15 février 2022, 16:10

HANGMAN'S CHAIR

Interview Mehdi et Julien


PLAISIR SOLITAIRE

D’aucuns parlent ici de metal : étrangement, le terme devient employé à tout-va dès que les guitares sont épaisses, que les cheveux sont longs, que les tattoos noircissent les dermes, et que ça joue dans des festivals d’énervés. Pour qui est curieux et un brin connaisseur, HANGMAN'S CHAIR existe tout de même depuis 2005 et hante les deux côtés du périphérique, une Doc’ dans sa Banlieue Triste, une autre boots dans un Paris fantasmé des années 20 - 1920 s’il vous plaît. Sur une base à la fois musicale et éthique fermement ancrée dans le hardcore, forcément urbain, ces types ô pas vraiment positifs chantaient leur blues épais à travers le bois du bayou, au coeur de leurs premiers albums et EPs, parfois partagés avec d’autres formations au moins aussi drôles. Mais au-delà du doom, du sludge ou au pire de ce stoner fangeux dont ils ne se réclameront jamais, les mecs de HANGMAN'S CHAIR osent l’expérimentation, et sous la confiance de leur producteur bellevillois attitré, sortent de leur zone d’inconfort pour pousser les murs du son au-delà des limites - les leurs, les vôtres. 
Il n’y aura de la place que pour les téméraires : en 2022, le groupe sort enfin son sixième opus, « A Loner », après une heureuse signature à l’international chez Nuclear Blast.
Mieux qu’un long discours, mieux qu’une encore plus looooongue chronique, voici un entretien avec Mehdi (batterie) et Julien (guitare), soit l’historique cerveau bicéphale qui tenait sa cour sur l’échafaud d’un célèbre bar parisien de Bastille.


L’album est prêt depuis un sacré bail, et l’annonce de sa sortie ne s’est calée que pour février 2022 : l’attente doit être insupportable pour vous - mais de cette malédiction, de cette frustration, ne doit-on pas retenir que du positif : le buzz ne fait que grandir depuis des mois et du coup « A Loner » est particulièrement attendu. Ca c’est plutôt réjouissant !
Julien : Ca fait un an qu’on l’a enregistré. C’était en décembre 2020, janvier 2021 - et il devait sortir normalement en octobre, mais cela a été repoussé à cause des concerts qui n’ont pas pu avoir lieu. Le label a donc préféré le sortir en février, précédé de trois singles, donc il y a moins de frustration… Et comme la volonté de Nuclear Blast, c’est surtout notre développement à l’étranger pour des gens qui ne nous connaissent pas, ces singles ont été une bonne chose avant que l’album arrive en février. 

Non seulement avez-vous pu développer trois clips dont celui de « Cold & Distant » avec Béatrice Dalle, mais vous avez participé à la bande originale du podcast de Joey Starr, le Hellfest vous consacre une tête d’affiche et vous vous retrouvez dans l’émission Culture Box sur France 4 - auxquels on ajoute que ce sixième album sort chez Nuclear Blast, LE label metal international indé. Ça fait beaucoup pour un groupe estampillé « metal » ou vulgarisé comme tel : est-ce qu’il y a selon vous un effet vertueux post-GOJIRA où l’on commence à enfin donner sa chance à des groupes extrêmes à la personnalité singulière ?
Julien : Forcément, cela ouvre des portes, des groupes comme ça dans les médias… Mais même avant cela, nous avions déjà commencé : nous avions fait l’Album de la Semaine sur Canal+, étions passés sur FIP. Nous avons déjà un petit cercle vertueux, car on est toujours dans l’action, on a toujours quelque chose sur le feu. Telle chose va amener telle autre. Cette espèce de cercle vertueux nous réussit bien.

Est-ce que vous avez l’impression que le monde extérieur s’ouvre à d’autres types de musiques, moins généralistes ?
Julien : Ben, j’espère surtout pour les gens. Qu'ils aient cette curiosité-là ! 

On l'espère surtout pour vous !
Mehdi : On nous donne surtout les moyens de le faire et c'est cela qui est super. Nous sommes vraiment très bien entourés. Pas mal de professionnels croient déjà en nous, avec le temps, et nous sommes vraiment aidés. Les gens ont confiance, croient en notre musique, car nous avons la même ligne directrice depuis pas mal d’albums. Mais là, plus que jamais, être entourés de la sorte, cela nous permet vraiment de pouvoir nous concentrer sur ce qu’on sait faire, à savoir écrire des chansons et rester fidèles à ce qu’on est, sincères. Je pense que ça se ressent dans notre musique et même la presse généraliste, France 4 ou Radio France s’intéresse à des musiques un peu typées plus extrêmes, un peu plus nichées, un peu plus alternative. Nous, on prend, on adore ça.
Julien : Et c’est une très bonne chose pour la culture.
 

On recolle surtout à nos amours d’enfance, de notre génération, celle des années 80, des atmosphères très froides.
On cultive cela maintenant de plus en plus et je pense qu’on a trouvé une sorte d’équilibre et de contraste.


On en parlait justement avant de démarrer cette interview, on vous suit depuis une bonne quinzaine d’années. Je suis retombé sur quelques chroniques de l’époque que j’avais rédigées. A ce moment-là, je soulignais les influences propres au sludge et au doom de vos albums « A Lament For The Addicts » et « Leaving Paris » : du CROWBAR, du SAINT VITUS, voire du DOWN ou ALICE IN CHAINS par certains aspects, ainsi que TROUBLE, avec l’arrivée de la voix claire et ultra-mélodique de Cédric. Aujourd’hui, le chroniqueur moyen va être vachement emmerdé côté références : en 2022, HANGMAN'S CHAIR ne ressemble à rien d’autre qu’à HANGMAN'S CHAIR, assurément un aboutissement pour un groupe aussi original qui cherche sa propre identité - et qui y parvient donc…
Mehdi : On ne peut être que satisfaits. C’est que des compliments, ce que tu nous dis. On a exploré énormément… Ça ne viendrait pas de nous, mais que les médias nous rapprochent de tels groupes ou de telles scènes, c’est logique, c’est normal pour les références, etc… Je pense que petit à petit, l’idée et la base d’un groupe, quel qu'il soit, c’est de trouver son identité… Je pense que pour nous, c’est vraiment survenu avec l’album « Hope // Dope // Rope », le troisième où l’on a commencé à réellement se trouver…
Julien : … et justement à se détacher de tous ces trucs stoner, sludge, qui nous collent un peu à la peau…
Mehdi : Et là, plus ça va dans notre expérimentation et dans notre exploration musicale, plus on reconnaît la patte HANGMAN'S CHAIR avec cet accordage très bas et cette lourdeur, sûrement, qu’on maintient tout le long de nos albums. Ce n’est peut-être d'ailleurs que ça qu’on garde comme lien avec cette scène doom, mais en tout cas la couleur s’est vachement détachée. Et puis, on recolle surtout à nos amours d’enfance, de notre génération, celle des années 80, des atmosphères très froides. On cultive cela maintenant de plus en plus et je pense qu’on a trouvé une sorte d’équilibre et de contraste. C’est très important pour nous, c’est comme ça qu’on aime la musique et qu’on aime l’écouter, avec des grooves, de savoir contraster et de jouer avec les émotions - et je crois qu’on y arrive maintenant.

On n'est donc pas à l’abri qu’il y ait désormais des groupes qui fassent du sous-HANGMAN'S CHAIR… 
Mehdi : (rires) Je ne sais pas du tout… Mais sinon, c’est super. Ça marche comme ça : tout le monde s’influence ! Il y a quelque chose de très cyclique dans tout, dans l’Art en général. De toute façon, on a besoin de ça, on se nourrit, on cherche nos repères, on est toujours en quête de ça, dans tout ce qu’on fait. Nous, on l’est encore : on écoute toujours des albums de notre adolescence...
Julien : … on redécouvre des groupes qu’on avait ratés dans les années 90 ou 80…
Mehdi : C’est ça, ça fait partie de l’essence même. On n’invente rien, je pense, mais le plus important, c’est de se l’apprivoiser…
Julien : Nos influences sont bien mieux digérées...
 


En soi, HANGMAN'S CHAIR n’a certainement pas changé, encore moins vendu son âme, mais bien évolué. Les mélodies et les harmonies vocales sont peut-être encore plus exigeantes, et il y a assurément un coup de rétro dans les années 80 niveau cold wave avec cette réverb, ce son de guitare, cette prod autour de la batterie, crépusculaire, super forte. Comment est survenue chez vous cette touche, non pas gothique, mais bien cold wave ?
Julien : Ca a commencé à partir de « Banlieue Triste », où nous avons placé quelques passages un peu plus… par exemple, pour la guitare, je voulais qu’elle sonne parfois comme une espèce de synthé. Et ça faisait cet effet-là, tu vois, chorus/révérb. Cet effet qui était devenu un peu ringard à une époque, très daté fin des années 80. Et là, avec « A Loner », on a encore plus assumé cet aspect-là. On a expérimenté et approfondi. Tous ces petits passages sur « Banlieue Triste » on a réussi à les…
Mehdi : ...à aller jusqu'au bout des choses sur "A Loner". Et c’est marrant, parce que techniquement, quand on a ramené nos morceaux - on compose en général chacun de son côté -, une espèce de ligne directrice se dégageait. On voulait tous clairement alléger les choses, aller à l’essentiel, avec des formats peut-être - et ce n’est pas péjoratif de dire ça -, plus accessibles, dans le bon sens du terme, en sortant de notre zone de confort. Avec ce côté très doomy et justement arriver à laisser la place, à mettre de l’air dans les morceaux. Je crois qu’on est vraiment très satisfaits du résultat. Tout le travail sur les effets a été très important pour nous, nous a amené ces morceaux-là, et cette ambiance sur l’album qui est quand même pesante et très froide. C’est ce qu’on a particulièrement aimé faire sur cet album.

Ces années 80 ont pendant longtemps été complètement ringardisées, pour reprendre votre terme - à part quelques groupes gothiques - mais cela a été remis au goût du jour avec des sons plus modernes, notamment à travers la synth wave. Vous avez collaboré avec PERTURBATOR : cela a certainement dû peser dans la balance…
Julien : On les avait déjà ces influences…
Mehdi : Et la rencontre avec James a été encore plus facile : on écoutait énormément de choses, on a beaucoup de goûts en commun. On n'a pas le même parcours, parce que lui, c’est un petit génie avec son ordinateur. Il compose comme ça et il a une énorme culture musicale par-dessus - justement ce qui concerne les années 80. Il a réussi à remettre au goût du jour tout cela dans une scène plutôt electro. Nous, nous avons surtout été attirés depuis quelques années et on remange des choses qui ont été effectivement un peu ringardes à l’époque, mais qui nous plaisent énormément aujourd’hui. On a réussi à apprécier énormément de groupes de cette époque, très post-punk, très british 80s, des groupes comme THE SOUND qui faisaient de belles chansons avec des effets. Ça nous a vraiment parlé et ce sont devenus des influences sur cet album-là.
Julien : Vu qu’on est nés en 1980, toutes ces références des années 80 et 90 nous ont marqués inconsciemment. Pour moi, un son de guitare, c’est du chorus, tu vois ? Il faut du chorus dedans, et j'en ai depuis toujours.
Mehdi : C’est vrai qu’on a toujours eu ce côté chorus… Là, on a juste poussé les choses encore plus loin et, du coup, on a structuré nos morceaux de telle manière à pouvoir obtenir ce son très froid qui nous attire tant.

Plus encore que sur les précédents opus, entre cette production, cette ampleur, cette puissance émotionnelle, cette mélancolie et ces passages plus atmosphériques, HANGMAN'S CHAIR inspire la bande originale d’un film, que chacun pourra illustrer de ses propres images et séquences….. 
Mehdi : C’est un compliment. Beaucoup de gens nous ont dit que qu’habiller des images avec notre musique s'y prêterait énormément et ce serait un exercice magnifique à faire. On écrit nos morceaux comme ça : une sorte de storytelling album, avec énormément d’ambiances, même entre chaque morceau quand on assemble un album. On cherche à créer une entité. On essaye d’avoir une atmosphère de A à Z, un album qui s’écoute en entier. C’est une approche similaire au cinéma. C’est super qu'HANGMAN'S CHAIR inspire un univers cinématique…
Julien : On a vu que cela a marché, par exemple, sur le clip de « A Loner », qui est un peu documentaire, où notre musique pouvait habiller des images comme celles-ci. Il y aussi le podcast qu’on a fait pour « Gang Stories » où la musique fonctionne bien, même avec une autre voix dessus, et pas qu'un morceau en tant que tel.

A la vue des photos promo prises à Belleville, en-dehors de votre Essonne, on dirait que votre fief c’est Belleville : ça concorde bien avec l’univers prolo, dangereux, canaille, que vous avez déjà dépeint dans des albums précédents, mais c’est aussi là que se situent les studios Sainte Marthe de Francis Caste. J’imagine que vous avez de nouveau fait appel à lui pour obtenir un tel mur du son…
Mehdi : Oui, on a travaillé à nouveau avec Francis Caste. C’est notre QG, c’est notre cinquième homme. Je pense qu’on a besoin d’aller chez lui parce qu’on se connait, parce qu’il a évolué lui-même en tant que producteur avec nous et nous on a grandi avec lui. On se connait parfaitement, donc je pense que c’est une manière de se réconforter, d'être aux Studios Ste Marthe à Belleville…
Julien : Tu as parlé de mur du son mais justement, pour cet album-là, on voulait moins un mur du son.
Mehdi : Ouais, on a particulièrement voulu l’alléger…
Julien : Comme disait Mehdi moins de basse, moins de grave qu’on pouvait avoir sur « Banlieue Triste » ou « This Is Not… ». Là, avec ce son-là, on voulait quelque chose d’un peu plus direct, de plus harsh, de plus bright…
Mehdi : Plus bright, plus frontal…
Julien : …et moins basé justement sur le côté trop massif du son pour qu’en fait le riff et le songwriting soient vraiment mis en valeur.

Quand je parlais de « mur du son », je voulais surtout parler de son ampleur, qui est colossale…
Julien : A un moment, dans notre parcours musical, on recherchait un mur du son, très gros, mais qui cache un peu le…
Mehdi : …qui est flatteur, en fait… Et d’avoir justement essayé d’aller à l’encontre de tout ça, de chercher à alléger le plus possible pour toucher l’essentiel et d’ouvrir un peu notre son, ça a donné autre chose. Une autre couleur, une autre texture. C’est quelque chose qu’on a réussi à faire avec Francis Caste parce qu'il comprend et arrive à nous suivre dans nos idées de base...
 


Est-ce qu’il y a eu la tentation, venant du label ou de vous-mêmes, d’aller vous faire produire ailleurs ? J'entends par là, à l’étranger, par un plus gros nom « international » ?
Julien : Nous avons eu toute la liberté artistique.
Mehdi : Ils nous ont laissé carte blanche là-dessus et ça, je trouve ça très bien de leur part. Ils nous ont compris, sont venus à nous aussi parce qu’ils étaient attirés par ce côté-là.
Julien : Nous sommes indépendants sur plein d'aspects et on sait où on veut aller. Et on n'a pas forcément besoin de conseils là-dessus, quoi…
Mehdi : Ils nous ont fait confiance à 100%. Là-dessus, on les a remerciés, c’est top. Ce qu’ils nous ont permis, c’est de faire ce qu’on aime... mais avec un peu plus de moyens.

On a l’impression, à plus d'un titre, que le modèle de HANGMAN'S CHAIR, tant artistique que dans l’éthique et la démarche globale, ressemble fortement à TYPE O NEGATIVE… sans toutefois jamais en être une pâle copie… « A Loner » peut franchement se ranger sans rougir auprès d’un « October’s Rust » justement… Ce son de basse, la lourdeur, l’aspect accessible des mélodies, les atmosphères éthérées, la touche 80s, les choeurs suaves, les contrastes entre les morceaux plus directs et donc ces fresques musicales à tiroir…Est-ce que c’est quelque chose qui était dans votre ligne de mire ?
Mehdi : « October’s Rust », c’est une référence quoi ! TYPE O NEGATIVE, sa discographie, c’est une référence pour nous, c’est sûr. On s’est toujours sentis très proches de leur univers…
Julien : Parce qu’en plus, ils viennent du hardcore, avec CARNIVORE, le Brooklyn hardcore… ils ont collaboré avec AGNOSTIC FRONT. Alors, ça nous parle, parce que c’est une partie de notre jeunesse. Oui, on a toujours fait le parallèle avec eux… Ils viennent d’une grande ville, nous aussi…

Je voulais justement en venir là : comme Peter Steele, qui a démarré sa carrière avec Carnivore, vous deux Julien et Mehdi, vous venez donc du hardcore. Le hardcore, comme le hip hop, est un genre musical strictement urbain, densément urbain même : qu’est-ce qui vous a poussé à adopter ce genre qui est aussi un style de vie ? Est-ce que vous avez fait un parallèle entre le Brooklyn ou l’East Village de New York, qui peut être complètement fantasmé quand on est adolescent, et votre propre vie de « banlieusards », avec tous les codes que cela implique ? 
Julien : Déjà, c’est ce qu’on écoutait quand on était gamins, adolescents, donc ça fait partie de nous. Le New York hardcore, on s’est tout de suite sentis affiliés à ça, avec ce côté ville. Après, nous, c’est pas New York, hein !
Mehdi : C’est vrai qu’on s’est sentis très proches de cette scène, et dès tout petits, on nous a mis dedans. Il y a ce côté DIY, ce côté famille, ce côté fais-tout-toi-même, c’est vraiment très important. On s’est construit comme ça et ça a été notre école de la vie. On a gardé beaucoup de choses de cela et on se sent toujours comme des petits hardcoreux. Comme un groupe de hardcore qui joue avec nos notes, avec nos âmes, avec nos sensibilités - on se sent très très très proches de cette scène, c’est clair...
 

On se connait par coeur, on compose ensemble, il y a une alchimie, il y a quelque chose qui se passe depuis qu’on est gamins. Et puis, à côté de tout ça, il y a tout ce background, l’héritage de la scène hardcore, de ce qu’on a appris.


De cette éthique du hardcore, do it yourself, respect et intégrité avant tout, qu’est-ce que vous avez conservé pour pouvoir aller de l’avant et surtout la conjuguer avec une certaine ambition ? « Ambition » qui n’est pas un gros mot, hein !
Mehdi : Non non non, pas du tout. Ce qu’il en sort à chaque fois et ce, en toute modestie, c’est l’intégrité et puis la sincérité de bons morceaux. Et puis, de ce qu’on est nous, humainement. Ceux qui nous connaissent savent qu’on n'a pas bougé. On reste droits dans nos bottes. C’est ça qu’on a gardé : la sincérité. Et je pense qu'on peut retenir aussi la longévité du groupe : on se connait depuis qu’on est gamins. On a appris à jouer de la musique ensemble. On se connait par coeur, on compose ensemble, il y a une alchimie, il y a quelque chose qui se passe depuis qu’on est gamins. Et puis, à côté de tout ça, il y a tout ce background, l’héritage de la scène hardcore, de ce qu’on a appris. Et depuis, on essaie de faire cela avec nos âmes, mais ça c’est la sincérité.
Julien : Ouais parce que, le côté unité et famille de la scène, on a très vite compris que ça n’existait pas. Par contre, entre nous, c'est bien réel…

En France, le succès des uns a souvent entraîné la médisance des autres…
Julien : On sait que ça va arriver ! (rires)

…la langue de pu** est un sport national chez nous. Est-ce que ça commence déjà à fleurir autour de vous ? Ceux qui, par exemple, sans avoir forcément écouté la moindre note de « A Loner », pourraient vous taxer de vendus ? 
Julien : Non, franchement, ça reste très léger. Et puis, surtout, c’est sur Internet, hein !
Mehdi : Personne n’ose rien nous dire de toute façon (rires). Non, honnêtement, ça nous dépasse. Moi, je ne suis pas du tout dans les réseaux sociaux, donc je ne ressens pas tout ça. Maintenant, du premier album à aujourd'hui, on a perdu des gens en route. ; des gens qui nous suivaient parce qu’on était plutôt doom-stoner-sludge. Eh bien, ils nous ont lâchés. Maintenant, on ne les intéresse plus... Moi, je suis content de l’évolution du groupe depuis « Hope // Dope // Rope » où l’on a pris notre virage. Avec « Banlieue Triste », on n'a jamais autant joué, jamais, ni autant rencontré de médias. Avec cet album-là, honnêtement, je ne ressens pas ces critiques.

Votre univers, aussi cruel que réaliste, aussi brut qu’onirique, tourne autour de plusieurs thématiques, réparties de chaque côté du périph…. D’un côté Paris, avec ses mystères, ses légendes, ses histoires, ses mythes ; et de l’autre la banlieue, avec sa réalité crue, sa laideur, son ennui, sa violence, son esthétique moche et triste, etc…. Et là-dedans, il y a ces histoires de gangs, de fantasmes d’un autre siècle, de drogues, d’addictions, de dépression, de suicides, de condamnations, de mort, d’exécutions, de crimes, de spleen… 
Mehdi : Pu**in, on va déprimer ! (rires)

...on passe du fantasme à un quotidien vécu, et le tout est incroyablement cathartique, j’imagine pour vous, mais également pour l’auditeur…
Julien : C’est tout ce qu’on a à raconter. C’est de la vérité… Dans « Banlieue Triste », on a commencé à évoquer des choses qui nous étaient personnelles. Encore plus sur « A Loner ». Surtout sur la solitude, la dépression - à quoi nous avons dû faire face, il y a quelque temps. Et voilà, mais ça fait partie de nos vies…
Mehdi : C’est ça, derrière toute l’esthétique, il y a le groupe parisien. On a cultivé toute cette imagerie du vieux Paris utilisée sur deux-trois albums. Avec « Banlieue Triste », on a raconté la banlieue des années 80, la banlieue noire, la banlieue rouge - les années 80 et toute l’esthétique qui va avec, ces contrastes de cette vie qui à l’époque semblait en noir et blanc - c’est ça qu’on voulu retranscrire à ce moment-là. Pour « A Loner » on est allé plus loin : on a raconté des choses qui nous tenaient à coeur et qu’on a vécues ces dernières années. On s’est réfugié derrière cette solitude...
Julien : C’est plus introspectif.

Je vois votre interprétation du « doom » tout simplement comme du blues… Du blues urbain, qui, comme sa vocation première, vient servir de baume, en racontant les pires horreurs pour mieux les expurger et ne pas les laisser nous/vous bouffer de l’intérieur… 
Mehdi : Exactement… En tout cas, c’est ce qu’on essaie de faire. On essaie de le faire bien, et c’est ce qu’on se dit toujours à propos d'HANGMAN'S CHAIR : heureusement que le groupe existe dans nos vies pour pouvoir exprimer nos maux. On a besoin de cela pour extérioriser… Le reste du temps, on n'extériorise pas des masses. On ne parle pas de nos problèmes entre nous. On laisse la musique le faire. A titre personnel, ça nous fait du bien et je pense qu’avec un album comme « A Loner », après tout ce qui s’est passé, les confinements, l'isolement des gens, ça les a mis un peu face à eux-mêmes à cet instant-là. Ils peuvent donc aussi se retrouver dans nos textes, bien que nous parlions de choses très personnelles qui nous soient arrivées. Je pense qu’il y a un lien, tout le monde peut se retrouver là-dedans. C’est intéressant en tout cas, parce qu’on l’utilise comme une psychanalyse, une espèce de refuge qui nous permet de nous exprimer. En tout cas, de sortir les pires choses qui soient en nous en musique, en notes, au lieu de les sortir autrement, ça c’est certain…

Je faisais un lien avec un titre qu’il y avait sur le dernier EP « Bus de Nuit », « Sleeping On The Ground » - que j’imaginais être un SDF, un homme seul, le laissé pour compte de la société : je le rattachais à la fois au titre du dernier album, mais aussi à l’image de ce vieux monsieur qui est tout seul sur la pochette - et puis ce titre en néon bleu, comme une enseigne d’hôtel, très années 80, une forme de refuge…. 
Mehdi : Tout à fait, tout à fait…

...où on l’accueille malgré lui : l’album aurait pu s’appeler « Loners » au pluriel, tant ils sont nombreux, alors qu’ils peuplent nos villes sans qu’on veuille les voir… Mais en fait, ça reste pour vous « A Loner » au singulier. Qui est-il ce loner ? 
Julien : En fait, on avait songé un moment choisir « For The Loners » comme titre, puis « Loners », et même au tout départ on voulait l’appeler « L’album du Solitaire ».
Mehdi : On voulait l’appeler en français au début, ouais…
Julien : …mais finalement on a choisi « A Loner ». Un peu comme un titre de livre, tu vois, un roman qui s’appellerait « A Loner ». C’est parti de là.
Mehdi : Ça raconte l’histoire d’un homme seul ou qui se réfugie dans la solitude, mais c’est aussi pour que ce soit vraiment plus large, pour que les gens ne se retrouvent pas forcément dans… ça permet de se chercher, que chacun trouve son repère là-dedans. Ce ne sont que des histoires personnelles, en tout cas, dans cet album, mais les gens peuvent se retrouver dedans.

Julien et Mehdi, vous êtes les deux artisans historiques de HANGMAN'S CHAIR, et de facto ceux qui êtes au front pour les interviews et la promo.
Julien : Les deux dictateurs ! (rires ) Les deux dictateurs !

...êtes-vous aussi les auteurs des textes ? C'est collectif ou bien laissez-vous à Cédric, qui les habite si profondément, le soin de les écrire ? 
Julien : Pour le premier album, ce n’est pas lui qui chantait, mais à partir de « Leaving Paris » il a commencé à s’occuper des textes, parce qu’on trouvait qu’il chantait beaucoup mieux ce qu'il écrivait. A chaque fois, on rajoutait notre petit grain de sel, on pouvait changer quelques mots pour que ça rentre dans notre concept, on va dire. Mais pour « A Loner », j’ai écrit pas mal de textes dessus - parce que j’avais des choses à dire à ce moment-là.

J’ai une dernière question, cruciale : la France, premier pays consommateur d’anxiolytiques, pays qui prend peur à la moindre news au journal télévisé, pays qui bouffe littéralement de l’anxiété - la France a-t-elle vraiment besoin d’un groupe comme HANGMAN'S CHAIR ? 
Julien : (rires) En tout cas nous on en a besoin !
Mehdi : C’est ça ! Pour pas péter un plomb, c’est certain. Tout le monde trouve refuge dans quelque chose : si l’art peut permettre ça, notre album comme un autre, ou un groupe comme le nôtre peut permettre à des gens de s'y retrouver, juste à travers quelques chansons, tant mieux…
Julien : Moi j’aime écouter de la musique triste, par exemple…
Mehdi : Pour se sentir mieux, c’est clair…
Julien : Donc, pour répondre à ta question, je pense que oui, on a notre place !
 

 

Blogger : Jean-Charles Desgroux
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Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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