7 mars 2023, 18:23

CHADHEL

Interview George "GT"

Blogger : Clément
par Clément

Chantre d'un grindcore "moderne" comme le pratiquent NASUM, ANTIGAMA ou AXIS OF DESPAIR, le clan québecois CHADHEL est de ceux qui ne prennent pas de pincettes avec vos esgourdes. Ceux-là même qui ont le chic pour les réduire en deux coups de cuillère à pot à l'état de milk-shake... en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Et en matière de violence sonore, « Failure // Downfall », leur deuxième album sorti fin décembre 2022 et récemment édité en vinyle, s'avère une fois encore un monument de brutalité ! Mais attention, que les fines bouches se rassurent, le groupe sait aussi y faire en matière de variété de rythmiques et d'influences, comme George, alias "GT", le clame sans détour dans cette interview qu'il nous a accordée il y a quelques jours. Et vous allez pouvoir le constater, contrairement au style qu'il pratique privilégiant la vitesse d'exécution et le format très court, George n'a pas son pareil... quand il s'agit de parler de CHADHEL en long, en large et en travers !
 

George, peux-tu nous en dire un peu plus sur cette association de malfaiteurs qu’est CHADHEL ? Ce patronyme a-t-il une signification particulière ?
Bien sûr ! CHADHEL est un groupe de grindcore originaire du Saguenay-Lac-Saint-Jean dans le nord-est du Québec. Nous existons depuis 2014 et pratiquons un grindcore moderne, rapide et brutal. Le patronyme, quant à lui, provient d’un livre obscur de H.P Lovecraft. J’ai trouvé ce nom avec JP dans la version française du livre du jeu de rôles « Le mythe de Chtulhu », dans une section nommée « Les recherches de Phileus P. Sadowsky ». C’est une espèce de section historique et anthropologique du livre qui relatait certains faits historiques réels mélangés au mythe afin de créer une atmosphère unique à l’intérieur de la partie. Le mot "Chadhel" est un mot en hébreu ancien, qui se retrouve aussi dans l’ancien testament et qui signifie quelque chose comme "ceux qui demeurent en enfer avec Satan". Lovecraft l’a repris à sa façon et introduit dans son univers à l’intérieur d’une aventure sous forme d’artefact en modifiant sa signification par "ceux qui demeurent dans les abysses avec Chtulhu".
Nous avons bien accroché cette signification qui pouvait vouloir dire beaucoup de choses et s’accorder à un paquet de concepts aussi bien philosophiques, sociaux, réels que fantastiques et horrifiants. Cela ouvrait aussi la porte à un large éventail de sujets pour des textes dont la nature ne s’en voyait pas limitée et prédéfinie par le nom du groupe. Au contraire… celui-ci nous laissait une marge de manœuvre et une liberté lyrique, thématique et stylistique… presque infinie !

Voilà ce que l’on appelle une explication détaillée ! Et le grindcore chez CHADHEL, c'est une love-story qui remonte à quand ?
Pour chacun d’entre nous cela remonte à très longtemps ! Nous avons commencé en écoutant du death metal, du thrash ou du hardcore pour ensuite, lentement, mais surement dériver vers le grindcore ! Ce qui ne nous empêche pas d’apprécier un large éventail de styles de musique. Même si le grincored s’impose comme une de nos préférences, il n’en reste pas moins qu’aucun d’entre nous ne pourrait se contenter de n’écouter qu’un seul style de musique qu’il soit metal ou autre. D'autant que la musique est un univers si riche en sonorités et en genres qu’il serait dommage de s’en priver sous prétexte d’une intégrité sans limites. Mais il n’empêche que le grindcore conserve une place importante dans nos écoutes quotidiennes. Ce dernier a aussi eu une influence majeure sur notre évolution musicale, voire même personnel à certains niveaux.

Votre dernier album, sorti à cheval sur 2022 et 2023, « Failure // Downfall » est d’une puissance de feu hallucinante, sans temps mort… quelles sont donc vos sources d’inspiration pour délivrer une telle brutalité ?
Nous avons pour la plupart vécu des épreuves plutôt rudes quelques temps avant que la pandémie de COVID fasse irruption dans nos vies début 2020. Et nous commencions à peine à nous en remettre ou à apprendre à vivre avec que le fait de devoir arrêter d’un coup l'écriture et la composition de nouveaux morceaux nous a collé un méchant coup dans les rotules. Nous avions tous déjà notre bagage de problèmes à gérer alors quand nous avons été confinés pour un temps indéterminé, la colère, la rage et l’anxiété sont montées d’un cran. Nous avions en plus déjà amorcé une évolution depuis l’EP précédent « Welcome to your Doom » et étions super motivés d’écrire de nouveaux morceaux car nous venions en quelques sortes d’ouvrir notre propre boite de Pandore. Mais par la force des choses et de l’aide de certaines personnes, nous avons pu reprendre le dessus. Ma conjointe a réussi à force de négociations acharnées à nous obtenir un permis délivré par le Ministère de la Santé publique nous donnant le droit de répéter dans notre local sous certaines conditions.
À partir de là, nous avons avancé sans jamais regarder en arrière. S’en est suivi le festival « Grindcore Alliance », présenté par GCBT Média sur Youtube qui mettait à l'affiche des dizaines de groupes de grindcore et de powerviolence venant de partout dans le monde. Après cet évènement, les choses n’ont fait qu’aller de mieux en mieux et nous avons su utiliser ce temps de façon judicieuse. Nous avons enchainé composition sur composition en se servant de toute la colère, la rage, la haine, le mal de vivre, la déprime, la douleur et les divers traumatismes vécus dans nos vies respectives comme carburants pour nos textes et notre musique. Nous avons mis beaucoup d’idées de côté voire même des chansons entières qui, après mure réflexion, ne semblaient plus aussi bonnes que sur le moment. Nous nous sommes révisés, corrigés et questionnés plus souvent que nécessaire afin de ne pas passer à côté d’une idée qui aurait pu nous paraitre mauvaise au départ, mais qui, une fois composée et bien cadrée devenait tout d’un coup accrocheuse. Nous avons presque systématiquement essayé tout ce qui nous passait par la tête juste au cas où (rires).
Nous avons foncé tête baissée, la rage au cœur, abattant tous les murs qui se dressaient sur notre passage. Les seules questions que nous nous sommes posées étaient « aimons-nous cela ? » et « prenons-nous du plaisir à le jouer ? ». Si la réponse était « oui » alors un nouvel ingrédient était ajouté à la recette...

Death metal, grindcore, crust, hardcore... cet album réunit une palette d’influences très large en matière de metal extrême...
Pour nous, c’est du grindcore moderne et qui, comme tu le dis, laisse transparaitre ici et là nos multiples influences sans pour autant dévier du son du groupe. C’est un album complexe, diversifié, brutal et sans merci. Nous adorons nos classiques du grindcore mais l’idée n’était pas de rester campés sur des sentiers battus. Le grindcore, pour nous, a toujours été symbole de liberté, c'est un média parfait pour expulser la rage primaire qui habite les musiciens qui s’y dévouent. Cela veut dire, pour nous, qu’il ne devrait pas y avoir de limites prédéfinies enchainant ce style dans une boite sans fenêtre où les options sont rares et limitées. Au contraire, le grindcore est le genre parfait pour laisser parler sa folie créatrice en y intégrant des sons, des instruments et des idées qui n’auraient su trouver place nulle part ailleurs.
L’uniformité mène à la répétition et à l’ennui, nous avons donc essayé d’éviter cela tout en enchainant les blastbeats et les riffs destructeurs les uns après les autres. Ce ne fut pas un parcours toujours facile mais le résultat final est des plus satisfaisants et valorisants. Les gens ne réalisent pas toujours la quantité de travail qu’il faut abattre pour en arriver à un tel résultat ou prennent cela pour acquis parce que c’est du grindcore. La réalité est tout autre. Et en arriver avec un produit fini de qualité qui plaît aux gens bonifie grandement l’expérience et les sacrifices, cela fait du bien au moral et remet de l’essence dans les réservoirs pour la suite !

Quels sont les premiers retours que tu as obtenus au sujet de « Failure // Downfall » ?
Pour l’instant, et nous croisons les doigts pour que ça continue, les critiques ont toutes été très bonnes, positives au-delà de toutes nos espérances. Mais il est certain que l’album se prendra un mur et déplaira à quelqu’un, mais c’est la vie et nous sommes déjà beaucoup trop vieux pour nous soucier de ce genre de critiques (rires). Par contre, nous avons appris avec le temps à nous nourrir des retours positifs et constructifs. Rien n’est jamais parfait et certaines personnes apportent des commentaires vraiment bien formulés, respectueux et instructifs qui nous donnent des outils de réflexion afin d’améliorer nos compositions ainsi que nos productions futures. Pour ce qui est des autres qui veulent juste dégueuler leur mal de vivre sur l’accomplissement des autres parce que cela ne cadre pas avec leur idée idyllique de ce que devrait être la musique, nous n’en avons tout simplement rien à foutre...
Nous avons commencé l’aventure CHADHEL avec l’idée d’essayer de répéter une fois par semaine, de faire un concert ici et là et si nous le pouvions, alors peut-être d'enregistrer une démo ou deux, sans plus. Il y a donc bien longtemps que nous avons gagné notre pari et que le reste n’est que du bonus et du bonheur. Tout cela est acquis et personne ne nous l’enlever, nous l’avons gagné à force d’efforts et de persévérance. À partir du moment où PRC Music (RIP) nous a signé en début 2018, la vie du groupe n’a été qu’une suite de cadeaux et d’opportunités inespérés que nous essayons de savourer au maximum car nous comprenons la chance que nous avons...


Revenons sur ce titre « Failure // Downfall », TERRORIZER clamait il y a plus de 30 ans : « World Downfall », est-ce que tu te retrouves aussi dans ce pessimisme qui ne date pas d’hier ? As-tu encore un peu d'espoir en notre humanité, en l’espèce humaine ? 
Nous avons les yeux grands ouverts sur le monde dans lequel nous vivons et nous pouvons dire sans trop nous tromper que celui-ci est en chute libre, ce qui est désolant. L’humain n’a clairement pas su élever sa conscience et apprendre des erreurs du passé. Les mêmes vices qu’il y a 100, voire 1000 ans pourrissent encore l’esprit de l’homme et cela est vraiment triste à voir. La culture de la bêtise est à un niveau encore jamais vu. Les gens ne peuvent plus feindre l’ignorance puisque les connaissances sont à portée de main aujourd’hui comme jamais elles ne l'ont été auparavant. Mais non, l’égo, la soif de pouvoir, le besoin de contrôle sur les autres, le narcissisme, la duplicité, le capitalisme, la détérioration de notre habitat naturel, le racisme et les religions prennent de plus en plus de place dans notre réalité moderne, comme un cancer agressif qui s’infiltre jusqu’au plus profond de notre monde jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de l’espèce humaine.
Les plus fous ne sont plus dans les asiles, ils siègent au pouvoir maintenant. C’est le monde à l’envers. Toutes ses faiblesses sont confondues par beaucoup comme des forces mais elles sont le poison, l’épée de Damoclès que nous avons tous au-dessus de la tête. Ceci dit ce n’est pas le sujet principal abordé sur l’album. Les textes sont ici conçus comme des métaphores dont l’écriture est nourrie par notre vécu et notre vision du monde actuel. Ils renferment beaucoup de double sens et laisse place à l’interprétation. Comme cela, les gens peuvent en retirer ce qu’ils en veulent pour peu qu’ils puissent en comprendre les mots (rires). Nous ne voulons pas pointer directement les problèmes ou prêcher une politique de pensée par nos paroles mais plutôt stimuler un état de réflexion, que se soit sur le sens des titres ou des paroles. À partir de là, nous laissons le subconscient et l’esprit d’analyse de la personne faire le reste.
Nous n’avons pas la prétention de détenir quelque vérité et de devoir instruire les gens sur quoi que ce soit. Nous sommes plus attirés par le concept du débat, de l’échange et de la communication. Personne n’est moralisateur dans le groupe alors il aurait été bizarre que tout à coup nos paroles commencent à dicteraux auditeurs comment ils doivent penser, être et agir. Nous ne sommes pas parfaits et avons tous fait beaucoup d’erreurs au cours de notre vie, comme tout le monde. Pour ce qui est de la politique… d’autres sont beaucoup mieux avisés que nous pour en parler.

Dans ma chronique de la sélection du mois, je disais au sujet de l’album que celui-ci « était produit de plus avec un certain doigté par Rémy Verreault qui trousse au groupe un son atomique ». Peux-tu nous en dire un peu plus sur votre collaboration ?
Rémy est un ami avant d'être un collaborateur. Il apporte beaucoup au groupe sur le son et la production. Rémy possède une expérience et un bagage musical énormes et de l’avoir impliqué dans le projet nous a permis dès le départ de monter la barre encore plus haut. Ce gars joue de la musique et produit des groupes depuis le milieu des années 90. Il a fait beaucoup de tournées, a enregistré plusieurs albums et le fait qu’il soit lui-même musicien fait qu’il a une compréhension plus grande de nos besoins, de nos désirs et des façons d’utiliser les outils à notre disposition afin d’atteindre nos objectifs. Sans lui, nous n’aurions surement pas accédé si vite au niveau auquel nous sommes rendus désormais. Il est d’une certaine façon un membre du groupe à part entière, tout comme Bruno Martel notre producteur vidéo. Lui et Bruno agissent dans les coulisses, nous permettant d’élever le niveau de qualité de l’expérience. Ce sont deux frères d’armes dont nous ne pourrions pas nous passer et qui sont d’une importance capitale dans notre cheminement.
Rémy tout comme Bruno doivent souvent gérer nos idées de dingues et nous ramener sur terre, car quand nous commençons à imaginer tous les trucs que nous pourrions faire… nous perdons souvent tout sens logique et pratique (rires). Ces deux hommes sages savent, parfois mieux que nous même, comment nous rendre meilleurs !

Parlons du Québec, on connaît l’importance et la diversité de la scène metal locale, qu’est-ce qui fait que le grindcore et plus particulièrement le death metal soient si populaire là-bas ?
Le froid polaire des longs hivers mon ami ! Il faut bien que l’on se réchauffe (rires). Non, la musique en elle-même est très fortement ancrée dans la culture québécoise tout comme la littérature. Les gens ici ont, en général, beaucoup d’imagination et sont très créatifs…

Parlons du futur, est-ce que des concerts sont prévus prochainement pour promouvoir cet album ?
Absolument. Nous avons plusieurs concerts prévus avec nos chers amis du groupe CRUEL FATE jusqu'au mois d'août. Nous participons aussi à 3 festivals dont un qui se tient à New York, le OSU Extreme Festival présenté pas GCBT média. Ce festival se veut un être une continuité du festival Global Grindcore Alliance à lequel nous avons participé pendant la pandémie. D’autres spectacles restent encore à confirmer. 2023 sera en fait une année plutôt chargée niveau concerts pour nous. Nous allons ensuite nous pencher sur des projets futurs déjà en préparation. Un voire deux splits sont en préparation pour 2024 avec un groupe déjà confirmé que nous allons annoncer bientôt. Mais c’est vraiment un honneur pour nous d’avoir l’occasion de partager un split avec un groupe de ce niveau, ce sera un grand pas en avant pour nous. Pour 2023? le split 7’’ avec FACHÉ arrive bientôt ainsi que le split 5’’ avec le groupe EASTWOOD...

CHADHEL est déjà actif depuis plus d’une décennie, quels sont les souvenirs qui te viennent à l’esprit lorsque tu regardes dans le rétroviseur ?
En fait pas encore ! Tout juste une décennie si nous commençons à compter à partir du moment où j’ai débuté l'écriture de la premiere démo seul dans mon salon vers le milieu de 2013. Des bons souvenirs il n’y a à peu près que ça. De l’enregistrement des premiers titres dans le studio 1222 dans le sous-sol de la maison de notre ami Frank de DÉFAILLANCE, jusqu’à l'évolution du projet en un groupe complet. La signature, très inattendue, du groupe par PRC music en 2018 fut une grande surprise et un beau moment. Le tournage de nos deux vidéos avec Bruno (bientôt le troisième chapitre de la trilogie) ont été des moments vraiment très agréables. Notre passage au festival Grind Your Mind ainsi qu’au Maryland Deathfest édition Québec étaient aussi des moments que nous n'oublierons pas de sitôt. Sinon, à chaque fois que nous allons enregistrer avec Rémy nous en ressortons avec de bons souvenirs. Nous sommes passés au travers de bien des épreuves, de bons comme de mauvais moments jusqu’à maintenant mais de loin, de très loin, les bons souvenir l’emportent sur tout le reste !

Merci George, ces derniers mots seront les tiens, à bientôt !
Merci à tous de votre support incroyable et de l’intérêt que vous nous portez, c’est apprécié au-delà des mots. Sinon je n’ai pas une Tabarnak d’idée de quoi dire. Ah oui : suivez nous sur Facebook, Instagram, Bandcamp, Spotify et Youtube (CHADHELTV) si vous en avez l’occasion. Nous avons toujours des tas de nouveaux projets en préparation donc soyez vigilants !
À tous merci encore : « un gros câlisse de merci » !

Blogger : Clément
Au sujet de l'auteur
Clément
Clément a connu sa révélation métallique lors d'un voyage de classe en Allemagne, quelque part en 1992, avec un magazine HARD FORCE dans une main et son walkman hurlant "Fear of the Dark" dans l'autre. Depuis, pas une journée ne se passe sans qu'une guitare plus ou moins saturée ne vienne réjouir ses esgourdes ! Etant par ailleurs peu doué pour la maîtrise d'un instrument, c'est vers l'écriture qu'il s'est tourné un peu plus tard en créant avec deux compères un premier fanzine, "Depths of Decadence" et ensuite en collaborant pendant une dizaine d'années à Decibels Storm, puis VS-Webzine. Depuis 2016, c'est sur HARD FORCE qu'il "sévit" où il brise les oreilles de la rédaction avec la rubrique "Labels et les Bêtes"... entre autres !
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