentissants, des trahisons aux escroqueries, aux (rares) titres encore actifs en passant par les revues cultes. Innombrables revues cultes d’ailleurs quasi toutes disparues et qui génèrent encore tant de fantasmes et de souvenirs chez leurs lecteurs nostalgiques, qui en attendaient impatiemment les parutions chaque mois chez leur marchand de journaux habituel avant de les dévorer puis des les ranger comme des reliques.

Dans cet ouvrage PASSIONNANT, Grégory Vieau (journaliste indépendant pour Arte, Vice ou encore New Noise justement) retrace donc soixante années de presse rock française, depuis 1961 avec la naissance de Disco Revue, en passant justement en revue tous les titres majeurs et même mineurs qui ont un jour fleuri dans les kiosques de nos boulevards, attirant l’attention de l’amateur ou du novice avec leurs couvertures aguicheuses ou — confidentielles. Véritable enquête et livre d’histoire(s), UNE HISTOIRE DE LA PRESSE ROCK EN FRANCE repose sur de très nombreux témoignages de personnages clé de ces bientôt sept décennies d’aventures imprimées, l’auteur ayant directement été contacter tous ces rédacteurs en chef et autres journalistes souvent légendaires ayant participé à l’édifice de notre culture rock. Bien sûr certains monuments sont particulièrement disséqués (Rock & Folk, Best), et Grégory Vieau revient sur les différents chapitres majeurs de leur trajectoire tout au long de son récit évidemment agencé de manière chronologique. Et bien sûr en ce qui concerne notre bulle, la grande épopée de la presse metal est elle aussi très bien analysée, avec recul et discernement – et aucun mag des années 80, 90 et 2000 n’est oublié ou encore moins bâclé dans la narration, de Enfer Magazine à Metallian en passant de toute évidence par l’aventure HARD FORCE. Outre sa plume alerte, vive et surtout objective, le journaliste / historien / chroniqueur laisse également une grande place à la parole rapportée de tous ces protagonistes interviewés tout spécialement, ainsi que de copieux extraits d’articles éloquents, célèbres ou simplement caractéristiques de chaque titre.

Si un mag comme Rock & Folk avait déjà fait l’objet d’un ouvrage passionnant et détaillé, jamais l’ensemble de notre belle presse nationale dédiée n’avait été à ce point scrutée : rien n’a échappé à l’auteur – chiffres, anecdotes, indiscrétions, stratégies, et mille autres détails croustillants. Aucun risque d’indigestion : le livre est certes une étude particulièrement poussée et investie, mais elle passionnera autant les simples curieux et lecteurs occasionnels qui voudront comprendre les rouages d’une économie et d’un pan de notre culture, que ceux davantage impliqués dans son odyssée.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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