25 janvier 2022, 18:33

GHOST

Quand Tobias Forge s'inspire d'Aleister Crowley


Jeudi dernier, on découvrait la vidéo de "Call Me Little Sunshine", premier extrait officiel de « Impera », cinquième réalisation de GHOST qui sortira le 11 mars prochain. Un titre pour le moins surprenant ("Appelle-moi Petit Soleil")… emprunté à une réplique d'Aleister Crowley, célèbre occultiste britannique considéré comme le père du satanisme moderne. Et qui a également inspiré la pochette de l'album. Explications.
 

Un peu moins de quatre mois après "Hunter's Moon", présent sur la B.O. de Halloween Kills et que l'on retrouvera sur le successeur de « Prequelle », GHOST a sorti par surprise, le 20 janvier au matin, la vidéo de "Call Me Little Sunshine", premier extrait officiel de « Impera », son cinquième album. Si un certain nombre de fans n'ont pas grand-chose à faire des lyrics, d'autres – dont je fais partie – s'y intéressent tout particulièrement. Première réflexion : c'est quoi ce titre de chanson, "Appelle-moi Petit Soleil" ? Le (petit) soleil a rendez-vous avec la Lune (du chasseur) ? Charles Trenet, sors immédiatement du corps de Tobias Forge !

Il n'en est heureusement rien puisqu'en fait, la tête pensante de GHOST a emprunté la phrase à Edward Alexander "Aleister" Crowley. "Le" Mr. Crowley dont parle la chanson d'Ozzy Osbourne, un classique de son répertoire qui lui vaut encore, plus de quatre décennies après la sortie de son premier album solo, d'être considéré par certains comme un sataniste. Et celui-là même qui fascinait tellement Jimmy Page, guitariste de LED ZEPPELIN à l'époque adepte de magie noire, qu'il fit l'acquisition en 1971 de Boleskine House, un manoir écossais où, dit-on, Crowley aurait pratiqué des sacrifices humains et mis en pratique la "magie sexuelle" qui était l'un des fondements (si l'on peut dire) de la Thelema. Une doctrine ésotérique souvent considérée comme une religion ou une philosophie, inspirée de l'abbaye de Thélème de François Rabelais, dont la maxime était « Fays ce que voudras ». Deux de ses citations figuraient d'ailleurs sur la pochette de « Led Zeppelin III ».

Egalement poète, écrivain et franc-maçon, ce dernier, né en 1875, défraya la chronique à l'époque par sa vie hors normes basée sur le sexe, les drogues et le mysticisme. Il n'en fallait pas plus pour qu'il fascine nombre de groupes et de musiciens qui ont composé une ou plusieurs chansons en rapport avec sa vie ou ses doctrines, dont, pour ne citer qu'eux : IRON MAIDEN (“Revelations” et "Moonchild"), BEHEMOTH ("O Father, O Satan, O Sun"), MERCYFUL FATE ("Desecration Of Souls"), CELTIC FROST (“Os Abysmi Vel Daath” et l'ensemble de « Monotheist »), MINISTRY ("Golden Dawn"), SAMAEL ("Crown"), EXHORDER ("The Law")… Et même David Bowie ("Quicksand").

Particulièrement controversé et flamboyant, ce dernier s'était attribué plusieurs noms magiques, dont Mega Therion (d'où le titre du premier album culte de CELTIC FROST « To Mega Therion » sorti en 1985), qui signifie "la Grande Bête" en grec ; The Great Beast 666 figurant également dans la liste, aux côtés de The Most Wicked Man In The World (l'Homme le plus malfaisant du monde). Le second lui a été inspiré par sa mère qui le surnommait "The Beast" quand il était enfant en raison de sa propension à tenir des propos dérangeants. C'est après avoir lu Le Livre de la Révélation (ou Apocalypse) que Crowley y ajouta le nombre honni par les Chrétiens. Si l'origine du fameux 666 vous intéresse, vous pouvez retrouver ici les explications d'un eschatologue (ce n'est pas sale) invité par Bruce Dickinson, chanteur d'IRON MAIDEN, et son comparse le Dr. Dutton dans leur podcast Psycho Schizo Espresso.
 

En 1930, quand le tribunal demanda à Aleister Crowley pourquoi il se surnommait The Great Beast 666, il expliqua : « Cela signifie seulement soleil. 666 est le nombre du soleil. Vous pouvez m’appeler “Petit Soleil” (You can call me Little Sunshine) ».


Pour Aleister Crowley, adepte de Qabalistic Gematria, également appelée mysticisme numérique, ce chiffre est associé au soleil. C'est ainsi qu'à l'occasion de l'un des procès qu'il intenta dans les années 1930 à diverses personnes pour tenter de se renflouer financièrement (et qu'il perdit à chaque fois en raison de sa "mauvaise" réputation, un doux euphémisme), quand le tribunal lui demanda pourquoi il se surnommait The Great Beast 666, il expliqua : « Cela signifie seulement soleil. 666 est le nombre du soleil. Vous pouvez m’appeler "Petit Soleil" (You can call me Little Sunshine) ».
 


Alors, que vient donc faire là Méphistophélès, un des sept princes de l'Enfer (dont certains figurent dans l'invocation et le pont de "Year Zero" sur « Infestissumam »), qui s'exprime dans "Call Me Little Sunshine" (« Call me Little Sunshine/ Call me Mephistopheles ») et qui apparaît dans la vidéo ? D'autant plus que l'étymologie grecque de son nom signifie « celui qui n'aime pas le soleil » ? Peut-être Tobias Forge a-t-il décidé de jouer sur le caractère du démon, trompeur par essence, qui incite sa proie à l'invoquer pour la faire succomber à la tentation en lui promettant qu'elle ne sera « plus jamais seule », et qu'il sera toujours “joignable” – même quand elle sera morte – tout en se présentant sous un jour moins effrayant ? Car ce serviteur du Diable est là pour corrompre l'homme (et la femme) et collecter les âmes pour son seigneur et maître. Et Tobias Forge, pour qui tout ça est un jeu, pour brouiller les pistes.

Rappelons que dans le mythe de Faust, c'est Méphistophélès qui, douze années durant, va servir le savant après que ce dernier, ivre de gloire, a conclu un pacte avec Satan. Un concept repris sur la fameuse "face du Diable" sur « Trust IV » (1983) de TRUST, à la différence près que le damné a conclu un pacte sur dix années seulement.

Côté images, le clip fantasmagorique est signé Matt Mahurin. Un réalisateur à qui l'ont doit de très nombreuses vidéos, dont "The Unforgiven" et "The Unforgiven II" de METALLICA, mais qui a également travaillé avec ALICE IN CHAINS, RUSH, SOUNDGARDEN et Marilyn Manson sur "We Are Chaos", avec lequel "Call Me Litltle Sunshine" partage une certaine esthétique. 
 

Ruby Modine, l'actrice qui apparaît dans le clip de "Call Me Little Sunshine", a joué dans Satanic Panic. Une comédie d'horreur dont l'humour plaît particulièrement à Tobias Forge.
 

Clin d'œil aux "influences" du chanteur de GHOST en matière de délires, c'est Ruby Modine, actrice, danseuse et chanteuse, vue dans la série Shameless, mais surtout dans la comédie d'horreur culte Satanic Panic (2019) – dans lequel une livreuse de pizzas tombe sur un culte satanique à la recherche d'une vierge à sacrifier afin de pouvoir invoquer Belzébuth – qui tient ici le rôle de la victime. Ce qui résume plutôt bien le tournant pris par les Suédois depuis quelques années, le côté occulte et vaguement dérangeant des débuts ayant de plus en plus cédé le pas au second degré. Qui a ses adeptes mais aussi ses détracteurs. Mais ça, Tobias, seul maître à bord avant Dieu de son vaisseau (fantôme) n'est a cure.

Dans le clip, qui peut être interprété de différentes façons, l'actrice, assise dans un étrange wagon qui monte sur un rail (vers le Paradis ?) va croiser la route de la créature maléfique. Dont on laisse à chacune et chacun le soin d'apprécier – ou pas – le visage étrange et grotesque aux traits perpétuellement changeants (dans "Le Pacte", Bernie Bonvoisin parlait de « visage aux traits changeants sataniques »). On remarquera que quand la jeune femme fume de l'opium, la pipe sculptée a les traits du démon et rappelle quelque peu les masques des Nameless Ghouls tels qu'on les connaissait. Passé de rigueur, semble-t-il, les deux qui apparaissent au côtés de Papa Emeritus IV sur la photo promo semblant désormais arborer un étrange masque steampunk aux yeux protubérants… 

On notera au passage que Crowley était lui même un grand fumeur d'opium, mais aussi un cocaïnomane et un buveur d'absinthe (l'alcool qui rend fou était d'ailleurs le sujet de “Spirit” qui ouvrait « Meliora ») qu'il a célébrés dans de nombreux textes à la gloire des paradis artificiels, réunis dans le recueil Absinthe et cocaïne publié en 2018. Dont la photo qui orne la couverture a justement inspiré la pochette de « Impera », la position des bras de l'Anti-Pape étant calquée sur la pose "N.O.X." de Crowley – « un état mystique qui représente le stade de la mort de l'ego dans le processus de réalisation spirituelle » selon les propres termes de l'occultiste. Je pose ça là, vous en faites ce que vous voulez. On retrouve également sur sa mitre une déclinaison "ghostifiée" de l'Argentum Astrum, ou Croix d'argent, un ordre magique créé par Crowley en 1907.

Ce n'est pas la première fois que l'artwork d'une pochette de GHOST “pastiche” une image ou une affiche connue (celle du téléfilm Salem's Lot pour « Opus Eponymous » ou encore de Nosferatu pour l'EP « If You Have Ghost »). On peut même se demander si la partie décharnée gauche du visage qui orne la pochette de « Impera » n'est pas un clin d'œil à Eddie, la mascotte malmenée d'IRON MAIDEN, Papa Emeritus IV ayant brièvement rejoint l'univers du jeu The Legacy Of The Beast… 

Alors, Tobias Forge/Papa Emeritus (II, III, IV et ex-Cardinal Copia) est-il un sataniste convaincu ? Non. « J'ai grandi avec le Diable, admettait-il en 2020 dans une interview avec Metal Hammer. Je m'identifie profondément à la pop culture relative à Satan, dans la musique que j'écoutais, les films que je regardais. C'était la figure paternelle parfaite pour un ado en colère qui voulait faire sauter le monde », une référence à l'absence de son père parti refaire sa vie et qu'il voyait un week-end sur deux quand il était enfant et adolescent. Un an plus tôt, le chanteur reconnaissait avoir lu de nombreux livres ésotériques, dont certains de Crowley, mais à titre indicatif plus qu'autre chose. Principalement pour nourrir l'image de GHOST plus que par conviction personnelle, son approche demeurant plus proche de Satanic Panic (tiens, tiens !) que de Rosemary's Baby, pour simplifier.

On ignore pour l'instant comment Forge, qui a "ressuscité" Papa Emeritus qui apparaît dans sa quatrième incarnation, a développé exactement le concept de la chute des empires, le sujet principal de « Impera », dont vous pouvez retrouver plus de détails ici, mais on sera fixé dès sa sortie, le 11 mars prochain. A titre indicatif, sachez que Fredrick Akesson d'OPETH a enregistré des parties de guitares sur l'album. Et que “Call Me Little Sunshine” totalise 50 secondes de plus dans sa version album par rapport à la version du clip.

Si les explications de textes vous intéressent, vous pouvez retrouver celles consacrées à « Opus Eponymous », carte de visite de GHOST, en suivant ce lien.
 


© Mikael Eriksson - DR

Blogger : Laurence Faure
Au sujet de l'auteur
Laurence Faure
Le hard rock, Laurence est tombée dedans il y a déjà pas mal d'années. Mais partant du principe que «Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux» et qu'elle écoute toujours la musique sur 11, elle pense être la preuve vivante que le metal à haute dose est une véritable fontaine de jouvence. Ou alors elle est sourde, mais laissez-la rêver… Après avoir “religieusement” lu la presse française de la grande époque, Laurence rejoint Hard Rock Magazine en tant que journaliste et secrétaire de rédaction, avant d'en devenir brièvement rédac' chef. Débarquée et résolue à changer de milieu, LF œuvre désormais dans la presse spécialisée (sports mécaniques), mais comme il n'y a vraiment que le metal qui fait battre son petit cœur, quand HARD FORCE lui a proposé de rejoindre le team fin 2013, elle est arrivée “fast as a shark”.
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