La première partie de la tournée "Europa Rigor Mortis" menée par CARCASS accompagné de BRUJERIA et ROTTEN SOUND s’est achevée à Oignies, au Métaphone, le lundi 3 février. Cette traversée de l’Europe, débutée le 15 janvier à Anvers, a fait la part belle à la France, honorée de sept concerts. Quelle chance pour l’hexagone d’avoir ainsi pu profiter des légendes britanniques et d’un plateau de choix.
D’entrée, malgré une fosse encore bien dégarnie – le charismatique chanteur Keijo Niinimaa dédie ironiquement "Lazy Asses" à « ceux qui sont en retard » – les Finlandais assènent avec une conviction rare leur grind teinté de punk qui dévie parfois vers le crust ("Suburban Bliss"). La fureur des titres coups de poing se mue parfois en breaks à la lourdeur sidérante, portés par une basse qui donne une épaisseur consistante au son granuleux de ROTTEN SOUND. Les premiers pogos et circle-pits, avec certes peu de combattants, animent un Métaphone ébahi par cette violence maîtrisée, intelligente, à l’image de la prestation de Sami Latva, impressionnant derrière sa batterie (les blast beats de "Pacify", wahou!). Cette demi-heure brillante prouve que, après plus de 30 ans de carrière, la bande de Mika Aalto, guitariste de talent, n’a rien perdu de sa vigueur et occupe toujours le peloton de tête du grind mondial.

Cap ensuite vers Los Angeles pour assister au bal masqué de BRUJERIA, sorte de Compagnie Créole latino à la mode death/hardcore/indus ; tout un programme ! Henry Sanchez, désormais au micro, mène le folklore des bandidos, haranguant le parterre tantôt en anglais, tantôt en espagnol. Les quatre Dalton, période tortillas, ont le bas du visage masqué par un large bandana et entrent en scène sur les notes d’une chanson traditionnelle. Ils se lancent, devant une tête décapitée empalée sur un pied de micro, dans 40 minutes, certes efficaces, mais assez répétitives, consacrées aux premiers albums du groupe – sept titres de « Raza Odiada », quatre de « Matando Güeros » et trois de « Brujerzimo ». Un FEAR FACTORY light ("Raza Odiada") valse avec un NAPALM DEATH inoffensif ("Colas de Rata") sous l’oeil amusé d’un PANTERA rigolard ("Hechando Chingasos"). Cette tournée prend la forme d’un hommage aux deux membres du groupe, Juan Brujo et Pinche Peach, décédés récemment.
Quelques slammers montent sur les planches pour accompagner le leader, qui s’offre quelques petits pas de danse avant de demander « Y a-t-il des fumeurs de Marijuana ? Y a-t-il de la marijuana pour le groupe ? ». Réponse positive et, pétard à la bouche, voilà"Marijuana", sur le rythme de la Macarena, qui conclut le show avec jet de t-shirts vers le public, désormais dense. Le groupe, fort sympathique, a rempli son rôle, brandi des machettes sur "Matando Güeros", chanté la "Revolución" et le "Desperado", fait hurler les fans sur le punkoïde festif "La Migra". Il est donc temps de passer aux choses sérieuses avec la tête d’affiche.

Bien sûr, il est sans doute trop tôt pour s’avancer et 2025 sera riche en affiches haut de gamme, mais la pretation de CARCASS a de grandes chances de figurer au sommet des inévitables tops de fin d’année. Alors qu’une mire apparaît sur le back-drop, où se devinent déjà les instruments chirurgicaux qui ont fait la notoriété des quatre de Liverpool, résonne l’inquiètante intro tirée du film The Living Dead at the Manchester Morgue. Des lights blancs semblables à ceux d’une salle d’opération accueillent les musiciens qui attaquent leur set par "Buried Dreams", l’un des cinq titres de l’exceptionnel « Heartwork » – la jouissance sera totale quand ils se lanceront dans "No Love Lost" ou un "This Mortal Coil" tout en guitares débridées.

Dès leurs premiers pas sur scène, les Anglais dégagent une aisance et une classe impresionnantes. Jeff Walker, barbe blanche et crâne rasé, jongle avec sa basse, comme si elle était l’une des parties de son corps, tout en assurant ses vocaux avec maestria. Il lance pléthore de mediators dans la foule, sourit sans cesse au public et sirote, tranquille, une petite bière durant le solo d’un Daniel Wilding impérial. Le batteur assure ses parties avec un talent sidérant, à l’image des blast-beats démoniaques de "Kelly's Meat Emporium". Passé par ABORTED, le cogneur a été à bonne école avant d’intégrer la prestigieuse université CARCASS. Si James Blackford, artisan consciencieux, reste en retrait, Bill Steer brille de mille feux. Il signe ses soli majestueux dans un halo de lumière, en toute décontraction, sans esbrouffe, la marque des grands. Pantalon pattes d’éph', chandail marron, bottes, le guitariste semble tout droit sorti des années 70 ; il arbore certes le look d’un rocker sudiste, mais il incarne à la perfection le jeu death metal. Quel brio !

Les vétérans, toujours alertes, offrent une plongée dans leur discographie d’une richesse rare, glissent du goregrind au death'n'roll. Ils n’hésitent pas à plonger dans les entrailles de leur répertoire pour offrir la déflagration "Pyosisfied", tiré de l’inaugural « Reek Of Putrefaction » (1988), ou le classique "Exhume To Consume", issu de « Symphonies Of Sickness » (1989). Les morceaux plus récents, tout aussi efficaces ("Dance Of Ixtab" et son intro tribale étonnante), se glissent à merveille dans une set-list déroulée à grande vitesse, quasi sans pause, mais avec une puissance et une précision époustouflantes, dopées par un son de grande qualité. .Le groupe s’amuse à glisser quelques mesures d’une chanson dans une autre comme sur "Keep On Rotting In The Free World" introduit par une référence à "Black Star" et enrichit d’un clin d’oeil à "Genital Grinder". Idem en conclusion de cette 1h45 de béatitude avec "Heartwork", précédé des notes de "Rupture In Purulence" et suivi d’un clin d’oeil à "Carneous Cacoffiny". Un procédé habile, Bill Steer !
