30 septembre 2022, 9:00

SLIPKNOT

"The End, So Far"

Album : The End, So Far

Rappelez-vous, 2004, c’était presque hier : SLIPKNOT sortait « Vol. 3: (The Subliminal Verses) ». Pour les furieux crazy maggots fanatiques des deux premières livraisons du gang de Des Moines, c’était la stupéfaction : tant de mélodies ainsi que d’expérimentations folles et ambitieuses après l’assaut meurtrier incarné par le redoutable « Iowa » en 2001 ?
Depuis, l’une des grandes forces de SLIPKNOT est justement cette faculté à avoir régulièrement su se renouveler, réinventer sa formule - tout en sachant, certes, ne pas trop froisser ses adorateurs en ne négligeant pas à chaque fois l’indispensable ratio de missives frontales. Un ratio suffisamment équilibré pour ne pas lasser, ne pas se paraphraser, et surtout laisser la place à cet autre chose… Parce que, allons... découvrir un septième album pour au final ne recevoir dans les gencives qu’une nouvelle salve de "Disasterpiece" ou de "Eyeless", ça serait peut-être fatiguant, non ?
Très fatiguant, même.

Avec neuf visages qui s’extirpent avec plus ou moins d’expressivité, de la masse tentaculaire de cette hydre jadis repoussante (certains d’entre eux étant même quasi schizophréniques), le potentiel de facettes de la chose SLIPKNOT devait - normalement - s’avérer bien plus excitant que la première surprise, certes phénoménale, il y a 23 ans, de cette über-excroissance d’un nü-metal déjà victime de sa propre cannibalisation, avant même le tournant du millénaire.

Et nous, SLIPKNOT, c’est comme ça qu’on l’aime, qu’on se le figure. Oui, on a pu jumper et suer dans la fosse des Zénith, quand nous étions jeunes et foufous, sur des "Liberate" ou des "People=Shit", mais je dois bien avouer que c’est à travers des plages comme "Prelude 3.0" ou "Vermilion Pt. 2" que le groupe prend sa dimension la plus spectaculaire - musicalement parlant.
Oui SLIPKNOT peut s’avérer redoutablement arty et décomplexé, et ne pas seulement demeurer qu’une simple boucherie destinée au défoulement collectif, de Mexico à Clisson. 

Si « We Are Not Your Kind » nous avait tant plu à sa sortie en 2019, avec ses contours déjà cinématographiques (tel qu’on l’avait évoqué avec le groupe lors d’une interview déjà culte), eh bien « The End, So Far » nous met à terre, bien davantage pour son audace que pour sa puissance de frappe attendue - et c’est en cela que le rapprochement avec « Vol. 3: (The Subliminal Verses) » n'est pas innocent. 

SLIPKNOT expérimente, SLIPKNOT joue avec les textures et SLIPKNOT utilise les neuf horizons croisés de ses membres comme une palette sonore gigantesque, illimitée, où l’on tutoierait presque le prog par instants (oui, mais j’ai bien dit "presque"), puisque l’on sait le guitariste Jim Root tant admirateur de PINK FLOYD que de Robert Fripp. Et cela s’entend ici encore plus, avec une oreille certes affûtée.
Si les regrettés Paul Gray et Joey Jordison furent jadis deux des trois moteurs historiques en terme de vision, de conceptualisation et de composition au sein du collectif depuis sa première mouture au milieu des années 90, c’est bien le Clown, Monsieur Shawn Crahan, qui en reste désormais le cerveau unique, mais qui partage néanmoins son cahier des charges avec le très talentueux et mésestimé Jim Root donc - et bien sûr avec Corey Taylor, étincelant tout au long de l’album, confirmant de projet en projet et d’années en années son statut de chanteur exceptionnel, tant dans les poussées de rage que dans les nuances, les harmonies. Sans parler de sa sensibilité à fleur de peau. 

L’introduction est bluffante : après un drone lancinant et angoissant, "Adderal" ouvre l’album avec minimalisme : on penserait davantage à David Bowie, à Nick Cave ou encore à RADIOHEAD qu’à neuf terroristes rednecks déguisés en pompistes tueurs en série. Une basse ronde mixée très en avant sautille sur un beat de batterie mid-tempo, sur lequel s’empilent petit à petit des arrangements d’une rare beauté stellaire (choeurs samplés, effets de guitare cristalline se baladant dans le spectre, piano), et surtout cette voix, aussi chaleureuse que mélancolique. Oubliez là le death metal, oubliez l’indus de freak, oubliez le nü-metal bas du front : SLIPKNOT est bien ouvert à de nouveaux territoires - et c’est comme cela qu’on le respecte d’autant plus.

Les frontières entre SLIPKNOT et STONE SOUR affichent parfois leur porosité, les mélodies vocales chères au phénoménal Corey Taylor étant ici spectaculaires de justesse et d’inventivité - et l’on se rassure, l’homme au cou de taureau a encore des cojones maousses pour asséner des hurlements à faire trembler un Minotaure au fond de son labyrinthe ("De Sade", aussi sophistiqué que très agressif, et rehaussé de belles lignes de shredding typées très 80s !).
Mais c’est entre autres sur des chansons comme "Yen" ou l’étonnant et ambiancé "Acidic" (qui traverse des territoires tribaux et même blues !) que l’on vibre pleinement, en plein clair-obscur, entre mélancolie et effusion sanguine, et plus encore sur le rugueux "Medicine For The Dead", point d’orgue au beau milieu de ce septième opus magistral, marqué par un refrain mélodieux qui prend aux tripes, mais aussi gorgé de percussions et d’arrangements ambitieux qui n’atténuent en rien sa verve atrabilaire.

Oh, je vous rassure, c’est toujours la guerre et ça gueule bien dans les tranchées : l’impressionnant "H377", outre sa vélocité et ses riffs martiaux forcément death metal, bénéficie même de choeurs hardcore rigoureux qui évoque les grands rassemblements propagandistes de la seconde guerre mondiale, et "The Chapeltown Rag" reste du concassage en règle, old-school avec effusions de guitares low-tuned et scratches à gogo (Sid Wilson, DJ taré et désormais membre du clan Osbourne côté coeur, n’a jamais été aussi présent dans le mix) - tel qu’on avait déjà pu le découvrir en novembre 2021, lorsque ce premier extrait avait été dévoilé.
"The Dying Song (Time To Sing"), deuxième single paru au courant de l’été dernier, souligne la vigueur intacte des désormais quinquagénaires et si l’on s’en tient à ce crowd-pleaser typique, rien n’aurait l’air d’avoir changé depuis "The Heretic Anthem" : il y a encore bien du pilonnage en règle en stock, cette fameuse signature rythmique qui enjoint des liesses de magots à bondir ensemble dans des pits en lévitation, nourris au bastonnage de futs chorégraphié ("Hivemind"), au point de tutoyer des summums dans la violence ("Warranty", plus grandiloquent encore avec son renfort de choeurs majestueux, quasi-MUSE).

"Finale", dernière pièce orchestrale, ponctuée de grattements de cordes et de ses ambiances théâtrales, clôt donc d’abord l’album comme un écho à son étonnante ouverture, entre tourments et apaisement, pour muter rapidement en une dernière chanson aussi solide que les précédentes, mais qui rejoint davantage une trame chère à STONE SOUR, avant de de s’éteindre en paix... non sans avoir laissé s’exprimer quelques mesures de ces mêmes choeurs épiques.

Comme à chaque tournant de son histoire, l'avenir de SLIPKNOT demeure toujours aussi incertain, mais « The End, So Far » en incarne l’un de ses chapitres les plus époustouflants, tant éprouvant pour les nuques déjà expérimentées que pour son roller-coaster d’émotions.
Si l’on possède déjà, c’est à souhaiter, les codes de son univers.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK