Il aura fallu six ans aux Français ATLANTIS CHRONICLES pour donner un successeur à leur deuxième album, « Barton’s Odyssey » sorti en 2016. Six années qui peuvent sembler longues, mais se sont révélées nécessaires, car le groupe a eu à affronter des changements de line-up non négligeables. En effet, Julien Lebon remplace Antoine Bibent au chant, tandis que Julien Rosenthal prend la place laissée vacante à la guitare par Jérôme Blazquez. De ces changements a découlé une nouvelle manière d’écrire et de créer. Le groupe a sacrément évolué et s’est réinventé, délaissant son death technique initial pour élargir sa palette de couleurs et d’influences et proposer avec ce troisième album, « Nera », un metal progressif, riche et fouillé, mélodique, teinté parfois de djent, alternant chant clair et saturé, et capable de délivrer des ambiances aussi puissantes qu’aériennes. Sans oublier de mentionner la magnifique aquarelle qui sert d’artwork à l’album, et dépeint merveilleusement bien les ambiances voulues par le groupe.
L’album s’ouvre avec la superbe "Full Fathom Five" qui met en avant une intro à la guitare acoustique, ainsi qu’un refrain doté d’une belle mélodie, un titre à des années-lumière des précédents morceaux du groupe, où l’on ressent bien l’apport de Julien Rosenthal, guitariste aux influences gospel et soul, qui insuffle au groupe un renouveau bienvenu. Toujours sur le thème de la mer, « Nera » se concentre sur les derniers jours de l’Atlantide immergée, offrant à l’auditeur une plongée dans les fonds marins oppressants et une sensation de fin du monde angoissante. Le tout porté par une technique virtuose, non exempte d’émotions et de mélodie. La voix de Julien Lebon se fait tour à tour aérienne et hurlante de rage et de désespoir (qui rappelle parfois celle de Lawrence "Loz" Taylor, de WHILE SHE SLEEPS). On navigue en apnée, avec cette impression de fatalité à laquelle on ne peut échapper ("The Drowned And The Saved", "A New Extinction", "Ruins And Memories"). Sydney Taieb, à la batterie, nous lamine avec sa rythmique écrasante portée par la double-pédale, sa technique exceptionnelle et ses structures complexes, accompagné par Simon Chartier à la basse, qui délivre son groove omniprésent, tandis que la paire de guitaristes (Alexandre Ash et Julien Rosenthal) assène des riffs puissants, des soli inspirés et des mélodies surprenantes, agrémentant les cassures de rythme, et parfois hispanisantes (l’intro de "We All Saw It Coming", entre autres).
Bien qu’étiqueté metal progressif, ATLANTIS CHRONICLES ne fait pas dans les titres-fleuve de 20 minutes, mais propose au contraire, des morceaux plutôt courts et ramassés, mais tellement riches qu’il n’en faudrait pas plus pour bien les digérer. L’aspect progressif de sa musique se trouve dans la complexité et les structures alambiquées propres à ce genre, et n’est pas sans rappeler HAKEN par certains aspects. Le diptyque "The Great Escape"/"The Great Inscape" forme le cœur de cet album, offrant un condensé de tout le talent du groupe, capable de nous plonger dans les abîmes les plus noires, tout autant que de nous laisser reprendre une bouffée d’oxygène salutaire. "The End Is Near" débute par une très belle harmonie vocale évoquant un chœur gospel, avant de nous plonger dans une rythmique djent propre à décrire la fin du monde qui approche.
L’album se referme sur "Fatherless Nights Ahead" et ses dernières lignes de chant apportant, malgré le cataclysme de la cité engloutie, une note d’espoir et un refus de se résigner. La vie n’est-elle pas un combat au quotidien ? : « Even though I know the skies will shake, Even though I know the tears will flow, I’m gonna stand for myself. Even though I know my soul will break, Even though I know the tears will flow, I'll put the pieces back together. I’m gonna stand for myself.» (« Même si je sais que les cieux vont trembler, Même si je sais que les larmes vont couler, Je vais me défendre. Même si je sais que mon âme va se briser, Même si je sais que les larmes vont couler, Je vais recoller les morceaux. Je vais rester debout pour moi. »)
ATLANTIS CHRONICLES délivre, avec « Nera », un troisième album extrêmement qualitatif, bien plus aéré et digeste que les deux précédents, où la mélodie ne se laisse pas submerger par la technique irréprochable des musiciens. Ils ont trouvé un bien bel équilibre leur permettant de danser allègrement sur un fil suspendu au-dessus des flots agités, et plongent les auditeurs dans leur monde aquatique d’une richesse infinie. Un groupe à suivre de très près, si ce n’est déjà fait.