Il y a quelques artistes, comme ça, qui n’ont pas encore été copieusement réédités – là où d’autres le sont tous les quatre matins pour alimenter la cash-machine, pour n’importe quel prétexte, et sans grande plus-value au menu de leurs énièmes éditions mises sur le marché. Si on sait où va notre argent pour les METALLICA, BLACK SABBATH, DEF LEPPARD, KISS ou MOTÖRHEAD, qu’en est-il de nos AEROSMITH, VAN HALEN ou encore BON JOVI ? Des mastodontes du hard rock qui ont vendu des milliards de disques à eux tous (ou presque), et qui ne jouissent d’aucune box-set en bonne et due forme.
C’est aussi ce que l’on pouvait penser du catalogue d’Alice Cooper, si riche depuis 55 ans de carrière, fort en tubes, en albums cultes, et si documenté au fil des années, avec pour preuve l’immense rockumentaire Super Duper Alice Cooper, paru en 2014 déjà. Un parcours incroyable, en groupe et en solo, et dont on sait – oui on a enquêté depuis trèèèèès longtemps à son sujet –, qu’il existe des trésors à exhumer officiellement, la sympathique box « The Life And Crimes Of Alice Cooper », sortie chez Rhino en 1999, et déjà bien garnie de quatre CD copieux, notamment en inédits, ayant été un premier indice de la montagne certes sacrée, mais surtout cachée.
En terme de focus sur ses albums-phares, seul le mythique « Billion Dollar Babies », sorti il y a tout juste 50 ans, était ressorti en 2001 dans un simple double-digipak agrémenté de quelques outtakes et d’extraits lives captés au Texas en avril ’73 (et tirés du film Good To See You Again, lui aussi réexploité en DVD). Rien sur « Trash », rien de sérieux sur « Welcome To My Nightmare » (à l’exception d’un remaster également édité par Rhino en 2002 et augmenté de trois petites versions alternatives) – et évidement rien sur « Flush The Fashion » ou « Dada », vous vous en douterez.
Rien jusqu’à 2011 et la publication d’une énorme box en forme de pupitre d’écolier, « Old School », et qui venait ENFIN documenter les années 1964-1974. Un coffret beau à pleurer, avec des documents complètement fous, et d’autres sans grand intérêt – et heureusement bien plus accessible en format digi-book 4 CD un an plus tard. Des démos, des pubs radio, des maquettes diverses, des lives d’époque, ainsi qu’un concert intégral enregistré à St. Louis en 1971 : oui, quand même, un sacré paquet de trucs de dingues.
Mais on savait très bien qu’il n’y avait pas TOUT là-dedans : quelques amuses-bouches excitants, tout au plus, mais pas la totale.
Et pour la totale, il faudra encore repasser.
Aucun album d’Alice Cooper ne s’est encore vu emboxé dignement, avec tous ses bouts de fantasmes seulement égrainés au fil du temps... MAIS.
S’il n’y a encore rien sur l’album « Love It To Death » qui a quand même tout précipité pour le groupe de Phoenix en 1970, notamment avec le single "I’m Eighteen", ce sont pas moins de deux des chefs d’oeuvre les plus spectaculaires et iconiques du ALICE COOPER GROUP qui se sont vus refaire une beauté : « Killer » en 1971, et son mythique successeur « School’s Out » en 1972.
Déjà, les visuels sont splendides : en édition vinyle, ce sont pas moins de trois 33-tours qui s’insèrent dans le packaging, qui respecte à la fois celui d’origine, et le design d’aujourd’hui – soit l’insertion du calendrier d’Alice pendu pour le premier, et la pochette ouvrante façon pupitre pour le second, avec bien sûr le disque principal bien au chaud dans une petite culotte. Ce n’était pas du luxe, mais ces deux monstres de l’histoire du rock US viennent enfin d’être remastérises, et cela s’entend : le son est d’une grande clarté et toutes les subtilités de la production dentelée et exigeante de Bob Ezrin sont ici optimisées dans le spectre sonore.
Et évidemment, chacune de ces ressorties, guère aussi spectaculaires qu’une grosse box ras-la-touffe, est agrémentée de bonus alléchants – et notamment de deux concerts intégraux, magistraux et géniaux. Celui du 2 avril 1972 à Puerto Rico pour le Mar Y Sol Festival (où furent également programmés à l’affiche THE ALLMAN BROTHERS, BANG ou encore BLACK SABBATH, et notamment CACTUS, qui y capta lui aussi son fameux album « 'Ot'n'Sweaty ») pour « Killer » et, un mois et demi plus tard, celui de Miami le 27 mai pour l’autre.
Si l’on pouvait déplorer, en faisant vraiment la fine gueule, que depuis trente ans tous les concerts d’Alice Cooper paraissent bien trop répétés et mis en scène, trop millimétrés et sans aucune variation les uns avec les autres au cours de ses nombreuses tournées (bien qu’il surprenne régulièrement ses fans avec quelques pépites oubliées au beau milieu de ses set-lists), c’est avec ce genre de documents que l’on peut vraiment saisir que sur scène, à l’époque, le ALICE COOPER GROUP, c’était le chaos, avec sa part d’improvisation, de folie et de dangerosité qui rendaient les adolescents complètement marteaux. Un gros bordel de cinq voyous malfaisants et roublards qui utilisent la scène pour faire peur et chanter les maux de l’Amérique, dans une ambiance qui doit davantage à Orange Mécanique qu’au Magicien d’Oz. Là, les titres interprétés sont quasi similaires, avec une dizaine de chansons piochées tant dans « Love It To Death » que dans « Killer », mais avec une incursion du nouveau single "School’s Out" en Floride, le futur hit ayant été enregistré pile à temps pour accompagner la fin de l’année scolaire 1972 – dans le chahut tonitruant que l’on connaitra dès lors. Ces deux lives merveilleux jouissent en outre d’un son incroyable et valent à eux seuls l’acquisition obligatoire de ces deux disques essentiels dans toute discothèque. En bonus de bonus, l’on trouvera également quelques versions alternatives, les plus remarquables étant "You Drive Me Nervous", "Under My Wheels" (plus faiblarde sans ses cuivres rutilants), "Elected" et la superbe "Alma Mater", toutes très différentes de leurs versions définitives – et donc ici entre deux étapes de finition, avec des arrangements et des traitements inédits.
C’est, à vrai dire, ce qui nous fait le plus râler quant à l’absence, cruelle, d’une vraie grosse box, et de n’avoir à nouveau qu’un aperçu des pépites incroyables qui doivent dormir dans des cartons à l’abri de l’humidité. Combien d’autres versions de travail, captées sur les bandes analogiques des studios par Ezrin, pointilleux et avide d’expérimentations, doit-il exister ?
Outre ces deux lives qui auraient largement mérité de sortir comme des albums uniques tant ils sont parfaits, et ces grignotages, oui, mille fois oui, le patrimoine d’Alice Cooper est encore enfoui dans les eaux, et certainement d’une taille similaire à la proverbiale partie immergée de l’iceberg.
Reste que, pour ceux qui ne connaissent que les hits mille fois entendus en festival, ces bien belles rééditions de « Killer » et « School’s Out », d’autant plus agrémentées de très sérieuses notes dans leurs livrets respectifs, il est essentiel d’aller découvrir d’autres chansons follement inventives comme "Halo Of Flies", "Dead Babies" et "Killer"... et ma préférence va à "School’s Out" qui s’écoute comme une bande originale de comédie musicale, avec le très rythm'n'blues "Public Animal #9" (à réhabiliter d’urgence), sans parler du jazzy "Blue Turk", de la fresque "Gutter Cat Vs. The Jets" qui reprend justement West Side Story – ou encore "My Stars", qui grimpe en effet vers les étoiles en se tortillant et en imitant une course de toons jusqu’à l’atteinte d’un orgasme quasi space-rock ; ce "Grande Finale" instrumental groovy haut en cuivres et en mini-Moog, et cet "Alma Mater", complainte pluvieuse de jeune adulte qui a hélas déjà bien grandi depuis le dernier tintement de la cloche de l’école.
Hey, Remember the Coop’, uh ?