17 février 2022, 19:00

SECRET PLACE - MONTPELLIER

Interview François-Xavier "Fyfy" Pinchon

Née "Secret Place" au tout début de l’an 2000, la salle montpelliéraine doit son nom à une chanson de Jerry Lee Lewis et Linda Gail Lewis… mais pas seulement ! Tout était à construire, dans ce hangar fraîchement acquis en zone industrielle, et l’on ne s’y réunissait qu’à coups de flyers et d’infoline, dans un lieu et pour des concerts tenus secrets aussi longtemps que possible. À la manière des teufeurs. Car ce n’est qu’en 2008 que la salle, aménagée et mise aux normes par une bande de rockeurs adepte du "do it yourself", a reçu le feu vert de l’administration pour faire ce à quoi elle s’était destinée : abreuver nos esgourdes de metal – qu’il soit thrash, black, grind, crust, doom, pagan ou heavy – de punk, de noise, de psychobilly ou encore de surf music. AGNOSTIC FRONT, BIOHAZARD, COMBICHRIST, ELUVEITIE, KORPIKLAANI, NAPALM DEATH, OBITUARY, SEPULTURA, SOULFLY, mais aussi Marty Friedman, NASHVILLE PUSSY ou encore SATAN JOKERS ont ainsi foulé la scène de la salle héraultaise. Plus de 2000 concerts se sont tenus dans ces lieux ; la fête semblait ne jamais devoir s’arrêter. Et puis, la COVID est arrivée. Les contraintes se sont multipliées et Jean Castex avait dernièrement annoncé que le public assisterait aux concert… assis. Pas l’idéal pour exécuter un wall of death. Ni même le moindre petit slam. Le compte à rebours était donc enclenché : il reste trois mois pour trouver des solutions. Après, ce sera électrocardiogramme plat. François-Xavier "Fyfy" Pinchon, figure emblématique de la scène alternative et indépendante montpelliéraine, camarade indéfectible d’OTH, LES SHERIFF ou LES VIERGES, est aussi le Président de la TAF (Tout À Fond) : l’association qui gère la Secret Place. Il nous dresse le bilan de santé de l'un des derniers bastions du rock underground à Montpellier, une salle désormais sous assistance respiratoire.
 

François-Xavier, j’imagine qu’il s’est passé énormément de choses, depuis mars 2020. Peux-tu nous faire part des difficultés rencontrées par la Secret Place ?
Il y en a eu tellement ! Quasiment toutes les tournées internationales ont été annulées, depuis 2020. Il faut savoir que 80 à 85% de nos têtes d’affiche sont étrangères ; forcément, ça a eu un énorme impact sur notre activité. D’ailleurs, certaines de ces tournées sont à nouveau reportées à 2023… Pour nous, c’est clairement la cata !

Comment avez-vous tenu le coup, durant ces deux années marquées par des confinements et des restrictions en tout genre ?
On s’est adapté ! On s’est même "réinventé", pour reprendre le mot de notre Président. Nous avons d’abord aménagé l’extérieur, puis y avons monté une scène (afin de limiter la transmission du virus), installé un foodtruck, en plus de notre bar. Nous avons également ouvert un rayon vinyles et avons développé notre merchandising de manière conséquente. Je profite d’ailleurs de l’interview pour remercier les nombreuses personnes qui nous ont soutenus : on a vendu plus de 2500 tee-shirts en un an, 600 masques brodés, 300 paires de baguettes, des casquettes, des mugs… Les gens ont vraiment joué le jeu et cela nous a permis de faire face, de payer notre loyer, notre électricité… de rester debout !
 

"Moi, je ne peux pas accueillir GBH en concert assis ! J’attendais pourtant 200 personnes. Idem pour SWALLOW THE SUN, qui a été contraint d’annuler sa tournée européenne."

 


On imagine effectivement que sans véritables tournées, les concerts n’ont pas été très nombreux… mais que les charges continuaient de tomber, elles, les unes après les autres…
Tout à fait ! Plusieurs groupes locaux sont venus jouer sur notre scène extérieure, puisque nous accueillions jusqu’à cinq concerts gratuits par semaine, mais nous tournions forcément au ralenti, par rapport à notre rythme habituel. Pour autant, le montant des loyers n’a pas diminué… et ils sont très élevés à Montpellier ! 4500€, auxquels j’ajoute 1400€ d’électricité, dont le coût ne cesse d’augmenter. Et puis, il y a les assurances, les abonnements téléphones et internet, les TPE, le renouvellement des extincteurs, les formations sécurité incendie pour le personnel, le diagnostic qualité de la salle… Les gens ne s’en rendent pas compte : la Secret Place est une petite salle, mais c’est un gros paquebot à piloter. Et puis, il y a aussi l’entretien, poste d’importance, pour un lieu qui organise entre 120 et 150 concerts par an.

Un manque à gagner qui a forcément dû provoquer des dégâts ?
Oui, malheureusement. On s’adapte, pour survivre, et nous avons été contraints de réduire les charges. 11 personnes travaillaient ici en 2020 ; nous sommes ensuite passés à 9, puis 7. Des salariés nous ont quittés ; d’autres avaient le statut d’intermittent. C’est forcément triste. On a aussi mis fin à notre magazine, afin de limiter toute dépense "superflue". Avec ce virus et ces restrictions, les concerts se sont évidemment raréfiés, depuis 2020, mais il n’y a pas que ça. Le moral des gens en a pris un sacré coup. Nous disposons de 3 salles de répétition et l’on constate que les musiciens sont moins assidus. Ils viennent moins répéter… ou ne viennent plus. On peut les comprendre : ils ne savent pas quand ils vont pouvoir tourner à nouveau. Bref, on sent de la lassitude.
 


La COVID a fait son retour en fin d’année 2021 et, en décembre, Jean Castex a annoncé que les concerts debouts étaient désormais interdits, que la jauge serait à nouveau réduite…
Le 27 décembre dernier, pour nous souhaiter la bonne année, notre Premier Ministre nous a annoncé qu’on ne travaillerait ni en janvier, ni en février. Moi, je ne peux pas accueillir GBH en concert assis ! J’attendais pourtant 200 personnes. Idem pour SWALLOW THE SUN, qui a été contraint d’annuler sa tournée européenne. Alors, on nous dit qu’on peut rouvrir notre salle le 16 février… oui, bien sûr, mais sans manquer de respect à qui que ce soit, nous ne sommes pas un bar du centre-ville où les gens vont boire une bière et écouter le groupe qui passe à la cave ! Nous sommes dans une zone industrielle : les gens font l’effort de venir ici, ils viennent pour y voir un groupe en particulier, et le problème, c’est qu’on ne peut pas remonter une programmation du jour au lendemain. Il y a beaucoup trop de logistique et de personnes concernées, à travers l’Europe ou le monde entier, selon les cas de figure, pour mettre ça sur pied aussi rapidement. Du coup, tout est annulé en janvier, février, mars et même avril. IMONOLITH était programmé au 18 avril, c’est mort, là aussi… J’ajoute qu’entre les directives françaises et celles de leurs pays d’origine, il y a souvent de véritables différences. Ça n’arrange pas les choses.
 

"Quand nous avons organisé un concert-test, pour étudier le taux de transmission en salle, Michaël Delafosse, Maire de Montpellier et Président de la Métropole, nous a promis son aide."

 

Concrètement, combien de temps pouvez-vous encore tenir ?
Si rien n’est fait, nous ne pourrons pas aller au-delà de fin avril. Il y a peu, je t’aurais dit fin mars, mais on a pu régler notre loyer de décembre et ça repousse l’échéance. Mais si l’activité reprend véritablement, il va falloir réembaucher très vite. Ce sera alors quitte ou double, car si ça ne fonctionne pas durablement, ça précipitera notre chute. On est dans un cercle vicieux.

Qui peut vous aider ? Les institutions ?
Quand nous avons organisé un concert-test, pour étudier le taux de transmission en salle, Michaël Delafosse, Maire de Montpellier et Président de Montpellier Méditerranée Métropole, nous a promis son aide. La proposition est venue de lui. Il souhaitait "sanctuariser le lieu en payant le loyer". C’était en mars 2021. Nous étions en difficulté depuis un an ; c’était donc une excellente nouvelle. Nous pensions clairement être sauvés. On s’est revu quelques mois plus tard, en septembre, puis en novembre et ils m’ont assuré qu’ils avançaient sur le dossier. Ils nous ont confirmé leur soutien en janvier 2022, lors d’une conférence de presse où nous dressions un état des lieux très précis de notre situation. Nous sommes désormais en février et tous les concerts prévus sont annulés. Et nous n’en savons toujours pas plus. Cela fera bientôt un an. Il faut savoir que les autres salles montpelliéraines (Rockstore, Jam, Victoire 2) appartiennent à la Ville ou à sa Métropole. Leurs loyers sont donc gelés depuis le début de la crise. Tant mieux pour eux, d’ailleurs, mais nous risquons, pour notre part, de purement et simplement disparaître…

Les aides promises par la Ville de Montpellier et la Métropole montpelliéraine peuvent-elles être rétroactives ?
Ce serait formidable, mais si nous pouvions dès à présent être soutenus, comme Michaël Delafosse s’y est engagé, ce serait déjà nous délester d’un poids énorme. D’une pression quotidienne. Et puis, soyons réalistes : "la vie d’avant" ne va pas reprendre du jour au lendemain. La reprise économique va être compliquée. Nous aurions besoin d’être accompagnés sur 6 mois ; une période durant laquelle la Ville de Montpellier prendrait en charge nos loyers, afin que nous puissions réellement sortir la tête de l’eau. Car cette crise a créé des habitudes, de l’inertie. Sans compter l’augmentation des tarifs du carburant, de l’autoroute, de l’alimentation : ce n’est plus simplement la place de concert qui coûte, mais tout le reste !
 

"On est heureux d’avoir donné autant aux gens et on est presque étonné de les avoir autant marqués. J’ai compris combien cette salle avait été une véritable bouffée d’oxygène pour tant de personnes."


La Ville de Montpellier est candidate au titre de "Capitale Européenne de la Culture" 2028. La Secret Place a clairement un rôle à jouer dans ce processus...
C’est exact. Si l’on fait abstraction des bars, la Métropole montpelliéraine compte 4 salles de concerts, pour 500 000 habitants. Si la Secret Place disparaît, il n’y en aura plus que 3. C’est évidemment peu, pour accéder au statut de Capitale Européenne de la Culture. D’autant qu’il ne faut pas se leurrer : le Rock, quelles que soient les formes qu’il prend, reste la musique qui attire le plus de monde en concert. Qui est capable de faire se déplacer des foules entières. Et mis à part la Secret Place, qu’est ce qui est véritablement Rock, à Montpellier ? Nous sommes des autodidactes, des indépendants, et cela fait désormais 26 ans que notre association TAF (Tout À Fond) existe, 22 ans pour la salle. Il y a une mobilisation incroyable, derrière nous, pour que l’aventure se poursuive. Ça veut donc bien dire quelque chose quant à notre utilité.
 


Précisément, on sent un véritable soutien derrière la Secret Place. Le public ne veut pas vous voir disparaître…
Ce qui nous fait vivre, depuis 26 ans, c’est le public ! Durant le premier confinement, l’un de nos adhérents a lancé une cagnotte Leetchi qui nous a permis de récolter 16000€ en 6 mois. C’était complètement hallucinant ! On a reçu des témoignages vraiment touchants, des mots sur les réseaux sociaux, des cartes de vœux à Noël, comme lorsque nous étions gamins... De particuliers comme de groupes français et étrangers. D’autres nous font des dons. Et puis, il y a ceux qui s’excusent presque de ne pas nous donner plus et qui nous font un virement de 10€, pour être avec nous. C’est plein d’humanité et c’est l’un des rares bons côtés de cette crise…

Beaucoup ont acheté des cartes de membres d’honneur de la TAF ; nous ferons un "Hall of Fame" dans le sas d’entrée de la salle, avec le nom des personnes comme des sociétés qui nous ont soutenus, afin de les remercier. Et puis, il y a quelque temps, une jeune femme américaine, qui vit à Pittsburgh, mais qui a fait ses études à Montpellier, nous a envoyé une photo d’elle avec ses cartes de l’association, de 2004 à 2008. Elle ne veut pas nous voir disparaître et elle a repris une nouvelle carte de membre, en signe de solidarité. Les gens nous disent qu’ils se sont éclatés ici et qu’ils ne veulent pas que cela s’arrête. Ça fait vraiment du bien, de lire et d’entendre ces témoignages, quand on est dans la m… comme on l’est actuellement. On est heureux d’avoir donné autant aux gens et on est presque étonné de les avoir autant marqués. Cela m’a permis de comprendre combien cette salle avait été une véritable bouffée d’oxygène pour tant de personnes…

Justement, François-Xavier, peut-on encore vous aider, avant que la Ville de Montpellier ne prenne le relais ?
Clairement, nous ne sommes pas là pour faire la charité, mais il est certain que ceux qui achètent notre merchandising et adhèrent à la TAF nous permettent de tenir le coup. On se démène pour survivre. On travaille et on innove en permanence, dans ce contexte très particulier. La Secret Place compte 3 salles de répétitions et 1 studio d’enregistrement. On a donc développé les résidences artistiques, en partenariat avec la DRAC et la Métropole, on a enregistré une dizaine d’albums ici, tourné 8 clips, on a mis en place des cours de batterie avec Ryo Yamagata, qui a joué dans MIYAVI. Et puis, notre formule permet aux groupes qui répètent à la Secret Place de jouer sur notre scène. Et notre forfait 50 heures à 250€ est vraiment hyper compétitif, d’autant que l’on met à disposition les amplis, les micros, les câbles et que l’on peut stocker le matériel. Pendant les périodes de restriction, on s’est aussi parfois mis en configuration "Club" pour des soirées blues ; j’ai acheté des tables et des chaises pour remplir l’espace de la salle. On va également refaire des projections de films ou de documentaires, mais il ne faut pas oublier qu’à la base, nous sommes une salle de concerts. Aussi inventifs et déterminés que nous puissions être, on ne peut pas passer outre cette réalité. C’est cela, la raison d’être de la Secret Place et c’est pour cela que le public vient nous voir. Il faut donc que les groupes puissent remonter sur scène au plus vite, pour que la machine redémarre. Pour que tout reprenne vie.
 

• La Secret Place n’a jamais eu autant besoin d’être visible. Sans quoi elle risque de devenir invisible à tout jamais. Une nouvelle cagnotte Leetchi a été créée par un adhérent de la TAF. Vous pouvez y contribuer ici : Leetchi.com si vous le souhaitez.

• Vous trouverez toutes les informations complémentaires sur le site officiel de La TAF comme sur sa page Facebook.
 

Blogger : Stéphane Coquin
Au sujet de l'auteur
Stéphane Coquin
Entre Socrate, Sixx et Senna, impossible de faire un choix… J’ai donc tenté l’impossible ! Dans un mouvement dialectique aussi incompréhensible pour mes proches que pour moi-même, je me suis mis en tête de faire la synthèse de tout ce fourbi (et orbi), afin de rendre ces éléments disparates… cohérents ! L’histoire de ma vie. Version courte. Maîtrise de philo en poche, me voilà devenu journaliste spécialiste en sport auto, avant d’intégrer la valeureuse rédaction de HARD FORCE. Celle-là même qui prit sauvagement part à mes premiers émois métalliques (aïe ! ça fait mal !). Si la boucle n’est pas encore bouclée, l’arrondi est désormais plus que visible (non : je ne parle pas de mon ventre). Preuve que tout se déroule selon le plan – savamment – orchestré… même si j’aimerais que le tempo s’accélère. Bon, et sinon, qu’est-ce que j’écoute comme musique ? Du bon, rien que du bon : Platon, Nietzsche, Hegel et Spinoza ! Mais je ne crache pas non plus sur un bon vieux morceau de Prost, Villeneuve ou Alonso… Comment ça, Christian, faut tout réécrire !?!
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