27 avril 2025, 23:59

GHOST

@ Toulouse (Zénith)


Seulement deux jours après la sortie du très attendu album « Skeletá », dont deux titres accrocheurs, "Satanized" & "Lachryma", et le plus consensuel "Peacefield" s’étaient extirpés en singles, c’est l’occasion pour les adeptes sudistes de déjà communier autour de nouvelles compositions du groupe-culte suédois : ce soir, GHOST déferle sur la ville rose et referme son aile de chauve-souris sur son Zénith.

Après l’Angleterre, la Belgique, l’Allemagne et un premier concert français à Lyon, la 9e date de l’encore très frais "Skeletour" voit dès le milieu de journée une longue procession noire de fidèles patienter religieusement devant l’imposante salle de Toulouse. De timides capuches masquent de nombreux maquillages crâniens d’où émergent quelques pupilles blanches déjà brillantes d’impatience. À n’en pas douter, la dévouée communauté du groupe est toujours autant acquise à la cause luciférienne de son leader Tobias Forge.

18h30 : après le scan des billets, la logistique est inhabituelle : les smartphones interdits sont glissés dans des pochettes en mousse scellées et humides (encore moites de la date lyonnaise de la veille ?) Mais dès l’entrée dans la salle obscure (et noire de monde), le visage squelettique du Vème Pape dévisage chaque nouvel arrivant depuis l’écran géant projetant l’affiche de la tournée. Dans environ une heure, le nouveau rituel sera !
Et cette heure passe à la vitesse de l’éclair puisque personne ne peut vérifier son écran de téléphone chaque minute que Dieu fait. Les fans se rencontrent, discutent, rient, trinquent... une véritable communion. Pas de smartphones... et pas de première partie non plus d’ailleurs. Ce soir, le show est une bulle immersive 100 % GHOST !

  
© Lilian Ginet | HARD FORCE
 

20h : Les notes guillerettes de "Klara Stjänor" de Jan Johansson caressent doucement l’excitation croissante de la salle, suivies du sublime "Miserere Mei" de Gregorio Allegri, qui finit d’installer une dimension sacrée et bel et bien blasphématoire. Et c’est finalement à 20h30 pétantes que la salle est plongée sans sommation dans les ténèbres totales. Chaque seconde semble alors ralentir. Les poitrines se gonflent, les cœurs battent fort.
Aujourd’hui, le moment ne se filme pas... il se vit.
Un immense rideau noir tailladé, déchiré, décharné, masque encore la scène durant l’interminable début de "Peacefield", qui introduira curieusement cette soirée.
The dawn of prosperity...
Dans l’écran géant, le même visage fixe toujours chaque spectateur.
A faded scar...
Mais ce n’est plus celui de l’affiche. C’est celui de Perpetua, en chair et surtout en os, non plus séparé de ses fidèles par l’attente ou les kilomètres, mais seulement par un léger bout de tissu, faisant monter la frustration avec un sadisme espiègle... jusqu’à la libération du lâcher de rideau !

La foule hurle, les faisceaux de lumières s’étirent, la cathédrale satanique révèle toute sa splendeur démesurée et les silhouettes élancées des goules s’avancent, instruments en mains. Enfin, sortant d’on ne sait où, probablement d’outre-tombe, le charismatique Tobias fait son entrée pour achever ce premier morceau. Mais c’est sans conteste le second, le déjà "occultissime" "Lachryma" et son synthé eighties très Stranger Things, qui lance réellement les hostilités, armé de son riff démentiel et de son chant entêtant.
Difficile de reprendre ses esprits puisque le groupe enchaîne avec "Spirit", premiere chanson tirée de « Meliora » qui dominera largement la set-list toulousaine avec pas moins de cinq morceaux, confirmant la place de cet album charnière dans le cœur des fans et la discographie du groupe.


​Le son est précis (pour du live), lourd, percutant. La basse et la batterie font vibrer les âmes damnées, ce que vient confirmer "Faith", avant un moment suspendu durant lequel les fidèles pourront admirer Papa V Perpetua s’élever dans les airs pour déclamer "Call Me Little Sunshine", premier single du précédent album « Impera » joué ce soir.
On note également que l’élégant design du costume du Vème pape permet désormais à Tobias de chanter sans masque intégral ! Exit la voix en live quelque peu approximative, claustrophobique, voire nasillarde des précédents concert. On sent d’ailleurs que ces nouvelles possibilités buccales lui ont donné des ailes lors de l’écriture de « Skeletá » : les circonvolutions vocales et harmoniques n’y manquent pas.

Mais si le son est plutôt bon, le visuel de cet étourdissant opéra rock est loin d’être en reste : écrans géants à 180° sur lesquels se succèdent différents vitraux et animations immersives ; décor gothique à l’ossature ciselée jusqu’au moindre détail ; estrade-autel surélevant la batterie, les claviers et les choristes ; gigantesque croix-logo lumineuse surplombant la scène s’allumant au gré des ambiances...
Et impossible bien sûr d’ignorer les superbes costumes signés B. Åkerlund, laquelle a abandonné le neo-retro steampunk de l’ère précédente pour puiser son inspiration dans l’imagerie vaudou. On saisit notamment l’allusion au personnage du Baron Samedi dans les costumes des goules et une aura très vampirique dans celui des nonnes goulettes, parées d’ailes de chauves-souris.
Le second degré parfois grand-guignolesque qui collait à l’humour taquin et paillard du Cardinal Copia laisse place à une esthétique plus sérieuse, horrifique et classieuse, proche des films de monstres et autres giallos italiens des années 70/80, déjà bien présente dans certains clips du groupe.


Ce premier rappel triptyque des précédents albums prend fin avec le plus récent et inattendu "The Future Is a Foreign Land" suivi de l’instrumental "Devil Church" qui introduit cérémonieusement les premières notes iconiques de "Cirice", acclamées par les fans de toute heure. Mention d’ailleurs toute spéciale aux cameramen responsables des écrans vidéos qui enchaînent mouvements épiques, zooms maîtrisés et jeux de halos lumineux avec une virtuosité impressionnante, poussant le vice jusqu’à aller chercher un très gros plan de la pupille blanche au fin fond de l’orbite de Perpetua sur la dernière partie de "Cirice" ! On a clairement l’impression de regarder un clip vidéo avec un élégant traitement vintage... mais non, c’est bel et bien du live !

Le bref répit rythmique de "Darkness At The Heart Of My Love" finit sur le rituel duel des guitaristes, Phantom et Fire, un des seuls vestiges de facéties des tournées précédentes, tant cette fois le show tourne ses rouages huilés sans aucun temps mort.
Si la jambe plâtrée de Fire, le guitariste soliste, l’oblige à rester plutôt sage dans son attitude, son alter ego rythmique Phantom se permet toutes les acrobaties au cours du show : jeu par dessous la jambe (au sens propre, jamais figuré vu sa précision), regards penchés, poses désarticulées voire même couchée lascivement sur son retour...
Souvent perchés d’un côté et de l’autre de la scène tels des gargouilles encadrant l’entrée de la cathédrale, ces Jeckyll et Hyde à six cordes, guitare blanche/guitare noire, offrent un parfait Ying et Yang instrumental aussi contrasté que les yeux vairons de Papa V Perpetua.


Le Rocky Horror Guitar Show continue avec "Satanized" (déjà accueilli tel un classique) et "Ritual", seul morceau de « Opus Eponymous » qui sera joué ce soir. L’enchaînement avec ensuite le nouveau titre pop-rock "Umbra" détonne un peu, en particulier avec le sur-mixage de la cowbell qui ne permet pas vraiment de rentrer dans le morceau.
Mais c’est immédiatement oublié puisque ça y est ! Les noms des démons Belial, Behemoth, Belzebuth et autres sont scandés un par un dans un écho vrombissant et intimidant, avant que le riff lourd et puissamment sombre de l’antichristique "Year Zero" réveille les derniers puristes impurs. La messe est dite et l’audience est levée ! Elle accueille de nouveau dans une ambiance rouge sang le fringant pape Perpetua dans son habit pontifical, conservé ensuite pour le toujours aussi céleste "He Is", lequel démarre sur fond de ciel étoilé. Dans le public, ce n’est pas une galaxie de rectangles lumineux ou de torches téléphoniques, mais quelques rares flammes de briquets bien old-school, nous projetant encore une fois dans un hors-temps indéfini.
Le coup de vintage est délectable.

Tobias revient ensuite sur scène à grande foulées dans une veste rose plus confortable pour entonner l’ode aux rongeurs "Rats", morceau pas forcément plus original qu’originel, mais à l’efficacité indiscutablement redoutable, et qui abrite probablement un des riffs les plus catchy qui soit de toute la discographie des Suédois : l’irrésistible version saturée et heavy du mélodique interlude "Spöksonat". On notera que "Rats" semble avoir été discrètement amputé d’une petite partie (?) tout comme "Year Zero", sans doute histoire d’enchaîner autant de titres en 1h50 de show ?
Car oui, l’heure tourne et il est temps pour Tobias de remercier Toulouse, dont il vante l’accueil chaleureux et n’hésite pas à scander le nom au milieu des morceaux pour faire jaillir la liesse dans le public. On se souvient que GHOST avait achevé le "Ultimate Tour Named Death" à Toulouse en 2019. Auraient-ils une affection particulière pour la capitale d’Occitanie ?

  
© Lilian Ginet | HARD FORCE
 

​Remercier Toulouse ne suffit pas : Tobias lui demande ce qu’elle désire (consentement oblige). A Kiss !?! Les premières notes organiques de "Kiss The Go-Goat" résonnent dans cette cathédrale d’un soir et l’on se rend compte à la forêt de bras qui se dresse dans le public à quel point les morceaux seventies de « Seven Inches Of Satanic Panic » sont devenus des classiques. L’esprit de l’aïeul Papa Nihil plane au-dessus d’une foule de discothèque fuchsia et déchaînée, le diable aux corps.

Les écrans géants troquent alors la bouche pulpeuse pour des animations monstrueuses et arachnoïdes lorsque la batterie mitraille l’introduction de l’ovniesque "Mummy Dust". Perpetua met alors à l’épreuve le péché d’avarice de la fosse avec l’habituel déluge de faux billets de 666$, avant que les animations de lettrines paillardes et le lourd balancier de "Monstrance Clock" ne vienne rappeler que le temps nous mène inéluctablement vers la fin... du show. Mais Tobias revient évidemment sur scène pour annoncer en riant un dernier morceau. « It’s a trick ! » s’amuse-t-il. Et ce sera non pas à un mais à trois titres supplémentaires auxquels nous aurons droit : tout d’abord le très populaire "Mary On a Cross" qui clôt l’intégralité de « Seven Inches... » jouée ce soir, avant le sinistre et très efficace "Danse Macabre" sur lequel se dandine un Zénith totalement vampirisé, debout jusqu’aux gradins.


Derrière son masque crânien, Tobias "Perpetua" Forge finit d’envoyer ses possédés au fin fond de ses orbites. Et ce n’est pas une batterie d’objectifs téléphoniques qui s’y plongent, mais dix mille regards braqués, plus connectés que jamais.
Enfin, la batterie martèle l’intro de l’inévitable "Square Hammer" qui achève de planter le clou du spectacle époustouflant qui nous est offert ce soir.
Le groupe s’attarde, lançant quelques offrandes par-ci par-là à une foule toulousaine encore captivée et diablement reconnaissante. Papa V Perpetua aide Fire à descendre de sa plateforme pour un salut groupé, avant une dernière et élégante révérence de Papa au public toulousain, intégralement debout.

Bien sûr, on aurait encore adoré un peu plus d’interactions, de surprises, une set-list un peu moins gravée dans le marbre, ou encore davantage de titres des débuts, comme un "From The Pinnacle To The Pit" ou un "Per Aspera", voire même pourquoi pas un surprenant "Secular Haze" ? Mais on ne peut nier que les 1h50 de show sont monstrueusement réglées comme du beau parchemin à musique et que cette mitigée interdiction des téléphones qui en a courroucé plus d’un sur les réseaux sociaux a catalysé une véritable expérience viscérale dans une capsule totalement hors du temps.

L’abandon dévoué et absolu des fidèles buvant les paroles de leur prédicateur préféré montre que le fantôme GHOST possède toujours autant son public de tout âge jusqu’à une étrange vénération, tous récitant chaque parole qu’ils connaissent sur le bout des phalanges. Et le rituel à la qualité indiscutable auquel nous avons assisté ce soir confirme une fois encore l’Ascension vertigineuse de son leader Tobias Forge vers les Enfers du metal et la postérité qu’il s’y sculpte.
 

 
© Lilian Ginet | HARD FORCE

Blogger : Lilian Ginet
Au sujet de l'auteur
Lilian Ginet
Après avoir étudié le cinéma en France, puis au Japon, Lilian est aujourd’hui réalisateur (clips, reportages, teasers, courts-métrages, motion design…). Il ajoute l’image fixe à son arsenal en devenant l’un des photographes officiels des Eurockéennes de Belfort à partir de l’édition 2010 et rejoint la famille HARD FORCE l’année suivante. Bercé aux classiques d’AC/DC, Metallica, Uriah Heep, Yes, The Who, The Beatles, Alan Parson, mais aussi féru d’albums inconnus des seventies, Lilian a fait de la photo live l'une de ses spécialités avec plus de 600 groupes et artistes photographiés à ce jour. Également photographe de portraits, d’architecture ou encore de paysages, il est avant tout un amoureux des images sous toutes leurs formes et tente à travers les siennes de toujours raconter des histoires.
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