4 janvier 2022, 18:00

STEPPENWOLF

"Magic Carpet Ride - The Dunhill / ABC Years 1967-1971"

Album : Magic Carpet Ride - The Dunhill / ABC Years 1967-1971

Peut-être avez-vous déjà noté la circulation du meilleur meme de l’année écoulée sur les réseaux sociaux : une photo datant de 1969 du duo Peter Fonda / Dennis Hopper chevauchant leurs choppers tels des bikers destroy de l’ère déjà post-hippie de Easy Rider, que vient contraster une autre de 2021 présentant deux quidams citadins en pantacourt et pull au vent noué sur les épaules en train de monter leurs trottinettes.

Allégorie du gouffre entre deux générations, allégorie de ce qu’est devenue la masculinité, allégorie de l’évolution de nos valeurs, allégorie de ce que sont devenus nos modèles sociaux. 

Mais également allégorie de ce qu’est devenue la musique. 

Pour la vignette illustrant les deux flibustiers assoiffés de liberté de Easy Rider, un son s’imprime automatiquement dans notre cortex : le "Born To Be Wild" de STEPPENWOLF, hymne hard rock précurseur des années 70, tube intemporel du premier album des Américains, et bien sûr sommet de la bande originale du film révolutionnaire réalisé par le même Dennis Hopper, gourou halluciné qui grava sur pellicule cette odyssée sauvage à travers l’Ouest, véritable chemin initiatique vers cette liberté tant fantasmée dans le courant des années 60.

Entre cette bande originale (qui compte aussi l’autre tube du loup des steppes "The Pusher" ainsi que des extraits des BYRDS, de Jimi Hendrix ou des SEEDS) et ce qui constitue le paysage pop-rock des années 2000, s’est creusé non pas un gouffre, non pas un fossé, mais bel et bien des abîmes insondables. Si 1969 est STEPPENWOLF, 2021 est hélas Ed Sheeran.

En gros, oui, le rock comme musique vecteur d’une idéologie, d’une philosophie, d’un combat, d’un mode de vie, est mort. Et donc vive la musique d’aujourd’hui, vide, inoffensive, aseptisée, molle, insipide : soit la victoire du médiocre sur le substantiel. L’autre chantait « Où sont les femmes ? » – moi je me risquerai à fredonner « Où sont les hommes ».

Et ce n’est pas que la faute de bobos vegans bien-pensants écolos centristes : c’est notre faute à tous. On a baissé les armes et tous, tous à différents degrés, avons démonté nos barricades, repavé nos trottoirs, et à jamais éteint les mèches de nos molotovs. 

STEPPENWOLF, "Born To Be Wild", c’est bien plus qu’un simple étendard pour biker édenté au cerveau vrillé par l’acide qui s’apprête tout juste à commettre Altamont. Allons : « nés pour être sauvages ». Au pluriel, parce que l’on emploi ici le "we" : nous, nous la frange des rebelles. Où sont-ils ? Où sommes-nous ? Au pire disparus, au mieux retranchés dans quelques clubs ou quelques bars bruyants, à célébrer l’entre-soi, l’entre-nous. 

"Born To Be Wild" c’est aussi ce vers, deuxième ligne du troisième couplet, qui honore le "heavy metal thunder" : on ne sait encore pas départager qui de STEPPENWOLF, qui de l’écrivain beat junkie William Burroughs, a inventé cette métaphore. Métaphore absolument pas musicale, puisque antérieure à un BLACK SABBATH alors en train de vaguement naître dans des faubourgs crasseux et prolétaires d’une Angleterre post-victorienne que tout le monde ignore encore, mais métaphore du capharnaüm, du bruit, du bruit blanc – du bruit des moteurs, que l’on fait vrombir d’un coup de poignet, aussi vif que l’élan d’un power-chord sur une Gibson SG turgescente.

Et STEPPENWOLF, Allelujah, j’y viens enfin, ce n’est pas non plus que "Born To Be Wild". 

STEPPENWOLF, c’est aussi, et avant-tout, ce groupe de rock psychédélique californien fort bluesy, autant fort en orgue qu’en guitares, qui va tout naturellement tirer vers le proto hard entre les années 68 et 72, voire même 76 si l’on compte sa deuxième incarnation – et l’on ne parlera pas des mascarades ultérieures. Mené par le charismatique leader John Kay (d’origine germanique – ce qui expliquera peut-être l’admiration sans borne des Hell’s Angels casques à pointe pour son timbre de voix ?), STEPPENWOLF c’est au cours de son âge d’or pas moins de sept albums : SEPT opus en quatre ans, dont un live mythique et rageur, « Steppenwolf Live », qui s’inscrivent parmi les meilleures trouvailles d’un rock'n'roll alors en pleine mutation, le garage étant devenu psyché puis hard avec toujours plus de drogues (dures) et de révolutions technologico-soniques. STEPPENWOLF évolue alors auprès des BLUE CHEER, IRON BUTTERFLY, CACTUS, MC5 et autres dizaines de groupes sans foi ni loi qui viendront dans l’ombre durcir et conquérir l’underground, là où les CREAM et LED ZEPPELIN concrétisaient leur formule avec grand succès auprès des masses.   

A l’heure où l’on ne vient perpétuellement honorer et ressasser que ce qui a monstrueusement cartonné trente, quarante, ou cinquante ans plus tôt, STEPPENWOLF se fait bien timidement mettre en boîte : la première box-set commémorative est sortie en fin d’année, et tout le monde s’en branle. Comme une box BANG, GROUNDHOGS ou bien encore les innombrables rééditions de pépites inconnues des années 68-72 (tiens, justement les mêmes années que la première carrière de nos Américains...), on néglige totalement ce qui a pourtant été si important pour l’histoire du rock. Et ici, nous avons toujours défendu ces merveilleux outsiders, hélas bien peu loués dans l’ombre des ZEPPELIN, DEEP PURPLE et BLACK SABBATH, mais qui se sont vus réhabilités par milliers de disques (re)découverts lors de ces vingt dernières années grâce à de petits labels ultra respectueux des héritages ainsi confiés. Et au-delà des ressorties individuelles de tous les albums de ces groupes absolument inconnus d’un plus large public, il y a aussi ces séries de nuggets telles « Brown Acid » ou les mini coffrets triples CDs « I’m A Freak Baby ».

Et « Magic Carpet Ride – The Dunhill / ABC Years 1967-1971 » vient donc complètement couvrir cette ère magique : pas moins de huit CDs (HUIT !!!) dans un élégant petit coffret façon clam-box qui renferme les six albums studio (« Steppenwolf », « The Second », « At Your Birthday Party », « Monster », « Steppenwolf 7 », « For Ladies Only ») ainsi que le live, répliques des premiers pressages 33-tours absolument toutes augmentées d’inédits et de version singles en mono, ainsi que d’un disque en concert capté at The Matrix, club psychédélique de San Francisco en mai 1967, juste avant le boom du Summer of Love. Un véritable trésor que ces dizaines de morceaux qui captent l’air du temps et en chevauchent l’électricité (dans l’air) à une époque de bascule où les utopies communautaro-libertaires seront balayées d’un coup d’un seul par le cynisme et les désillusions des années 70, saupoudrées de drogues, de violence, de sexe cru et d’individualisme. 

Encore une fois c’est toujours les mêmes qu’on félicite : merci Esoteric Recordings, et donc merci mille fois à la maison mère Cherry Red Records, de nous fournir de tels produits de qualité, ainsi façonnés pour ne pas tomber dans l’oubli – et tout du moins cultiver le passé, si brillant, également rappelé à nos bonnes vieilles mémoires à l’aide d’un épais livret de cinquante pages, gorgé de notes et de memorabilia rare.

Le groupe dingue et mésestimé qui aura non pas célébré que le véhicule des gangs de motards, mais bien l’extase de la vie : « We can climb so high, I never wanna die »...

Boys and girls, on réfléchit et on médite là-dessus – rangez-moi ce stupide album de SABATON, et démarrez le moteur au son d’un bon "Fat Jack"... C’mon.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
Ses autres publications

1 commentaire

User
Christophe HUARD
le 06 janv. 2022 à 19:00
Belle chronique d'une époque, plus que d'une discographie. Par contre, je ne suis pas sûr que certains bobos vegans n'écoutent pas du "vrai rock'n'roll". Les préjugés sont partout, cher Jean-Charles ?
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