
Pour lancer cette seconde journée placée sous le signe du stoner et du post, QUEEN (ARES) offre une demi-heure en apnée où une violence hardocre neurosienne côtoie des passages plus calmes qui glissent vers la douceur ténébreuse d’HANGMAN’S CHAIR. La beauté des parties instrumentales, longues plaintes envoûtantes qui posent un suaire sur tout espoir, explose en cris de furie partagés par les deux chanteurs. Renforcé par la présence d’Alex, guitariste de JUNON, le groupe affiche une solidité, une cohésion qui augure de lendemains radieux dans la noirceur d’un black corridor dédié « aux hommes qui se sont sacrifiés pour le charbon ».

Obscurité à peine troublée par des sphères lumineuses bleues ou rouges, striée par des éclairs de haine stroboscopés. Déluge post-metal teinté d’un black à la limite de la folie. Hurlements possédés de Chris, bassiste/chanteur grimaçant, étrangement vêtu d’une veste New Balance et de baskets blanches, comme inquiet, comme si ses cris étaient les appels à l’aide d’un homme hanté par d’indicibles démons. Quelques bribes de mélodies qui se noient dans la fureur de longs morceaux, quelques brèves accalmies shoegaze noyées sous des effets qui accroissent encore la tension. En 40 minutes, NATURE MORTE a dessiné des ombres de peur.

THE LUMBERJACK FEEDBACK vient de sortir son troisième album, un « The Stronghold » de toute beauté qui jaillit après une longue pause. De retour sur scène, le quintet instrumental, riche de deux batteurs, offre un concert brillant. Les compositions sont le fruit d’une réflexion profonde : chaque partie, chaque note se glisse miraculeusement à sa place précise, à l’endroit exact où elle doit se trouver. Magie ou travail acharné ? Tel est le magnifique "Kings and Servants", entre mélodie sur un fil et puissance rythmique, qui navigue sur les eaux envoûtantes du post-metal. Le groupe propose des riffs à l’efficacité incontestable comme sur "Praised The Lord For A Brighter Future", se plonge dans un marécage doom avec "Therapy?" avant d’assener un "Kill! Kill! Kill! Die! Die! Die!" résumé par son titre : une impitoyable déflagration sludge. Les deux batteurs s’offrent un solo admirable de complémentarité sous un backdrop où se dessine un paysage rocailleux.

Après la grâce de THE LUMBERJACK FEEDBACK place à la graisse de DOWNSET. La fusion thrash/rap/hardcore très 90’s des Américains étonne en cette journée ; il faut bien avouer que le groupe fait figure d’intrus, ce qui explique sans doute que la salle se vide quelque peu. Programmer les Californiens à 19h est toutefois une bonne idée : les spectateurs rétifs à ce style daté peuvent sortir se restaurer. Malgré la présence de quelques fans, les pogos sont bien loin de la folie de la veille, l’essentiel de la fosse écoutant poliment les diatribes de Ray Oropeza. Le chanteur abandonne bien vite son k-way mais garde l’étrange manie de coller son micro à son visage, le rendant invisible. Bien sûr, pour clôturer le set, le tube "Anger", son intro parlé et sa ligne de basse font leur petit effet, comme la solide prestation du batteur peroxydé. Les musiciens se sont démenés sur scène, ont tenté d’emporter le public avec eux, ont offert un "Empower" de qualité, le groovy et récent (2022) "New Respect" ou le très hardcore "Against The Spirits"... en vain.

Dès l’installation des musiciens de MARS RED SKY, l’anxiété de Julien est palpable. Le brillant chanteur/guitariste, casquette sur la tête, semble vivre la scène comme une épreuve angoissante, ce qui ne nuit en rien au brio du groupe, voire lui ajoute une touche de fragilité, d’émotion ; les plus beaux cristaux ne sont-ils pas les plus délicats ? Telle est l’intro acoustique qui ouvre les portes d’un concert en apesanteur avant que le fuzz et la pédale wah-wah de "Slow Attack" ne se marient à merveille avec la voix douce, soyeuse de Julien. Les Bordelais, qui concluent ce soir une tournée de 15 dates, errent ainsi dans une clarté psychédélique ("The Final Round", chanté par Jimmy, bassiste classieux), dans une lumière quasi pop aux mélodies apaisées menacées par la puissance d’une section rythmique attirée par le stoner – la frappe sèche de Mathieu – voire le doom. "Apex III" et ses première minutes inquiétantes, hypnotiques, porteuses d’une menace diffuse, captivent un public attentif, happé par ce morceau fascinant, qui glisse de la lumière d’une clairière à l’obscurité d’une forêt nimbée de lumières mauves.

BIRDS IN ROW, sous des lights bleus ou rouges qui trouent la pénombre, cultive une tension palpable, une énergie hardcore qui gagne en puissance, se stabilise sur un palier mélodique poignant avant d’exploser en un long cri, en une explosion de batterie frénétique qui appuie des riffs acérés. "Noah" illustre à merveille ce crescendo vers le néant, aussitôt suivi par le plus direct et terriblement douloureux "Cathedrals". Nous avons l’impression d’être prisonniers d’un train qui roule à toute vitesse, ralentit un instant avant d’accélérer de nouveau. La catastrophe est imminente, le déraillement inévitable, comme en témoignent les fragments d’émotions qui parsèment les chansons des Lavallois. Le groupe, tout en bouquet de nerfs dans le sillage d’une batterie incandescente, plonge dans son dernier album, « Gris Klein », dont il joue les six premiers morceaux dans l’ordre, du subtil "Winter Wings" au coup de poing "Nympheas", explosion de colère punk, avant de proposer un "15-38", très NIRVANA. Si le public répond par des pogos féroces, il est insensible au discours engagé pour le vivre ensemble et contre le fascisme de Bart. Dommage, surtout en cette période de Grisaille...

Sur la route pour fêter leurs 15 ans, les Ukrainiens STONED JESUS plongent le public, attentif, dans son univers stoner psychédélique. Igor arbore en homme de goût un t-shirt MY DYING BRIDE et, derrière ses airs de professeur de musique, livre avec ses deux comparses une prestation de qualité. Le batteur assure des changements de rythme avec une aisance déconcertants ("Porcelain"), le bassiste est très présent. La lenteur des morceaux est traversée d’accélérations étonnantes. Bien sûr la lourdeur domine dans ces longues compositions à savourer les yeux fermés ("Black Woods"). Le court et ultra heavy "Here Come The Robots", jouissif en diable avec son refrain basique, est le bienvenu, idéal pour headbanger. Taquin, le groupe glisse une bribe de "Victoria", de BRUTUS, en intro de son dernier morceau, "I’m The Mountain".

A voir la file au stand de merchandising, avant comme après le concert, nul doute que BRUTUS est attendu. Les Belges, portés par le charisme de Stefanie, chanteuse/batteuse au t-shirt Scarface, et la solidité de la paire Stijn (guitare) et Peter (basse, particulièrement à l’aise sur "Space"), ne déçoivent pas. Le kit doré, en accord avec les lights jaunes pâles et orangés, échos à la pochette de « Unison Life », est placé perpendiculairement à la scène, côté court. Les deux autres musiciens font face à une foule attentive, captivée ; envoûtée ? Le "War" initial, voix douce, suave et riffs hypnotisant, crée un rideau soyeux qui se déchire quand éclate l'orage. Le groupe, sous le signe d’un post-rock d’orfèvre, conjugue la lourdeur ("Dust"), l’énergie colérique ("Brave") et la volonté de séduire quand il cherche la formule pop assaisonné à un shoegaze que ne renierait pas ALCEST ("Victoria" au refrain bien troussé) ou se lance dans une power-ballad taillée pour les stades ("What Have We Done", idéal pour dodeliner le téléphone portable, ce briquet des temps modernes, levé bien haut). Cette démonstration de haut vol, guitares souvent aériennes, batterie entre punk et stoner, s’achève sur un "Sugar Dragon" dont le vol ne cesse d'osciller entre rase-motte frénétique et volonté de se noyer dans l’éther. Magnifique conclusion non seulement d’un concert réussi mais aussi de deux jours qui ont offert une parenthèse enchantée fort bienvenue dans un le chaos du quotidien.
