7 mai 2022, 21:35

IBARAKI

"Rashomon"

Album : Rashomon

Projet très personnel de Matthew Kiichi Heafy de TRIVIUM, IBARAKI déboule à la façon d’un chien dans un jeu de quilles. Oubliez les spoilers qui clamaient depuis un an "le petit gars de TRIVIUM nous fait du black metal", car c’est un peu plus complexe que ça. Au travers de son voyage Matt va explorer ses influences du metal extrême de sa jeunesse, et s’aventurer sur la terre fantasmagorique du Japon de ses ancêtres. En résulte un processus de transmutation des sons et des sens. Bienvenue dans « Rashomon », où les événements, ainsi que dans le film du même nom d’Akira Kurosawa, ne sont pas ce qu’ils semblent être...

Introduction... "Hakanaki Hitsuzen", le rideau se lève sur une pièce baroque aux accents folkloriques slaves. Etrange. Du théâtre "n(e)o metal" ?
Place à un morceau de bravoure de plus de 7 minutes avec "Kagutsuchi". IBARAKI a décidé de se la jouer hors normes sur tous les plans. La rythmique se dédouble, black metal typique, la basse rapide propulse le growl, mais le refrain surprend par la clarté d’un chant clair que Matt utilise à la perfection. Ralenti. Dualité dans le noir sur blanc d’un genre, IBARAKI y insuffle un heavy atmosphérique contemplatif lors de breaks mémorables. Composition sous forme de tableau musical, chaque riff, chaque martèlement, chaque souffle, donne du relief à un chef-d’œuvre qui nous transporte.

Le black metal déploie des ailes symphoniques sur "Ibaraki-Dōji" et fait courir sur nos sens toute la beauté du lâcher prise en plein chaos. Martèlements rapides, tambours profonds et ancestraux, cris qui déchirent l’obscurité, puis des guitares qui s’assèchent pour porter une voix angélique. Matt "Heavy Chaos" nous gratifie d’une pièce musicale viscérale d’une incroyable accessibilité. Toutes ses influences, anciennes comme modernes s’avancent main dans la main sur la scène. Nous évoluons dans un décor baroque aux contours fracassés, une ascension vers les hauts de hurlements.

"Jigoku Dayu", ou l'arrivée d’une douceur acoustique avec laquelle on découvre, avec bonheur, la voix de miel de Matt. Quels progrès réalisés en 20 ans pour ce jeune prodige. Encore un titre assez long pour développer toute l’expressivité qui est son objectif.  Car quand ça se lâche sur le black metal, on en vient à numéroter nos "Abbath-i". Que de puissance, fermez les yeux et laissez vous imprégner par cette vague extrême...

"Tamashii no Houkai" est un véritable déluge de rythmique et de riffs, du black "number one", avec des breaks d’une authenticité vocale indéniable. IBARAKI livre un morceau légendaire, avec des soli cristallins léchant les roulements de batterie. Un réel chant de bataille dans le Japon féodal, les sabres luisants de mille riffs s’entrechoquant sur les cuirasses bombées, résonnantes et laquées.

"Akumu" voit arriver un guest en or, en la présence de Nergal de BEHEMOTH. IBARAKI devient liturgique et lourd. Un excellent duo de voix que tout opposait... à la base. Une pièce maîtresse de plus sur l’autel de la musique sans retenue. Impossible de ne pas être bouleversé, ouverture sonore des esprits. D’autres guests suivront.

On se démarque des compositions précédentes avec "Komorebi" pour chevaucher au ralenti dans des brumes du black metal atmosphérique. Contemplation. Introspection. Matt Heafy est incroyable, il évolue avec aisance dans tous les genres. Les violons étirent notre plaisir, les cordes électrisées sont caressées jusqu’à une béatitude bienvenue. Présence de Gerard Way de MY CHEMICAL ROMANCE au chant sur "Ronin", oui ça surprend. On s’éloigne encore plus du black metal. Je vous avais prévenus. Un morceau faussement accessible. Une accélération vient nous cueillir dans notre balade. Tel le samouraï sans maître, IBARAKI devient un dragon qui mue sans cesse, offrant toute une variété de sonorités, qui au final livrent une peinture onirique et terriblement prégnante. Force et beauté.

Nous savions tous que Ihsahn, puissant "EMPEROR" du genre serait présent puisque producteur de l'objet. Voici qu’arrive "Susanoo No Mikoto". Alors me demandez-vous ? Nous sommes bien de retour en terre noire et riche en metal. Mais pas que... et oui, Matt et Ihsahn alternent à nouveau scream et chant clair, avec du heavy metal souvent mélodique, et nous voilà propulsés dans une ambiance à la Tolkien avec des synthés empruntés à SUMMONING. Un tour de force de plus pour un album concept exceptionnel !

Une conclusion style cabaret qui fait écho à l’introduction, et IBARAKI quitte les planches, nous laissant pantois. Ce fût d’une force et d’une originalité phénoménale. Matthew K. Heafy a réalisé un réel tour de force. Un métissage culturel et musical, chapeau l’artiste. Poussant plus avant ce qu’il offre avec TRIVIUM, Matt a trouvé sa "voix" du sabre... et elle étincelle de mille riffs.

Pour vous, qui voulez écouter l'album de IBARAKI, je dirais Ronin soit qui mal y pense.

Blogger : Christophe Scottez
Au sujet de l'auteur
Christophe Scottez
Chris est ethnologue à ses heures perdues, vétéran des pogo joyeux en maillots de core. Un explorateur curieux, grand amateur de riffs et de chants sauvages. Il a grandi dans les glorieuses années 80, bercé par les morceaux canoniques d’ACCEPT, SCORPIONS, MOTLEY CRUE et autres GUNS N ROSES. Traumatisé par le divorce entre Max Cavalera et son groupe, ainsi que par un album des Mets un peu «chargé» en n’importe quoi, Chris a tourné 10 ans le dos au hard rock. Puis, un jour, il a par hasard découvert qu’une multitude de nouveaux groupes avait envahi la scène … ces nouveaux sauvages offraient des sons intéressants, chargés en énergie. Désireux de partager l’émo-tion de ce style de metal sans la prétention à s’ériger en gardien d’un quelconque dogme, il aime à parler de styles de metal dit classiques, mais aussi de metalcore et de néo-metal. Des styles souvent décriés pour leurs looks de minets, alors que l’importance d’un album est d’abord le plaisir sonore que l’on peut en tirer, la différence est la richesse du goût. Mais surtout, peut-on se moquer de rebelles coquets alors que les pères fondateurs du metal enfilaient des leggins rose bonbon et pouponnaient leurs choucroutes peroxydées ?
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