11 avril 2022, 11:30

GHOST

Interview Tobias Forge

Ghost live le 12 février dernier à Worcester (Massachusetts)


LE SACRE

Quelques semaines après la sortie de son cinquième album, « Impera », GHOST entame sa nouvelle tournée européenne, à nouveau en tête d’affiche, mais cette fois dans les plus grandes arenas du continent - et notamment chez nous, à Paris, pour un show très attendu à l'Accor Arena ce 18 avril… Comme un grand groupe de combattants, GHOST a ainsi gravi un à un chaque barreau de l’échelle des salles de la capitale : quel parcours - et nous en parlions déjà, de cette possibilité de remplir le complexe historique de Bercy, quand nous étions dans ses loges du Stade de France, alors qu’il s’apprêtait à ouvrir pour METALLICA. 
Ça, c’était déjà en mai 2019, et depuis, Tobias Forge nous avait bien manqué, chacun de nos entretiens s’étant avéré passionnant, l’homme étant un de ces « clients » les plus volubiles, aussi habités par leur passion et ambition qu’ils restent posés et si courtois, à l’instar d’un Corey Taylor, en interview.

Si nous avons tant attendu pour nous reparler à nouveau, « longtemps » après la sortie de son album, nous avons été récompensés : alors qu’un créneau de vingt minutes nous avait été exceptionnellement accordé cet après-midi du 7 avril, pas une seule minute Tobias Forge ne s’est-il montré ennuyé ni pressant, jamais enclin à raccourcir ses dernières réponses pour nous signifier avoir largement dépassé d'un quart d'heure le temps imparti. D’autant que le créateur de GHOST prenait l’avion le lendemain matin pour partir en tournée ! Le signe d’un vrai respect vis à vis des médias qui ont toujours été là, même lorsqu’on est devenu depuis, au regard des dernières performances réalisées ces dernières semaines aux Etats-Unis, le plus gros groupe contemporain de la large sphère metal
celui que vous allez probablement vous empresser de retrouver - ENFIN - en live !


Tobias, comment te sens-tu aujourd’hui, à la veille de repartir sur les routes pour une tournée en tête d’affiche des plus grandes salles européennes ?
Tobias Forge : Je me sens excité par de nombreux aspects : je suis vraiment impatient de repartir en effet sur les routes européennes. Cela fait déjà deux ans. Un peu plus de deux ans même. Bien sûr, nous avons déjà un peu tourné, mais c’était aux Etats-Unis, et tourner aux US et tourner en Europe, c'est assez différent. C’est un mélange d’émotions et d’excitation, et d’évidence cette année est bien différente de la dernière fois ; alors, oui, je suis évidemment excité, mais j’aborde tout cela avec une pincée de sel... de prudence !
 

"Bercy se range à côté du Madison Square Garden ou du Forum à Los Angeles. Un très grand accomplissement, même si c'en est déjà un, rien que d'y être programmé. Maintenant, à nous de jouer !"


Comme le Stade de France la dernière fois en mai 2019, "Bercy" signifie quelque chose pour toi : on avait déjà abordé ensemble la possibilité que tu puisses y jouer à l'avenir. Nous y voici. J’imagine que chaque tournée est importante pour un artiste, tout spécialement pour toi, car cela marque une nouvelle étape…
Oh, je ressens cela comme un gigantesque accomplissement. Bien sûr, au moment où nous parlons, nous ne l’avons pas encore fait, je suis impatient d’y jouer, mais aussi une fois que ce sera fait. C’est une salle que je connais depuis toujours : j’y suis même allé pour assister à des concerts, et forcément je l’associe à tous ces grands groupes qui s’y sont produits. Bien sûr, cela représente quelque chose de très très excitant. C’est une de ces salles qui... (rires)... si tu t’intéresses aux espaces publics, tu sais, Bercy se range à côté du Madison Square Garden ou du Forum à Los Angeles. Un très grand accomplissement donc, même si c'en est déjà, rien que d'y être programmé. Maintenant, à nous de jouer !

Tobias, nous nous sommes rencontrés à de multiples reprises, pour HEAVY1, HARD FORCE et METALXS, et à chaque fois c’était backstage à chacun de tes concerts, qu’il s’agisse de l’Olympia, du Download Festival, du Zénith ou du Stade de France. A chaque fois, je te l’ai déjà dit, j’apprécie GHOST depuis le tout premier album en 2010, mais je vais être franc avec toi : à la première écoute, je n’ai pas été si emballé que ça par « Impera », même modérément déçu. MAIS... - car il y a un « mais » - après la deuxième ou troisième écoute, j’ai entendu comme une petite voix démoniaque, cette petite voix vicieuse à la Papa Emeritus qui me disait « remets-le ! », « remets-le » ! Ce truc à la « Do it! », comme un mantra subliminal ! Et je dois donc te "confesser", à nouveau, que je suis devenu complètement addict à ce disque ! Alors : c'est grave, mon Père ? 
(rires) Eh bien, si tu ne l’aimes pas, je ne sais pas si c’est une bonne chose pour toi de continuer à te l'infliger comme une espèce de petite torture masochiste ; mais peut-être y a-t-il de l’espoir et ça, c’est une bonne chose. Tu as la foi !

Non, non, je te le dis : maintenant, j’adore l’album !
Aaaah ! Alors c’est une bonne chose ! (rires)

Les premières impressions n’étaient pas si bonnes. Disons : pas autant que je l’espérais pour un nouvel album de GHOST. Mais comme je te l’ai dit, après avoir persévéré, je suis complètement accro et je l’écoute quasiment chaque jour ; c’est un très très bon album.
Eh bien, je suis heureux de l’entendre. C’est ce que l’on entend dire ici en Scandinavie : on appelle ça un grower, quelque chose qui prend petit à petit, de plus en plus, avec le temps.

A travers tous tes albums et EPs, tu as témoigné d’un grand talent d’écriture, en creusant profondément dans tes racines, en terme d’héritage et de culture, qu’il s’agisse de heavy metal bien sûr, mais aussi de pop, sachant qu’outre ABBA, la Suède a produit énormément de hits dance music et de pop au cours des années 90 et 2000, tous fabriqués par de véritables pros des studios.
Etant si doué toi-même, pourquoi as-tu ressenti le besoin d’être aidé de l'extérieur ? 

J’avais déjà abordé les choses comme ça sur « Meliora », en fait. Et c’était pour moi tout à fait naturel et organique de progresser ainsi là où, dans ma première vie de compositeur, avant « Meliora » donc, je faisais en effet tout quasiment moi-même. Et si, pour telle ou telle raison, quelqu’un d’autre venait apporter sa contribution, il s’agissait alors davantage d’une forme de compromis "politique" qui allait mener à une sorte de code, tu vois ? Parce que cela n’aboutissait qu’à de toutes petites choses ; quelques changements qui allaient sauf exception devoir impliquer une notion de crédit, de co-composition. Et donc, au sein de mes groupes précédents, on m’appelait toujours « le dictateur » parce que, tu vois, je ne laissais jamais personne proposer ses propres idées. Et j’ai appris à vivre avec ça. Je me suis rendu compte que c’était probablement vrai, mais lorsque nous nous sommes mis à travailler sur « Meliora », j’avais déjà écrit beaucoup de matériel, et je me rappelle d’une des premières conversations que j’avais eues avec le producteur, Klas (Åhlund), au téléphone, lorsqu’il me demandait : « où en es-tu avec tes chansons ? » - et je lui avais répondu : « Ça dépend. Dès que j’ai une idée de chanson, si tu me donnes quelques heures ou quelques jours, je serai en mesure de la terminer ». Et je connais les chansons. Je sais que je peux en venir à bout, mais là, juste là, elles n'étaient pas achevées. Et il m’avait répondu : « Alors je veux venir bosser sur le disque, j’arrive. Je veux être capable de t’influencer d’une manière ou d’une autre ». Et moi : « OK, essayons ! ». Il m’a vraiment appris que je n’étais pas aussi mauvais à accepter collaborer que les gens pouvaient le penser. C’est comme avec des nanas dans une boite de nuit : je veux danser et embrasser celle que j’ai choisie. Je ne veux pas que quelqu’un d’autre vienne m’embrasser. Alors, ça fonctionne parfaitement bien lorsque je choisis mon partenaire. Et Klas m’a donc vraiment démontré que je pouvais collaborer. Je le peux, mais cela doit se faire avec quelqu’un doté des plus pures intentions. Quelqu’un qui veut vraiment améliorer une chanson - et pas juste profiter de crédits et des droits d’auteur. Et il a été bon dans ce domaine. Tout son apport sur « Meliora » m’a aussi convaincu d'écrire en m’appliquant davantage. « Je veux t’entendre faire mieux ici. Ce mot doit être amélioré ». Et cela m’a permis d’aller chercher d’autres personnes avec qui travailler, parce que c’est en fait une sacrée chouette manière d’affuter tes sens. Je pourrais débarquer avec des idées du matin au soir, mais si je dois les dévoiler à quelqu’un d’autre, je me bonifie à définir ce qui doit être bon, et à écarter des choses que je jugerais finalement inférieures. C’est très courant dans l'écriture. C’est la raison pour laquelle, quand tu écris des articles, tu as un responsable d'édition. C’est pour cela qu'un écrivain a aussi un éditeur qui peut se permettre de lui dire « ce passage est trop long » ou « je comprends ce que tu essaies de dire ici dans ce petit chapitre. Mais tu peux aussi le retirer ou le couper de moitié, ou avec moins de phrases, parce que tu expliqueras mieux les choses autrement et cela fluidifiera davantage le récit ». Et c’est comme cela qu'on procède avec mes amis collaborateurs. Prendre une idée, l’aiguiser, la peaufiner, l’améliorer... parce que je dois me confronter dans tout ce que je fais à quelqu’un d’autre. C’est donc une plutôt bonne méthode.
 

"J'ai grandi en suivant un régime hard rock des années 70 et 80. Les personnes avec qui j'écris, à qui je soumets mes idées, aiment toutes ces choses. Quelqu'un qui n'aurait aucune de ces influences, aucun de ces antécédents, ne pourrait pas comprendre tout ce je veux exprimer."


Des accroches. Des accroches pop il y en a absolument partout sur « Impera » ; et au-delà de ces structures pop, je trouve beaucoup de traces de glam californien des années 80 dans des chansons comme « Watchers In The Sky », ou encore « Call Me Little Sunshine », qui aurait pu être un tube de DOKKEN en 1986, et il y a l’ADN de VAN HALEN, ici et là, notamment sur « Driftwood » qui pompe un peu son intro à « Ain’t Talking About Love », ainsi que tous ces solo flashy à travers l’album. Alors GHOST serait-il coupable de fantasmes hair metal malgré ton passé dans le metal extrême ?
(rires) Eh bien oui, absolument. Je n'ai jamais eu peur de... tu sais, j'ai grandi en suivant un régime hard rock des années 70 et 80, donc bien sûr que cela s'immisce dans ma musique - mais je pense que c'était aussi déjà le cas avant « Impera ». Je pense toutefois que c’est juste l’affaire de quelques moments - je ne veux pas dire cela de manière négative -, mais quelques instants de trop sur ce disque qui pouvaient faire croire qu’il y avait là comme un hommage à cette époque, ce qui n'était vraiment pas intentionnel. C'était plutôt un… Je pense que beaucoup de ces gens avec qui j'écris comme Klas ou Peter Svensson des CARDIGANS, tous ces gens sont comme des métalleux. Cela vaut également la peine de noter que ces personnes avec qui j'écris, à qui je soumets mes idées, aiment toutes ces choses que tu as évoquées. Quelqu'un qui n'aurait aucune de ces influences, aucun de ces antécédents, ne pourrait pas comprendre tout ce je veux exprimer.

GHOST à Salt Lake City le 31 janvier (Utah)


Comme THE DARKNESS qui a absolument voulu ramener du fun et de la flamboyance en 2003, après une douzaine d'années de musique alternative sérieuse et parfois ennuyeuse, et comme QUEEN dans les années 80, il semble que l'une des obsessions de GHOST soit de vouloir apparaître aussi décomplexé que possible, et libre de doser le bon ou le mauvais goût que vous aimez tant, comme cette partie typiquement prog sur « Kaisarion », voire ces gimmicks à la ABBA ou SUPERTRAMP sur certains plans de claviers, non ?
(rires) Tout à fait. Je pense que l'un de vos -  je ne sais pas si on peut dire "concurrents" ? - mais Kerrang! au Royaume-Uni, ils ont écrit dans une critique que - je la paraphrase parce que je ne l’ai pas sous les yeux -, mais c'était quelque chose du genre : « Impera », c'est comme manger un gâteau au petit déjeuner, parce qu'il n'y a aucune raison qui vous interdise de le faire, sauf que vous avez peur de ce que autres pourraient penser de vous. Et c'est l'une des meilleures choses que j'aie jamais lues sur GHOST. Parce que je le crois aussi. C'est : « tu devrais manger du gâteau au petit déjeuner si t'aimes ça. Et même dix croissants en plus si ça te chante » (rires)

La deuxième partie d'« Impera » s’avère beaucoup plus sombre que la première. Ça commence par un morceau de musique très dark, à la Kubrick, quelque part entre la B.O. d’Orange Mécanique et celle de Shining. Et ça introduit « Twenties », qui est l'une de tes pièces les plus ambitieuses, même si tu sembles avoir emprunté sa dynamique au « Through The Never » de METALLICA…
Dans « Twenties » ? Oh, je n'y avais jamais pensé.

Oui, la dynamique de l'intro de « Through The Never », ce riff saccadé, qui s’arrête et repart, de METALLICA - tu vois ce que je veux dire ?
Oui, mais je n'y avais jamais pensé, ce n'était absolument pas intentionnel. Je voudrais dire que le séquençage de l'album était évidemment important : je pense toujours au vinyle, donc c'est toujours comme s’il y avait un acte I et un acte II. Ce premier exprime la montée de l'Empire. Tu as donc ce genre d'hymne national au début de l'album et avec le changement d'acte, quand tu retournes le disque, cette fois c'est la chute de l'Empire, qui se termine par la disparition de cet hymne national. Et puis, si tu retournes le disque à nouveau, ça recommence. C'était donc complètement voulu d'avoir ces deux faces si différentes l'une de l'autre. Et d'une certaine manière, tu sais, je pense que c'était un bon choix. À certains moments, j'ai eu l'impression que ce ne serait pas le cas, mais c'est l'une de ces choses qui te font complètement perdre le sommeil lorsque tu enregistres un disque (rires) - mais c’est fini, je ne gâche plus mon sommeil pour des trucs comme ça !

Ce que je trouve fascinant - et parfois hilarant - dans l’univers de GHOST, c'est ce grand écart abyssal entre l'image graphique et le son. Cette ère industrielle victorienne mélangée à une néo-renaissance graphique à la De Vinci que rencontre le steampunk, et de l’autre côté toutes ces accroches pop. Tout pourrait paraitre beaucoup plus doom et lugubre comme le premier album « Opus Eponymous », mais le son et ces chansons accrocheuses ne le sont finalement pas. Et cela nous ramène au divertissement pur, en jouant avec l’horreur ou autour de Méphistophélès. Et en ce qui concerne notre génération, nous avons tous grandi avec ça, depuis le « Thriller » de Michael Jackson, chocs gore et frissons à l’écran, et fête sur la piste de danse, tu ne trouves pas ?
Je pense que oui. Oui... Et c'est drôle parce que beaucoup de choses qui se disent à propos de « Impera » en terme de polarisation ou d'ambiguïté et dans sa nature « d’avoir l’air de » mais de sonner complètement différemment, c'est fondamentalement la même chose que j'ai pu entendre depuis que nous avons sorti « Opus Eponymous » : « ce groupe a l'air si diabolique, mais sonne tellement comme un groupe AOR ! » (rires) Mais ça a toujours été - hé, GHOST est, à bien des égards, un mélange de toutes les choses que j'aime. C'est comme manger des pancakes avec de la confiture et de la crème, et qui va aussi se transformer en grosse crêpe. Tu y rajoutes des sushis, des pizzas et des pâtes en même temps. Tout cela cuit dans un gros gâteau ! (rires) Et ça le fait, au final. D'une manière ou d'une autre, tout vient d'être pressé dans un mixeur, ça sort comme une bouillie, ça ne devrait pas marcher, mais ça marche !

Comme n'importe quel grand groupe aussi unique et qui fait parler de lui, GHOST divise plus que jamais la communauté metal. Ton groupe étant, sans aucun doute, le nouveau leader de la scène, est l'un des sujets dont on parle le plus - et parmi cette communauté metal, et peut-être même parmi ta première fanbase originale, ces amateurs de metal occulte et de doom complètement hardcore, les gens n'apprécient peut-être plus ton nouveau chemin artistique - voire détestent le groupe. Ces opinions te heurtent-elles, ou sont-elles complètement balayées par ces légions de nouveaux fans qui, eux, font grandir votre communauté ?
(silence de réflexion) Non, ça ne me blesse pas, mais ça ne veut pas dire que je m'en fous pour autant. Donc, s'il y a une sorte de terrain d’entente… Mais le truc, c'est que je ne vois pas… ça ne… non, en revanche ça ne me fait pas moins l'impression d'être resté un fan de metal, et je ne me sens pas obligé de continuer à aller dans un bar metal pour jouer au flipper ou écouter IRON MAIDEN, tu vois… donc ce n'est pas vraiment… ça ne m'émeut pas vraiment plus que ça, parce que rien n'est jamais aussi noir et blanc pour moi. Et si j'essaie de voir ça d'un point de vue positif, ce qui est facile, juste parce que nous en sommes déjà parvenus à douze années de carrière professionnelle en ayant sorti notre cinquième album : je pense que c'est un exploit pour, douze ans plus tard, être encore capable de se polariser de la même manière que nous le faisions il y a douze ans. Tu pourrais te dire que, d'une manière ou d'une autre, lorsque tu effectues des virages à 360 degrés, et ce tant de fois, il est quand même assez rare que tu restes - faute de trouver un meilleur mot - "pertinent" aussi longtemps, que tu sois encore LE sujet de conversation en ville dès que tu fais quelque chose de nouveau. Beaucoup de ces gens se seraient désintéressés il y a dix ans en disant : « Je ne parlerai plus jamais de ce groupe ! ». Mais pourtant, ils continuent d'en parler. Et certaines personnes ont peut-être même changé d'avis ou reviennent, tandis que certaines autres ont évidemment pris en cours de route, à mi-chemin, et recommencé à aimer le groupe. Un peu comme nous, quand nous en avons plaisanté un peu plus tôt : c'est comme si les gens étaient toujours intéressés par ce qui se passait. Et c'est une très bonne chose. Et ça ne me place pas sous le signe de la marque noire, rien moins que ça ! (rires) Alors ça n'a pas vraiment d’importance, mais pour moi, sur le plan professionnel, ça compte beaucoup parce que ça veut dire qu'on grossit. Si les gens parlent, c'est parfait. Tu sais, ne dit-on pas que c’est vaut mieux s’en tirer avec un gros scandale que par un petit fiasco. Oui, plus les gens en parlent, plus ça grossit. Alors... « Merci beaucoup, tout le monde. Je vous suis vraiment reconnaissant ! ».
 

"Si les gens parlent, c'est parfait. Tu sais, ne dit-on pas qu'il vaut mieux s’en tirer avec un gros scandale que par un petit fiasco."


Comment prépares-tu l'avenir ? A quelle échelle de temps planifies-tu toute ton ambition ? Prévois-tu un énorme business plan pour les années suivantes ? Qu’as-tu en tête en termes de progression et de « domination mondiale » ?
Tu peux diviser cette idée en deux choses - la première étant, bien sûr, la création et l'esthétique. Il y a des projets que je veux réaliser, qui ont indéniablement des répercussions économiques. Si tu veux créer un spectacle sur scène de l'ampleur que j’ai en tête, tu as besoin d’un financement, donc je dois être prudent quant à l'idée qu'il soit commercial et donc rentable d'une manière ou d'une autre. D'autre part, je suis en charge d'environ quarante personnes qui gagnent leur vie grâce à mes erreurs... euh non, pardon, pas à "mes erreurs !" (rires)... à mes décisions ! Donc, par décence, je dois être prévoyant. Mais je ne ferais pas ça si je ne sentais pas qu'il y avait des choses derrière, des domaines à explorer graphiquement parlant. Toujours sans perdre de vue que c'est ce que je voulais faire en tout premier lieu. Même à l'époque où je ne pensais même pas que cela allait devenir commercial. Je suis toujours en proie à ces sentiments. Je pense toujours que GHOST est vraiment un concept très alléchant. Je trouve beaucoup d'idées esthétiques, beaucoup d'idées créatives que je n'ai même pas encore réalisées. Et c'est ma principale force motrice pour moi, personnellement. Mais une fois tout cela acquis, je dois être très prudent et prendre soin des personnes qui travaillent avec moi, faire en sorte qu'elles aient toujours quelque chose d'autre à faire. Pour l'instant, je n'ai pas de problème d'inspiration. J'essaye toujours de me projeter, de me concentrer sur l'élaboration, sur ce que cela peut devenir.

Dans tes rêves les plus fous, en 2009 / 2010, lorsque tu as créé GHOST, pouvais-tu imaginer que tu en serais là, douze ans plus tard ?
Non, je pensais que nous allions devenir une sorte de groupe plus arty, si tu vois ce que je veux dire. J'aimais le comparer à un groupe comme DEAD CAN DANCE. Ou peut-être LAIBACH. Un petit groupe qui ne tournerait pas forcément beaucoup mais qui viendrait jouer, tu vois, à Paris pour trois soirs dans une salle et qui ensuite irait se produire au Roadburn. Et puis six mois plus tard, nous jouerions également une semaine entière de shows à New York dans une galerie d’art, ou quelque chose comme ça. Je pensais que nous ressemblerions davantage à une troupe théâtrale ; je savais qu'on allait un jour ou l’autre faire tourner pas mal de têtes parce que moi, j'avais déjà remarqué que beaucoup de gens aimaient bien plus spontanément GHOST que la plupart des autres projets que j'avais pu mener avant. Je savais donc qu’on allait réussir d'une façon ou d'une autre. Je veux dire, je suis un vieux fan de rock. Je collectionne moi-même les t-shirts. Je suis à l’affut de tout ce qui est visuel. Je savais donc que ce logo, ainsi que la représentation visuelle du groupe, allaient nous propulser. Cela pouvait très probablement devenir un groupe de merchandising. Peut-être que si nous traitions le groupe correctement, si nous faisions bien les choses, nous pourrions devenir culte à la MISFITS - un truc, tu vois, qui a vendu des centaines de milliers de T-shirts bien après qu'ils aient joué leur dernier concert en 1983 ! (rires) C'est donc essentiellement ce que je pensais que nous allions devenir. Mais ensuite, nous sommes devenus un peu plus un groupe de tournée traditionnel. Donc je me suis dit : "eh bien, nous pourrions être comme les RAMONES, et peut-être aller jouer dans pas mal de salles, faire des tournées, et enfin devenir un groupe culte." Alors, il s'est avéré que de plus en plus de gens sont venus à nos concerts, et au fur et à mesure que nous grandissions, il commençait à y avoir ces discussions sur nous, comme le fait que nous puissions peut-être jouer au Zénith… Et une fois qu'on a en effet bien joué au Zénith, METALLICA a voulu qu'on joue au Stade de France. D'accord, c'est super parce que j'ai toujours rêvé de faire ça ! Peut-être pas avec GHOST à l'origine, mais j'ai toujours rêvé de jouer au Stade de France depuis que j'ai vu la finale de la Coupe du Monde en 1998. Et puis, comme tu disais, la fois prochaine, on irait peut-être jouer à Bercy. Donc, en soi, il n’y a jamais eu de plan établi pour y arriver. J'ai toujours voulu devenir un musicien professionnel, avec tout ce que tu imagines, mais je n'ai jamais pensé que j'allais le faire avec GHOST. Donc c'est comme... c'est comme vouloir être, tu sais, un joueur de football suédois. Tu joues et tu es un grand espoir, tu rêverais de gagner le Ligue des Champions, mais tu sais forcément que la Ligue des Champions, ce n’est possible que si tu joues au Paris-St-Germain. Tu ne t'imagines jamais y arriver avec ta foutue petite équipe de province. Mais nous avons fini par au moins nous qualifier pour la Ligue des Champions avec ma propre équipe locale, ce qui est loin d’être le plan auquel j’avais réfléchi, avec un autre concept, mais maintenant que nous y sommes, personne n’ira applaudir si j’y mets un terme.

GHOST live à Seattle (Washington) le 28 janvier


Ce que tu dis est vraiment très intéressant - ce rêve devenu réalité - mais à un moment, as-tu déjà trouvé que cette énorme bête devenait trop difficile à gérer pour toi ?
Jamais. Il y a toujours des instants, un moment de la journée, où tu as l'impression d'avoir eu les yeux plus gros que le ventre. Mais je suis suffisamment bien entouré, et tout ne doit pas forcément être accompli en même temps. Rome ne s'est pas construite en un jour. Donc, tout ce que nous ne pouvons réaliser aujourd'hui, nous pouvons aussi peut-être le faire demain. Ou si l'occasion ne se présente pas encore, à cet instant précis, peut-être n'était-ce pas si important. Donc, tu dois en quelque sorte équilibrer et voir cela comme une pièce d'une histoire toujours plus grande, toujours en mouvement - et apprécier simplement l'aventure tant que tu le peux, parce que c'est pour ça que tu  signé. C'est ce dont je rêvais. Et c'est ce dont beaucoup de gens rêvent. Et si je n’avais pas saisi toute la mesure des choses que cela a pris, est-ce que je le referais quand même ? Bien sûr. Je ne peux rien faire d'autre. C'est la seule chose dans laquelle je suis vraiment bon.
 

"Je savais que ce logo allait nous propulser. Cela pouvait très probablement devenir un groupe de merchandising. Peut-être que si nous traitions le groupe correctement, si nous faisions bien les choses, nous pourrions devenir culte à la MISFITS qui a vendu des centaines de milliers de t-shirts bien après qu'ils aient joué leur dernier concert en 1983 !"


​Enfin, Tobias, qu’est-ce que tu dirais à quelqu'un qui hésite encore à acheter son billet pour le concert à Bercy ce 18 avril ?
(rires) Personne n'est parfait ! Non… Je veux dire, venez. Vous pourriez aimer. Vous pourriez rire. Ou vous pourriez avoir quelque chose à dire... comme expliquer autour de vous à quel point c'était merdique : vous le saurez concrétement, en connaissance de cause, puisque vous l'aurez vécu !

On a largement dépassé l’horaire et pas question d'abuser davantage de ton temps. Tu dois être en plein dans les préparatifs pour rejoindre l’Angleterre ?
En fait, je pars demain. Demain matin. Ouais, nous sommes très en retard à cause de ce truc si palpitant qui s'appelle le COVID. Depuis notre dernier spectacle à Los Angeles, cela a pris un temps fou pour renvoyer tout notre matériel et toutes nos affaires qui viennent à peine d'arriver au Royaume-Uni. Donc tout le monde y travaille et essaie de tout assembler. C'est beaucoup plus difficile de nos jours d'organiser des tournées, simplement à cause de ces énormes retards, alors... Eh bien, voilà, je prends l'avion demain. Pas vraiment le choix.

On te souhaite tout le succès possible pour cette tournée. C'était un immense plaisir, comme toujours, de discuter avec toi.
Plaisir partagé. Merci beaucoup.
 

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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