27 octobre 2023, 23:59

RIVAL SONS

@ Paris (L'Olympia)

Depuis qu’une charmante petite anglaise extravertie (alors occupée en 2011 à défendre les nouveautés du label de metal extrême Earache Records) nous a envoyé avec un enthousiasme non feint le deuxième album de ce groupe américain strictement inconnu, nous ne comptons plus les fois où nous sommes allés les applaudir. Hellfest (Valley 2012 !!!), Nouveau Casino quatre mois plus tard, Trabendo, Trianon, Zénith, Mainsquare à Arras, Elysée Montmartre : des salons d’hôtels parisiens pour y capter des sessions acoustiques privées aux plus prestigieuses salles parisiennes, nous avons pu témoigner de l’excellence des RIVAL SONS dans toutes les configurations possibles. Mais si nous n’étions que cinq ou six privilégiés à regarder Jay Buchanan et Scott Holiday nous interpréter "Rapture" et "Bird In The Hand" côte à côte sur un sofa en avril 2023 lors de leur venue promotionnelle, le dernier vrai concert remontait à bien trop longtemps : L’Olympia en novembre 2019.


Entre les deux soirées, oh, un vague bouleversement planétaire – mais surtout deux albums, ou plutôt un double LP déguisé en deux parties, « Darkfighter » et « Lightbringer », qui nous ont tout simplement chamboulé, et qui ont définitivement propulsé les musiciens parmi les plus grands groupes de rock de notre époque – si ce n’est le seul.

L’Olympia affiche complet en ce vendredi soir : nous savourons quelques minutes les grandes lettres rouges fièrement placardées au-dessus de l’entrée du music-hall, mais trainons avant d’y pénétrer pour de bon – les L.A. EDWARDS en première partie ne nous avaient guère emballés cet été lorsque nous les avions vus à La Maroquinerie en ouverture de THE WHITE BUFFALO, avec leur pop folk-rock à cheval entre americana et alternatif soft...

C’est à 21 heures pétantes que les RIVAL SONS font leur entrée sur la plus belle scène de Paris, sous les guitares de "Mirrors", premier extrait du diptyque de l’année : le son est aussi clair et équilibré que colossal, même si en début de set, depuis notre siège de velours en mezzanine, la batterie surpuissante et bonhamienne de Michael Miley prend le dessus dans le mix, au même titre que les guitares de Holiday, écrasant quelque peu la voix de Buchanan qui semble pourtant déjà à bloc en un seul premier couplet. D’évidence, le chanteur est dans une forme resplendissante : en costume pourpre, bras découverts, tatouages apparents, crinière fauve agitée et surtout pieds nus, Jay sautille comme un danseur de ballet, au gré du groove irrésistible asséné derrière, comme s’il pouvait défier la robustesse de la rythmique et démontrer de son incroyable légèreté entre les coups de butoirs assourdissants de ses collègues. Mais comme un certain groupe des années 70 imaginé comme un ballon de plomb, les RIVAL SONS se savourent dans le contraste : entre les lourdes guitares ciselées et coiffées d’incroyables effets délicieusement fuzzés par le dernier guitar-hero de notre ère, la panoplie d’arrangements discrets distillés tant à l’orgue qu’avec une guitare acoustique, la rondeur exquise et voluptueuse de cette basse, et le jeu subtil, tant caressant que fracassant, du batteur à gros bras.

Mais si chacun d’entre eux déborde de classe, c’est bien ce Jay Buchanan incroyable d’aisance, entre délicatesse et percées inhumaines, qui attire tous les regards, ébahis et admirateurs. Sans forcer le trait, on pense tour à tour à Janis Joplin, à Jim Morrison, à Robert Plant bien sûr, mais aussi à Chris Robinson, à Joe Cocker ou à Otis Redding, tant l’homme évoque les plus grands, capable de saillies vocales à vous flanquer chair de poule et larmes aux yeux. C’est simple, après les deux rock fiévreux suivants, "Do Your Worst" et "Electric Man", qui ont définitivement chauffé la salle pour un niveau d’ébullition constant, le petit écrivain hypnotisé sur son siège a tout simplement chialé à trois reprises tant l’émotion était à son paroxysme, à commencer par ce "Rapture" absolument divin, grand moment de leur nouveau répertoire. Si l’on est encore moins familier avec le deuxième volet sorti à peine quelques jours plus tôt ("Darkfighter", "Sweet Life", "Mosaic"), ses interprétations laissent le public bouche bée, la prestation des Californiens embrassant un éclectisme musical jamais atteint jusqu’alors – folk, hard rock, garage, rock 70’s, gospel, et désormais jam country-rock plutôt psychédélique dans le sillage de THE ALLMAN BROTHERS.

Avec déjà huit albums au compteur, les Californiens en ont dessiné une set-list idéale, ainsi parfaitement représentative de leur palette et astucieusement agencée entre intimité soyeuse et démonstration de force, avec à la clé un public totalement acquis et aussi démonstratif : c’est même à l’issue du remuant "Pressure And Time" que les RIVAL SONS reçoivent leur première standing ovation de la soirée – et qui sera loin d’être la dernière. C’est même évident : les parisiens empêchent carrément le groupe de poursuivre, prié de savourer ces applaudissements nourris et exaltations généreuses – rarement avions-nous partagé une telle déclaration d’amour en 35 ans de concerts... Déclaration réciproque tant l’on sait Buchanan amoureux de notre capitale et de notre culture. Et après ce moment de communion ô combien intense, le chanteur elfique nous embarque encore plus loin avec le poignant "Jordan", incontournable pièce d’orfèvrerie extraite du séminal « Head Down » en 2012. Mais après d’autres moments aussi précieux (le splendide "Feral Roots" qui rappelle le "Rain Song" de ZEPPELIN avec ses atours pastoraux ; le kashmirien "Open My Eyes" ; mais également le très ancien "Face Of Light", agrémenté d’un étonnant solo de Scott Holiday), c’est à la seule puissance de son organe, à peine accompagné de sa guitare folk, que Buchanan nous offre le très attendu "Shooting Stars", ici dépouillé et ramené à sa sensibilité la plus brute, en parvenant à incarner la chaleur et l’exaltation lumineuse du gospel à lui tout seul – incroyable instant de beauté, et de curiosité transcendée en cinq minutes de grâce absolue.

Sans véritable rappel orchestré comme tel, les RIVAL SONS savourent quelques longs intermèdes où leurs fans occupent le volume sonore : à nouveau, jamais n’avions-nous pu témoigner d’un tel amour. Outre la richesse de ses compositions, c’est aussi toute l’histoire de la musique nord américaine qui a été passée en revue, portée avec une rare singularité par un ensemble aussi talentueux que généreux, et qui, signe des grands, ne ressemble qu’à lui-même. "Too Bad", "Mosaic" et enfin le si accrocheur "Keep On Swinging", classique suprême parmi tant d’autres, achèvent ce set magique qui aura tutoyé les deux heures, sans le moindre temps mort. Sous la clameur et la force des applaudissements, tonitruants, les cinq musiciens profitent de ce moment unique qu’ils embarqueront à jamais dans leurs flight-cases et surtout dans leurs coeurs. Poussés dans notre imagination en invoquant les fantasmes de concerts fous à l’Apollo de Harlem ou du Fillmore West à San Francisco à la fin des années soixante, nous sommes tous ressortis persuadés qu’il venait de se passer quelque chose ce soir...

S’il devait enfin sortir un album live des RIVAL SONS qui traduise à merveille la ferveur de leurs shows, on prierait pour que ce soit celui de cette soirée du 27 octobre 2023 à Paris...


Photos © Marion Frégeac - Portfolio

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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