2 juin 2022, 19:54

MERCYLESS

Interview de Max Otero - Les 30 ans de "Abject Offerings"

Blogger : Clément
par Clément


Avec plus de trente-cinq années d'existence au compteur, MERCYLESS est un pilier incontestable de la scène death metal française. Sa détermination historique force l’admiration : combien de groupes formés à la fin des années 80 répondent toujours à l’appel impérieux du metal de la mort avec autant de hargne ? C’est d’ailleurs ce qui rend l’écoute de son chef-d'œuvre, « Abject Offerings », toujours aussi savoureuse trente ans après sa sortie. Une opportunité rêvée pour Max Otero, unique rescapé du line-up historique et accessoirement préposé aux vocalises et aux guitares, de revenir pour nous sur ce fameux 2 juin 1992...
 

Quel est le premier souvenir qui te viens à l'esprit à l'évocation de « Abject Offerings » ?
Facile : c'est le moment où nous avons fini le mix avec Colin Richardson. Dans les minutes qui ont suivi, nous avons mis une copie sur K7 de l'album à fond les ballons dans le lecteur de notre Peugeot 205 (rires). Nous sommes ensuite partis en voiture sans échanger le moindre mot entre nous, en écoutant l'album en compagnie de Colin. Quelle énorme fierté nous avons ressentie à ce moment-là !

J'imagine. Revenons sur la genèse de cet album culte. Tout d’abord, le line-up se voit changé depuis la sortie de la démo « Vomiting Nausea » parue deux ans avant avec l’arrivée de Rade Radojcic à la basse en lieu et place de Boris Mandavis...
Oui, Boris voulait changer pour une vie plus sereine avec sa famille après des années de galère, il a naturellement quitté le groupe car il ne croyait plus vraiment en son futur. Etant amis à l'époque du lycée avec Rade et ayant les mêmes affinités que lui au niveau musical, nous lui avons demandé de nous rejoindre. Et même si cela n'était pas évident au début, il s'est vite imposé au sein du groupe de par son implication. N'oublions pas qu'à l'époque, rejoindre un groupe... c'etait comme rejoindre une nouvelle famille ! C'est différent d'aujourd'hui où tout se fait très vite et sans forcément se connaître : Internet n'existait pas encore !

Le reste du line-up était lui en place depuis « Immortal Harmonies » paru en 1988, quelle était la teneur de votre relation entre tous les trois ?
Nous nous connaissions depuis longtemps. Et nous avons passé une grand partie de notre jeunesse à découvrir, à admirer les mêmes groupes, les mêmes styles de musique : cela soude et crée une certaine complémentarité dans la direction musicale que nous souhaitions alors obtenir. Nous avons grandi ensemble grâce et avec « Abject Offerings ».


Mercyless 1991


A partir de quand avez-vous commencé à travailler sur cet album ? Et de quelle façon ? 
Juste après la sortie de notre démo « Vomiting Nausea », nous avons commencé a bosser sur ce qui deviendrait la base des futurs morceaux de cet album. Nous n'avions pas encore conclu de deal discographique et nous avions envie d'aller plus loin que les standards imposés par le style puisque cette époque coïncide avec la grande explosion du death metal un peu partout. Nous avions réuni toutes nos influences, nos inspirations du moment pour obtenir ce résultat. D'ailleurs, je ne comptais plus les heures passées dans notre local à composer quelque chose de puissant, de sombre, de technique quelque part entre MORBID ANGEL, PESTILENCE et DEATH. Les premiers morceaux écrits ont été "Without Christ", "Flesh Divine" et "A Message for all Those who Died".

Peux-tu nous décrire l’atmosphère qui régnait en studio avec Renaud Hebinger et Colin Richardson ? C’est énorme de pouvoir s’offrir les services d’un producteur si chevronné pour un premier album...
C'etait très étonnant pour nous de bosser avec un producteur comme Colin même si, à cette période, il n'avait pas encore ce statut référentiel qu'il aurait quelques années plus tard. A vrai dire, nous ne savions pas quoi penser mais Jungle Hop, notre label, avait foi en notre futur album et avait donc mis les moyens sur la table. Ils ont pensé a ce gars qui venait d'enregistrer « Symphony Of Sickness » de CARCASS. Et franchement, l'apport de Colin nous a fait évoluer comme jamais en même pas trois semaines. Nous avons appris beaucoup de choses avec lui d'autant qu'il savait exactement où il voulait en venir, comment l'album devait sonner. C'est en plus quelqu'un de très sympathique avec un humour très typique, à l'anglaise (rires). Avec Renaud c'est pareil, nous sommes devenus de sacrées machines à ses côtés. Nous n'oublierons jamais ces moments passés avec lui !


Colin Richardson © Mercyless - DR


Trente après sa sortie, quel est le morceau qui symboliserait le mieux « Abject Offerings » ? Tant sur les textes que sur la musique ?
Eh bien je dirais justement " Abject Offerings". C'est un morceau puissant, rapide, sans aucune concession et irreligieux. C'est bel et bien tout ce qui définit le mieux notre style d'hier et d'aujourd'hui. C'est aussi un morceau qui fait partie de notre set-list depuis nos tout débuts.

En parlant des textes, l’album aborde de nombreux sujets avec gravité (l’addiction aux drogues, la vie après la mort, le cancer, la religion, la mort…), quelles étaient tes sources d’inspiration en 1992 ?
Nous étions jeunes et attirés par tout ce qui ne rentrait pas dans les standards de la société de l'époque, tout ce qui pourrait coller avec notre style de musique.. Alors bien évidemment, les films d'horreur ont constitué une source d'influence évidente. Mais la mort, la perte d'un être cher, la souffrance, la maladie ou le suicide constituaient des thèmes que nous souhaitions aussi aborder. A ce titre, le texte le plus marquant pour moi est celui de "A Message for all Those who Died" qui est à la base un poème en français d'une personne de mon entourage qui s'est donné la mort très jeune. C'est un texte très beau, d'une grande sensibilité, qui colle extrêmement bien aux ambiances du morceau. "Flesh Divine" traite quant à lui du cancer et "Without Christ" parle de l'aversion pour la religion et les croyances modernes. C'est d'ailleurs un thème qui ne m'a plus jamais quitté depuis. Notre jeunesse nous a permis d'aborder plein de sujets sans nous poser de question et je continue encore aujourd'hui à suivre mon instinct sans regarder autour de moi comme je le faisais à mes debuts : sans compromis ! 

Le “Christ de St. John sur la Croix” de Salvador Dalí orne la pochette avec une stature imposante. Le jeu avec la lumière et l’ombre est particulièrement intéressant sur ce visuel en rupture avec celles de vos démos, plus classiques pour un groupe de death metal...
Effectivement cette pochette... c'est toute une histoire ! A la base, c'était une fille originaire de Marseille qui réalisait des tableaux et, un beau jour, je suis tombé sur l'un d'entre eux qui s'inspirait du tableau de Dali, mais avec une approche plus glauque, moins précise. Mais cela m'a quand même plu et je l'ai proposé au label qui a validé cette proposition dans la foulée. Malheureusement, le label a fait faillite avant de revendre les droits à Vinyl Solution Records. Nous nous sommes alors retrouvés avec le label anglais qui, lui, n'aimait pas trop cette illustration. Tout cela a a bien duré deux mois sans que nous n'ayons le moindre retour. Puis un beau jour, le label nous a contactés en nous proposant l'original avec des possibilités de droits d'exploitation : bingo (rires). Que dire de plus sinon que cette pochette colle exactement à notre musique ? Et une chose est sûre, nous voulions quelque chose de différent de ce qui se faisait à l'epoque... sans monstres ni cadavres !

Cet album est paru chez Restless, mais on voit aussi des versions issues de Smash it Up et Flametrader en 1992. Etait-ce une sortie commune ? Quel était le rôle de chaque label, un support différent pour chacun d’entre eux peut-être ?
Le label initial était Vinyl Solution (qui a sorti les albums de CANCER ou MACABRE) puis il y avait des licences avec chaque pays qui le distribuait et qui le fabriquait aussi : Restless pour les Etats-Unis ou Flametrader pour le Royaume-Uni par exemple. Il existe plusieurs versions de cet album suivant le pays où celui-ci est sorti, ce qui aujourd'hui constitue une éternelle recherche de l'objet rare pour les fans ! Avec certains prix exagérés qui vont avec...

Le début des années 90 a vu le death metal exploser aux quatre coins du globe, qu’est-ce qui, pour toi à l’époque, permettait à « Abject Offerings » de sortir du lot au vu de la concurrence féroce qui régnait ?
A vrai dire, je ne suis jamais posé la question de cette façon. Nous étions encore assez inexpérimentés et pas forcément en phase avec l'industrie musicale et la scène en général. Du coup, nous avons mis beaucoup de temps pour tout bien saisir ce qu'il se passait. Ce sont les retours des medias et des groupes qui nous ont fait comprendre que notre album avait une vraie valeur ! Il n'y avait pas Internet et donc tout cela prenait du temps. Mais le jour où les membres de CANNIBAL CORPSE nous ont dit qu'ils aimaient beaucoup notre album, là il se passait un truc ! C'est à partir de ce moment-là que nous avons commencé a comprendre que cet album avait un impact qui nous dépassait ! Je ne sais pas si celui-ci sortait du lot mais beaucoup de personnes en ont dit du bien à sa sortie...

Te souviens-tu également de l’état de la scène hexagonale à ce moment ? Quelle était à ton sens sa force mais aussi sa faiblesse lorsque celle-ci était comparée à celles, suédoise, hollandaise ou allemande qui étaient particulièrement en vue à l’époque ?
Bien sûr. Alors il y avait MASSACRA, LOUDBLAST, AGRESSOR, DEATH POWER et quelques autres qui avaient déjà franchi le cap de l'album. Mais je pense que le truc qui nous différenciait à cette époque était la qualité de la production. Il faut bien se rappeler qu'il n'était pas si évident d'avoir une production digne de ce que pouvaient proposer les Américains, les Allemands ou les Hollandais. Je pense d'ailleurs que c'est pour cela qu'en France, nous avions un petit train de retard et cela malgré la qualité evidente de beaucoup de nos groupes. Ce qui est sûr, c'est qu'en matière de structures et de concerts pour le death par ici, nous étions plus proches de la Roumanie que des Etats-Unis (rires). La reconnaissance à l'international est venue juste après 1992 pour beaucoup d'entre nous. Peut-être est-ce aussi que les autres pays étaient plus ouverts à cette musique. L' Allemagne, par exemple, est un pays qui a très vite soutenu la musique extrême contrairement à la France et pareil pour la Scandinavie qui avait des structures qui finançaient les groupes de death ou de grind...

Un an plus tard, « Coloured Funeral » sortait chez Century Media, la consécration pour le groupe qui rejoint l’un des labels les plus en vue. Quelles étaient tes ambitions avec cette signature ? Te souviens-tu d’un concert en particulier lors de vos tournées européennes pour promouvoir l’album ?
« Abject Offerings » nous a permis de franchir un cap et cette signature chez Century Media nous a, elle, ouvert les portes de festivals et de tournées jusque-là assez rares. Nos ambitions étaient très simples : nous voulions exprimer notre colère, ce que nous avions dans le ventre au monde entier et cet album s'en ressent, il est très violent, technique. Le premier truc qui me vient en tête, c'est Century Media qui nous explique calmement que l'on va tourner avec DEATH en Europe pour promouvoir l'album ! « Hein ? Comment ? ». Mais pour nous, jouer avec DEATH, c'était juste un rêve inaccessible qui n'existait que dans les contes pour enfants... Alors un matin, tu te lèves et six heures plus tard, te voilà rendu à Dortmund en train de serrer la main de Chuck Schuldiner (rires). Crois-moi, pour des fans comme nous... c'etait juste iréel ! 

Cela doit être quelque chose d'énorme, en effet. Pour finir comment considères-tu cet album aujourd’hui, trente ans après sa sortie ?
Cet album est un marqueur dans le temps pour toute une génération de personnes comme nous qui avons grandi avec l'explosion du death metal aux quatre coins du globe. Pas que celui-ci, bien sûr... puisqu'il y a eu plein d'autres groupes qui ont sorti des albums référentiels. Mais en tout cas, pour nous, si « Abject Offerings » a laissé une trace dans l'esprit des gens, eh bien c'est notre plus belle récompense ! 

Merci pour ce voyage dans le temps Max...
Encore une fois merci à toi et à HARD FORCE... et bien évidemment merci à tous ceux qui nous soutiennent depuis toutes ces années et qui font que MERCYLESS est toujours vivant. Nous travaillons actuellement sur une réédition de cet album dans une belle version collector comme nous l'avions fait pour « Coloured Funeral ». On n'a pas tous les jours 30 ans quand même ! Nous venons aussi juste de finir une tournée avec les Bresiliens de NERVO CHAOS qui était juste excellente ! Nous avons partagé notre temps et la scène avec un groupe génial qui m'a fait comprendre encore une fois qu'il y a vraiment de belles personnes dans ce bas monde. C'était un vrai plaisir de jouer avec eux. En guise de conclusion : "Support the underground and stay evil !"


Blogger : Clément
Au sujet de l'auteur
Clément
Clément a connu sa révélation métallique lors d'un voyage de classe en Allemagne, quelque part en 1992, avec un magazine HARD FORCE dans une main et son walkman hurlant "Fear of the Dark" dans l'autre. Depuis, pas une journée ne se passe sans qu'une guitare plus ou moins saturée ne vienne réjouir ses esgourdes ! Etant par ailleurs peu doué pour la maîtrise d'un instrument, c'est vers l'écriture qu'il s'est tourné un peu plus tard en créant avec deux compères un premier fanzine, "Depths of Decadence" et ensuite en collaborant pendant une dizaine d'années à Decibels Storm, puis VS-Webzine. Depuis 2016, c'est sur HARD FORCE qu'il "sévit" où il brise les oreilles de la rédaction avec la rubrique "Labels et les Bêtes"... entre autres !
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